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L’Enjeu intermodal : entre réseau et territoire

Chapitre 5 : Concurrence et complémentarité des réseaux ferroviaires et aériens

1. La question de la pertinence modale

1.2 Nouvelles formes de relations entre modes de transport

Dans ce contexte il s’agit de savoir comment s’inscrit la thématique de l’intermodalité air-fer, en termes de concurrence et complémentarité entre les modes de transport. La genèse des réseaux traitée dans le chapitre deux, nous a permis d’établir les modalités de croissance des réseaux, arrivés à maturité ou en phase de maturité. L’enjeu pour ces réseaux est alors de rester compétitifs. La transformation des usages des modes et l’articulation de réseaux similaires ou différents qui font suite à une limite d’extension du réseau introduisent l’intermodalité et les relations de concurrence et de complémentarité qui en découlent.

L’objectif de ce point est alors de poser l’intermodalité comme une des clés des nouvelles relations entre modes de transport et territoires. Pour tirer parti des opportunités permises par l’intermodalité, il faut une organisation de la complémentarité mais il ne faut pas omettre que chaque mode a son espace de pertinence. De plus, il faut garder à l’esprit que la complémentarité se nourrit de la coopération et de la coordination des opérateurs de transport mais aussi des autres acteurs du transport et des territoires. La complémentarité renvoie également à la concurrence qui existe entre les modes. Ainsi, dans un premier point on montrera l’organisation que suppose la complémentarité des modes de transport. Notre deuxième point, s’attachera à démontrer que la complémentarité est liée à la façon dont on va articuler les modes et à la distance sur laquelle la complémentarité peut être proposée. On s’intéressera dans un troisième point à la nature de la complémentarité air-fer et enfin, on proposera des moyens de mesurer la complémentarité.

Si l’intermodalité représente l’utilisation successive d’au moins deux modes de transport au cours d’un déplacement, celle-ci mobilise le principe de la

complémentarité. On peut alors émettre l’hypothèse selon laquelle sans organisation la complémentarité ne peut pas être mise en œuvre.

Complémentarité et organisation :

Selon Giuseppe Pini « c'est au niveau de la rupture de charge, dans une chaîne de

transport, lieu où les marchandises [et les usagers] doivent être transbordés d'un moyen de transport à un autre, et donc [au niveau] d'une discontinuité spatiale que se situe cette complémentarité des modes de transport »348. La chaîne de transport

doit être continue : c'est la traduction de la nécessaire complémentarité intermodale pour répondre à une demande de transport.

La complémentarité implique la création d'interfaces qui sont autant de lieux de concentration et de diffusion des échanges, donc de puissants pôles de structuration des territoires. Le pôle d’échanges dans un système de transport se définit comme

« l'ensemble des infrastructures permettant le passage des usagers ou des marchandises entre des réseaux et/ou des modes de transport différents »349.

La logique de développement monomodal, constante de l'évolution des réseaux de transport, amène chaque opérateur à percevoir tous les autres modes de transport comme des concurrents. Le paradoxe est là : hier concurrents dans une logique monomodale, les modes deviennent complémentaires avec l’intermodalité.

Dans ce contexte, un déplacement, qu'il soit de marchandises ou de personnes, ne peut se concevoir que comme une succession, si possible optimale, de déplacements élémentaires effectués dans des modes différents.

Dans la mesure où les vitesses augmentent, les étapes s'allongent et les lieux desservis deviennent de plus en plus éloignés et de moins en moins nombreux ; l’organisation de la complémentarité entre les modes de transport devient alors une nécessité encore plus forte. « Et puisque la population n'est pas encore totalement

concentrée en quelques nœuds privilégiés, il est nécessaire d'organiser les

348

Pini, G. (1991). La Géographie des transports (Chap. 8). Les Concepts de la géographie humaine (Bailly, Antoine et al.). Paris, Masson. 2ème éd.: 135-145.

349 Ibid.

complémentarités entre réseaux, pour qu'à défaut de l'ensemble du territoire au moins la plus grande partie de la population puisse accéder aux divers réseaux »350.

Comme le montrent Jean-Jacques Bavoux et Maximilien Piquant dans une analyse de l’axe Paris-Lyon, les modes d’associations entre les réseaux peuvent s'établir selon quatre mécanismes qui sont :

La « complémentarité : pour assurer la continuité dans le déplacement. [le] principe de relais : pour prolonger un réseau en gestation.

[le] principe de dépendance : pour opérer des rabattements et des

éclatements, c'est-à-dire tenir compte du pré et post-acheminement qui s'établit aux deux extrémités des liaisons Paris-Lyon, tant vers les gares que vers les aéroports, et qui se partagent pour les voyageurs entre le véhicule individuel et les transports en commun urbains et suburbains.

[le] principe de coopération : où toute une série de facteurs étant favorables

au développement de l'intermodalité (distance, trafic, multiplicité des équipements, saturation latente des infrastructures routières...) la quasi-hégémonie du transport routier est en passe de laisser sa place à la complémentarité modale, mais avec une grande hétérogénéité des situations due essentiellement au fait que l'axe soit richement doté en moyens de transport.

Un certain nombre de facteurs semble intervenir dans le jeu de la concurrence intermodales, en effet la recherche de performance et celle d'un tracé attractif est l'objectif de chaque réseau, ce qui a pour conséquence de créer une inter-influence »351. De plus, on sait que, comme le souligne François Plassard que

« chaque mode a tendance à se considérer comme exclusif et à même de satisfaire tous les besoins de transport. La logique de défense, riposte à la concurrence [et] l'emporte sur la complémentarité, chaque mode passant successivement par trois états :

complémentarité dominance

350

Plassard, F. (1995). Les Réseaux de transport et de communication. Encyclopédie de Géographie (Bailly, Antoine, Ferras, Robert et Pumain, Denise). Paris, Economica: 515-533.

351

Bavoux, J.-J. et Piquant, M. (2000). "Les Réseaux de transport entre Paris et Lyon : Compétition ou coopération ?" Flux 39/40: 30-39.

concurrence »352

.

Chaque mode construit son réseau353 et les paramètres de complémentarité, coopération, coordination et concurrence apparaissent au fur et à mesure de la construction du réseau. Un mode unique ne sera jamais pertinent sur tout l’espace, à toutes les échelles et pour toutes les distances. Celui-ci cherchera donc à être complémentaire et à coopérer avec d’autres réseaux lorsqu’il n’est pas en mesure de satisfaire un service. Si on prend l’exemple du train à grande vitesse qui dessert des villes de moyennes et grandes tailles, on voit bien les limites : c’est bien comme une sorte de relais que le métro ou le TER (Train Express Régional) vont intervenir à la suite du train à grande vitesse pour acheminer les usagers jusqu’à leur lieu de destination final. Cette complémentarité et la coopération s’exprimeront notamment dans le cadre d’une utilisation du TER par l’adaptation des horaires, pour fournir la possibilité d’une articulation moins contraignante. Cette correspondance pourra d’ailleurs se faire avec un billet combiné qui cumulera sur un même ticket de transport les trajets TGV et TER.

Toutefois, il faut ajouter que les modes restent concurrents : un des exemples les plus intéressants de cette concurrence est celui de l’avion et du TGV. Effectivement, ces deux modes restent en concurrence si tous deux proposent un service de qualité, attractif en coût et en temps. Cependant, cette relation n’existera qu’à condition que chaque mode présent sur le trajet n’opère pas sous un seuil significatif de part de marché. Si on prend l’exemple de la relation Paris-Lyon, depuis la mise en service du TGV, l’avion, en concurrence direct avec ce dernier, a perdu sa place de leader. Pourtant, la relation n’a pas été remise en cause et même si la fréquence comme la fréquentation ont diminué, l’avion garde une place non-négligeable. Pour expliquer cette situation on peut avancer plusieurs raisons. Premièrement, l’aéroport de Lyon Saint-Exupéry est un hub secondaire de la compagnie Air France qui a son hub principal à l’aéroport de Paris-Roissy CDG. Cette organisation permet au système aérien lyonnais de ne pas dépendre que de sa relation avec Paris. Deuxièmement, on constate que les vols sont bien placés sur la grille horaire de

352

Plassard, F. (1995). Les Réseaux de transport et de communication. Encyclopédie de Géographie (Bailly, Antoine, Ferras, Robert et Pumain, Denise). Paris, Economica: 515-533.

353

On propose au lecteur de se référer au chapitre 3 de la première partie qui traite de la morphogénèse des réseaux.

sorte qu’ils permettent des correspondances à Roissy CDG avec un minimum de temps d’attente pour un autre vol et restent compétitifs par rapport au TGV.

En définitive, la complémentarité renvoie à une organisation, mais aussi à la zone de pertinence des modes, donc à la distance et à l’articulation que nous proposons d’étudier maintenant.

Complémentarité, distance et articulation :

Comme on a déjà pu l’évoquer avec la zone de partage modal354, chaque mode bénéficie d’un espace de pertinence. Si pendant longtemps on a cherché le plus court chemin en distance, il est apparu clairement que le chemin le plus droit n'est pas toujours le plus court. « Les réseaux sont fondamentalement exogènes, en cela

que les équipements reliant deux villes ne sont pas seuls mais associés à des réseaux plus vastes où existent des interactions »355. Il en résulte alors une nécessaire articulation des modes à toutes les échelles spatiales, qui rendent possible la complémentarité.

Avec l'augmentation du trafic, les réseaux ont établi entre eux de nombreuses interactions. Dans la variété des relations réticulaires, on constate que l'empilement l'emporte sur la relève et l'accumulation sur l'effacement. « Les relations réticulaires

se traduisent d'abord au niveau d'une inscription spatiale, [...] elles offrent ensuite une très subtile diversité de combinaisons dont l'illustration pourrait être les rapports entre Air France et la SNCF, rivaux objectifs se livrant à une guerre tapageuse des tarifs, des pubs, (et des grèves), tandis que [...] les TGV viennent sagement s'arrêter dans les aéroports de Roissy et Satolas [aujourd’hui Saint-Exupéry] »356.

Ainsi, les stratégies des opérateurs les amènent à combiner des relations de concurrence et des relations de complémentarité. D’autre part, les collectivités peuvent souhaiter la multiplication des possibilités de relations sur des axes qu’elles jugent stratégiques, à condition que les opérateurs trouvent un marché suffisant et aider dans ce cas directement ou indirectement au développement des offres.

354

Pavaux, J. (1991). Les Complémentarités TRAIN / AVION en Europe. Paris, SETEC. 355

Bavoux, J.-J. et Piquant, M. (2000). "Les Réseaux de transport entre Paris et Lyon : Compétition ou coopération ?" Flux 39/40: 30-39.

356 Ibid.

Du point de vue des collectivités, en partie convergent avec celui des opérateurs, l'enjeu est de construire un réseau complémentaire, un maillage convenable et une implantation judicieuse des points nodaux qui permettront de faire face à la demande, de combattre le désenclavement de certaines villes, de certaines régions, et enfin de rendre les déplacements plus sûrs et plus efficaces.

Le développement de l'articulation entre les réseaux passe, pour les voyageurs, par le renforcement des points nodaux à plusieurs échelles (nationale et interrégionale)357. Ces pôles d’échanges multi-échelles renforcent la logique de complémentarité.

Plusieurs auteurs, comme Jacques Pavaux, considèrent les modes de transport comme substituables les uns aux autres dans certaines conditions. Les modes qui satisfont le même service sont alors concurrents : l'usager peut prendre soit le train, soit l'avion pour effectuer son déplacement, le train pouvant donc se substituer à l'avion et vice versa358. La combinaison des deux modes représente alors une nouvelle forme de transport, renvoyant à une organisation spécifique selon laquelle les modes deviennent complémentaires en coopérant pour assurer les déplacements de l’usager.

Du point de vue de l’usager, la complémentarité s'exprime lors de l'utilisation successive de plusieurs modes. Cette forme d’utilisation est alors jugée préférable, quand elle n’est pas incontournable, à l’utilisation d’un moyen de transport unique pour un déplacement entre deux villes. Ainsi, pour Jacques Pavaux, l’introduction du TGV en Europe constitue un enjeu nouveau pour l’intermodalité car elle « permet

d'offrir de nouvelles combinaisons du train et de l'avion, qui sont préférables à toute autre solution pour satisfaire un besoin de déplacement »359.

Dans l’analyse de Jacques Pavaux, la complémentarité entre deux modes de transport se conçoit sur des parcours effectués successivement en combinant le train à grande vitesse pour des liaisons courtes et l'avion sur des distances longues (de

357

Parrotin, G. (1994). Des Equipements plus performants, des services mieux adaptés. Les Orientations de la politique d'Aménagement du territoire à l'horizon 2015. Conseil Économique et Sociale (CES). Paris. 3: 27-31. 358

Pavaux, J. (1991). Les Complémentarités TRAIN / AVION en Europe. Paris, SETEC. 359

plus de 800 km). Néanmoins, cette solution n'apparaît que si elle est rentable, en termes de coût et de temps ou si elle est la seule possible.

La nature de la complémentarité air-fer :

La logique consistant à rendre complémentaires deux moyens de transport, ici le train à grande vitesse et l’avion, consiste à donner au TGV, à partir des villes dites secondaires, le rôle de rabatteur de trafic sur les aéroports des villes principales, soit un rôle de pré et/ou post-acheminement. La zone de complémentarité concerne donc les échelles interrégionales et/ou intra-européennes, qui relient des grandes villes ou métropoles bien desservies par l'avion à des villes de moyennes importances reliées aux nouvelles voies ferroviaires à grande vitesse. C’est aussi la possibilité pour les villes de rayonner comme des métropoles sans en avoir tous les attributs.

On est donc dans la logique suivante : là où les TGV complèteront l'avion, la complémentarité sera donc bien réelle et la principale conséquence en sera un élargissement de la zone d'influence de l'avion et de celle du train à grande vitesse. Ainsi, l’avion pénètrera la zone du TGV avec la possibilité de relier efficacement des villes européennes voire mondiales à des villes qui ne disposent pas d’un accès aérien performant. Le TGV quant à lui atteindra grâce à l’avion des territoires hors de sa portée habituelle car son alliance avec l’avion lui permettra de franchir les obstacles naturels comme l’océan Atlantique pour atteindre les Etats Unis. Pour Jacques Pavaux, « cette complémentarité ne sera cependant efficace que si

certaines conditions sont réunies comme :

L’interconnexion des réseaux, notamment en termes d’horaires.

L’enregistrement des bagages d’un bout à l’autre de la chaîne de transport. La coopération commerciale entre les modes de transport dans le but d’offrir

un service cohérent qui va de l’information multimodale, du système multimodal de réservation (un seul billet pour tout le parcours), à des tarifs liés (tarification combinée) »360.

Jacques Pavaux met donc l’accent sur la qualité de service. En effet, la complémentarité doit répondre à des exigences précises en termes d’organisation du

360 Ibid.

service. Notons que s’il propose une lecture de la qualité de la complémentarité, il ne fournit pas de réponse précise quant à sa mesure.

Mesurer la complémentarité :

Ce souci de mesurer la complémentarité se retrouve chez d’autres auteurs. Une des entrées pour mesurer la complémentarité est la qualité de service. Cependant, la complémentarité est mesurable à d’autres niveaux :

« Technique : aménagement des infrastructures, organisation de la chaîne de

transport

Spatial : désenclavement et desserte des zones les moins peuplées du

territoire qui permet d'établir entre les différents modes de transport une situation de complémentarité.

Temporelle : concordance ou aménagement des horaires »361

On peut donc retenir l’idée que la complémentarité entre modes de transport s’exprime en termes de service, de spatialité et de temporalité.

Cependant, est-il nécessaire de remplir ces trois conditions pour pouvoir parler de complémentarité entre les modes de transport ? Comme on a déjà pu l’évoquer à plusieurs reprises, si on part du principe que personne ne vit dans une gare, un aéroport ou un arrêt de bus, tout déplacement est intermodal. La complémentarité peut être gérée par les opérateurs qui vont mettre en place la possibilité d’articuler les modes. L’exemple le plus représentatif est la mise en place d’un bus ou une navette qui va relier une gare à une aérogare. Néanmoins, la complémentarité peut aussi être à l’initiative de l’usager lorsque de lui-même, il va mettre en concordance les horaires de deux modes différents.

Dans la recherche de complémentarité entre modes de transport, un certain nombre de questions reste en suspens, notamment en matière d’adaptation de l’offre intermodale à la demande. Car concurrence et complémentarité résultent d’une part, de la variété de l'offre de transport362, mais aussi du coût et de la qualité de service d’un déplacement.

361

Taroux, J.-P. (1982). Les Déplacements interrégionaux : Complémentarité ou concurrence ? Les Transports en France : Situation au début des années 80 et nouvelles politiques. La Documentation Française. Paris. 4684-4685-4686: 89-99.

362 Ibid.

1.3 Effets de l’intermodalité air-fer sur les aires d’influence des