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Au Moyen Âge déjà, différentes pratiques, écrites ou orales, existent pour annoncer le décès d’un proche. Elles ne se succèdent pas réellement les unes aux autres, mais cohabitent au fil des siècles, se diffusant, s’adaptant en fonction des contextes géographiques et sociaux. Si, au départ, la distinction des pratiques se fait en fonction du milieu social, elle se complique du XVIIe jusqu’à la fin du XXe siècle,

période durant laquelle émerge une forme unifiée de communication du décès par voie de presse.

Au cours du Moyen Âge, où vivants et morts cohabitent, « la mort est une cérémonie publique » (Ariès, 2015, p. 23). Par extension, l’annonce est publique également, que cela soit dans une ville ou un village. Tout le monde doit être averti qu’un décès a eu lieu. L’annonce est faite bruyamment en sonnant les cloches, d’une part pour prévenir, d’autre part pour effrayer les mauvais esprits (Alexandre-Bidon, 1998), à l’aide d’un code défini.

« Quand quelqu’un meurt, on doit sonner les cloches afin que le peuple, entendant cela, prie pour lui. Or, on sonne deux fois pour une femme, parce qu’elle a trouvé sur terre la douleur et le mépris. Car, premièrement, elle a rendu l’homme l’ennemi de Dieu, et en second lieu parce qu’elle ne fut pas bénie dans la postérité. Mais on sonne trois fois pour un homme, parce que la Trinité a été trouvée dans l’homme. Car, premièrement, Adam fut formé de terre, ensuite la femme d’Adam; enfin l’homme fut créé de l’un et de l’autre; et ainsi il y a la trinité. Et, si c’est un clerc, on tinte autant de fois qu’il a eu d’ordres. Et en dernier lieu, on doit sonner à grande volée avec toutes les cloches, afin qu’ainsi le peuple sache pour qui il faut prier » (Durand &

Barthélemy, 1854, p. 72)5.

Cette pratique, présente depuis le XIIIe siècle, est celle qui traverse les époques, les lieux et le statut social. Elle annonce la mort d’une personne illustre ou d’un simple citadin, et est utilisée en ville comme à la campagne. Elle est attestée jusqu’au milieu du XXe siècle dans certaines régions de Suisse (Métrailler & Brumagne, 1980; Preiswerk, 1983) ou de France (Moreaux, 2011).

Mais sonner les cloches est un procédé indirect pour avertir la communauté:

« Dans les villages, dans les champs, les prés, les forêts et sur les chemins, dès le premier coup, on s’arrête, on écoute et l’on sait que quelqu’un vient de mourir. On se dit: ‘tiens, le vieux Basile est mort’ parce qu’on sait – car on sait tout au village – ‘qu’il n’en avait plus pour longtemps’. Si on ne sait pas, on pense à une ‘mort subite’ parce qu’un malheur est vite arrivé… Mais le message est donné: la communauté tout entière va connaître, apprendre et diffuser la nouvelle. » (Preiswerk, 1983, p. 35)

Si dans un contexte rural, il est souvent possible de deviner qui est le défunt, cet implicite est souvent complémenté par une annonce orale ou écrite. Au cours du Moyen Âge, quand un membre d’une congrégation religieuse décède, elle fait appel à un messager chargé de parcourir l’ensemble du territoire afin de visiter tous les confrères. Ce mode de communication est surtout présent en France et en Allemagne du IXe au XVIe siècle. Le messager transporte avec lui « Le rouleau des morts », aussi nommé « livre de vie » (Alexandre-Bidon, 1998). Le nom du défunt y est mentionné en en-tête: « Les [moines] inscrivaient l’épigraphe annonçant la mort de celui qu’ils pleuraient, et contenant l’éloge de ses vertus; ils réclamaient ensuite les prières des corporations associées, pour le repos de son âme. » (Du Maine, 1899, cité dans Pellisson, 1901a, p. 143). À chaque arrêt sont ajoutés quelques mots sur le défunt, créant ainsi les premières nécrologies (Makarova, 2003).

5 Le document d’origine, «Rationale divinorum officiorum», fut rédigé par Guillaume Durand, évêque de Mende en 1275. Nous utilisons ici la version traduite en français en 1854 par Charles Barthélemy.

Si diffuser la nouvelle de la mort d’un membre du clergé a pour objectif de maintenir sa mémoire et de prier pour son âme (Alexandre-Bidon, 1998), l’annonce du décès d’un membre de la noblesse cache deux autres objectifs: honorer le défunt, mais aussi prendre connaissance de sa succession (Gaude-Ferragu, 2005). Il s’agit dès lors de convier l’ensemble de la communauté. Pour avertir les noblesse et clergé, des messagers (pages ou officiers) sont en charge de livrer les invitations annonçant tant le décès que la date des funérailles (Alexandre-Bidon, 1998).

L’annonce au reste de la population de la fin d’un noble important est réalisée par le

« Crieur » (Gaude-Ferragu, 2005). Cette profession est réglementée en 1268, mais existe déjà aux alentours du XIIe siècle dans les grandes villes (Flobert, 1907). Le Crieur, aussi nommé Juré Crieur, officie pour l’ensemble de la population. À la demande des familles qui le paient, il sillonne les rues et places en criant le décès de la personne et en transmettant les informations sur les funérailles (Gaude-Ferragu, 2003).

L’annonce par testament est une autre pratique qui s’observe à la même époque.

Dans un tel document, le défunt fait la demande au curé d’annoncer sa mort lors de la messe dominicale, durant plusieurs dimanches si nécessaire (Alexandre-Bidon, 1998; Gaude-Ferragu, 2005). À travers cette requête rétribuée, le testataire ne souhaite pas seulement annoncer son décès, mais surtout prévoir des services religieux pour le salut de son âme. Cette pratique se répand entre le XIIIe et XVIIIe siècle et contribue à l’émergence de ce que Philippe Ariès nomme la « mort de soi »: « Le moment de la mort cesse d’être un moment, plus pathétique, mais non dramatique, du grand cycle collectif de la nature. Il devient I‘acmé, où chaque homme prend individuellement conscience de sa biographie personnelle » (Ariès, 1975, p. 10). Aujourd’hui, ce sont les familles qui demandent aux prêtres de prier pour le repos de l’âme du défunt (toujours moyennant paiement) (Clastres & Pinton, 1997). Ces messes commémoratives entraînent l’envoi d’invitations à assister à ces services, toujours émanant des proches du défunt (Flobert, 1907).

Avec l’implantation de l’imprimerie au XVIe dans les grands centres urbains, le Crieur disparaît petit à petit. La profession subsiste, mais s’adapte en offrant un nouveau mode de diffusion de l’annonce s’inspirant des pratiques de la Noblesse qui «fait courir le billet». Un laquais travaillant pour la famille transmet un premier billet manuscrit aux proches annonçant le décès, puis un second donnant les informations sur l’enterrement. L’imprimerie met à la portée d’un plus grand nombre l’annonce imprimée que l’on transmet directement aux personnes à aviser (Flobert, 1907). Ces billets d’enterrement, créés par les Jurés Crieurs (Flobert, 1907), sont des «feuilles de papier imprimé d’un côté où l’on avertit de la mort d’une personne, où l’on marque l’heure de ses funérailles et où l’on prie ses parents et ses amis de s’y trouver» (Richelet, 1680a, p. 78). Mais avant d’être uniquement livrés, les premiers billets furent placardés aux portes des églises, sur les murs de la ville et à proximité de la demeure du défunt, où le Crieur le lisait avant qu’il ne distribue le surplus dans les quartiers plus éloignés (Pellisson, 1900).

C’est véritablement au XVIIe que la profession de « Semonneur »6 apparaît, ce dernier travaillant sous les ordres du Juré Crieur. À cette époque, l’emploi du billet à Paris n’est pas encore général: «sur 18’000 à 20’000 personnes qui mouraient alors

6 « Semmoneur, s.m. Celui à qui le juré crieur donne les billets d’enterrement pour aller les porter par la ville aux personnes qu’il lui a marquées. [C’est un billet d’enterrement que le Semmoneur me vient d’apporter.] » (Richelet, 1680b, p. 360).

annuellement à Paris, 4000 environ nécessitaient l’impression de billets, dans la proportion de 500 à 1000 exemplaires pour chacune» (Pellisson, 1901c, p. 202). À Paris, les tarifs sont fixés par les Bureaux de la Ville, le prix à payer est par jour de distribution et le coût de l’impression en fonction du nombre et de la taille du billet (petit, moyen, grand). À noter que la profession est lucrative et réglementée par des édits qui limitent le nombre de Jurés Crieurs à Paris ou qui permettent l’ouverture d’offices dans d’autres villes de France. Ces réglementations entraînent un monopole de la profession sur les billets d’enterrement (Flobert, 1907).

Avant 1650, les exemples de billet d’enterrement qui ont subsisté jusqu’à nos jours tendent à montrer des contenus et formes très aléatoires avec un texte fourni. Par la suite, le format et le contenu deviennent plus standards, ce qui concorde avec l’installation de la profession dans les villes. Jusqu’au début du XIXe siècle, les billets sont imprimés en placards, c’est-à-dire en format pour l’affichage public (Flobert, 1907). Les exemples de cette époque montrent déjà des billets qui ne se limitent pas à fournir uniquement le nom du défunt et les informations pratiques sur les funérailles. Il fournit parfois des informations sur la profession du conjoint, décédé ou non, ou le lieu du décès.

Figure 1.1 Billet d’enterrement de Blaise Pascal, Paris, 1662 Vous êtes prié d’assister au convoi, service et enterrement de défunt BLAISE PASCAL, vivant escuyer, fils de feu messire Estienne Pascal, conseiller d’État et président en la cour des Aydes de Clermont-Ferrand; décédé en la maison de M. Perier, son beau-frère, et conseiller en ladite cour des Aydes, sur les fossés de la portes Saint-Marcel, près les Pères de la Doctrine chrétienne; qui se fera le lundi vingt et unième jour d’août de 1662 à dix heures du matin, en l’église Saint-Estienne-du-Mont, sa paroisse, et lieu de sa sépulture, où les dames se trouveront, s’il leur plaît.

Source: De Grouchy, 1890, p. 43 Note: Format original 18/30 c

La production de ses billets reste concentrée dans les zones urbaines (G. Legros, 1993). Il n’est pas possible d’identifier si l’impression des billets est issue d’une demande de la bourgeoisie ou si les Jurés Crieurs ont su anticiper et créer ce besoin en observant les pratiques de la noblesse: « s’ils n’en sont pas les promoteurs, ils en sont les auteurs inconscients. Ce sont en effet leurs propres paroles, clamées dans les rues pendant cinq à six siècles, que l’on a imprimées sur les invitations » (Flobert, 1924, p. 392). Mais si la pratique se met en place, c’est bien pour que la bourgeoisie imite la classe sociale dominante qui faisait « courir le billet ». Durant le XVIIe, mais surtout le XVIIIe siècle, les frontières entre la noblesse et la bourgeoise sont devenues relativement perméables en France, participant de la diffusion d’une « civilisation des mœurs » (Elias, 1973).

Encadré 1.1 La situation genevoise

Nous avons retrouvé dans le Bulletin de la société de l’histoire du protestantisme français de 1887 un fac-similé et sa traduction du billet d’enterrement de Théodore de Bèze, décédé à Genève en 1605. Écrit en latin, il fut placardé à la demande du recteur de l’Université sur les portes des auditoires (Borgeaud, 1899). Ce document nous permet d’attester l’existence de cette pratique à Genève, sans en connaître l’importance.