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L’Enjeu intermodal : entre réseau et territoire

2. Intermodalité et notions voisines

2.2 Multimodalité et plurimodalité

Comme pour tous les termes évoqués jusqu’à maintenant, la notion de multimodalité prend un sens différent selon son contexte d’utilisation. Les travaux du Groupe d’Etude et de Mobilisation dans Réseaux et Territoires266, repris par d’autres auteurs comme Jean-Marc Offner267 et Fabienne Margail, sont notre première entrée.

Leur point de départ est l’intermodalité. Sa définition leur permet d’introduire parmi d’autres notions, celle de la multimodalité. L’intermodalité y est caractérisée comme la « possibilité de passer d’un mode de transport à un autre ; [à] ne pas confondre

avec [la] multimodalité ou plurimodalité [comme l’] appartenance d’une infrastructure à plusieurs modes »268. Ici, l’intermodalité est associée à une manière de se déplacer, tandis que la multimodalité est liée à une infrastructure.

Cependant, on constate une évolution car Fabienne Margail fait état de l’usage conjoint des deux termes à propos de l’analyse des déplacements. Elle précise toutefois que, lorsque la chaîne modale est organisée, on emploie de préférence le terme d’intermodalité. Tandis que le terme de multimodalité est vu « d’un point non

plus technique mais territorial, [comme pouvant] signifier la présence sur un territoire donné de plusieurs modes susceptibles d’être utilisés alternativement dans certaines conditions pour effectuer un déplacement »269.

Cette dernière précision nous permet d’opposer la multimodalité vue comme un

usage alterné de plusieurs modes de transport pour se déplacer, à l’intermodalité

qui renvoie à un usage successif de plusieurs modes de transport au cours d’un déplacement. Notons que l’on retrouve ici une définition de l’intermodalité qui met en

266

De Noüe, M.-F., Annunzio, D., Bourdillon, J., Brunet, R., et al. (1993). Réseaux et Territoires : Groupe d'Etudes et de Mobilisation. Paris, La Documentation Française.

267

Offner, J.-M., Hubert, J.-P., Margail, F. et Zembri, P. (1995). Les Enjeux organisationnels et territoriaux des interconnexions de réseaux de transports collectifs. Paris, CNRS-GDR 903 "Réseaux": 112.

268 Ibid. 269

Margail, F. (1996). "De la correspondance à l'interopérabilité : les mots de l'interconnexion (Note de recherche)." Flux 25: 28-35. (Article) Et Margail, F. (1998). De `l'Automobilité`à `l'intermodalité`dans les métropoles (From exclusive car use to `intermodality`in Metropolis). La Politique de déplacements urbains ; outils du Développement Durable (Urban Transport Policy). Balkema. Rotterdam: 451-456. (Extrait d’ouvrage)

« Ces deux termes renvoient à l’exploitation de situations de complémentarité entre les différents modes, complémentarité qui peut fonctionner dans l’espace et/ou dans le temps. Le terme d’intermodalité sera réservé aux cas d’organisation de la chaîne modale (les modes sont combinés en série, pour faire une analogie électrique). Celui de multimodalité est plus polysémique : il peut soit servir à qualifier une infrastructure (ouverte à la circulation de différents modes) ou, d’un point de vue non plus technique mais territorial, peut signifier la présence sur un territoire donné de plusieurs modes susceptibles d’être utilisés alternativement dans certaines conditions pour effectuer un déplacement (les modes fonctionnent en parallèle) ».

avant la qualité de l’articulation des modes de transport et adopte une vision proche de l’opérateur de transport.

Notre analyse se résume alors de la façon suivante :

La multimodalité correspond à un usage alterné de plusieurs modes de transport pour se déplacer, chaque déplacement consiste soit en un segment monomodal, soit en une chaîne de déplacement utilisant au moins deux modes de transport au cours d’un déplacement. La figure suivante illustre nos propos :

Figure 6 : Représentation schématique de la multimodalité

L’intermodalité désigne un usage successif de plusieurs modes de transport au cours d’un déplacement, soit un déplacement qui combine au moins deux modes. L’avion et le TGV associés de la façon suivante forment un déplacement intermodal :

Figure 7 : Représentation schématique de l’intermodalité

En concordance avec cette opposition des deux notions appliquées à un déplacement, les travaux du GART270 envisagent la multimodalité comme le

« recours à plusieurs modes de transport pour satisfaire des besoins de déplacement, synonyme de plurimodalité ». Ces travaux introduisent aussi la notion

d’individu multimodal, qu’ils définissent comme une « personne qui a recours de

façon régulière à plusieurs modes de transport différents, choisis en fonction des circonstances et de la nature de ses déplacements »271.

270

Goulet-Bernard, S. et Golias, R. (1999). Politiques et pratiques d'intermodalité. Paris, GART. 271

Ces mêmes auteurs décrivent également l’offre multimodale comme une

« infrastructure ou service permettant à une personne d’utiliser au choix un des modes de transport proposés ou de les articuler successivement : pôle multimodal, information multimodale ». Cette interprétation combine les deux notions,

intermodalité et multimodalité lorsqu’elle est associée à une infrastructure ou à un service et concorde donc avec celle adoptée par Fabienne Margail272.

Dans le domaine des marchandises une autre définition, proposée par Jean-Paul Rodrigue et Claude Comtois273, considère la multimodalité comme « l’ensemble de

modes offrant leurs services sur une distance quelconque entre origine et destination. Bien que le transport intermodal soit possible, le transport multimodal ne l'implique pas forcément »274. Cette définition donnée pour le transport de marchandises reste applicable au transport de voyageurs. Ici, l’intermodalité désigne une chaîne de transport empruntant plusieurs modes, tandis que la multimodalité désigne la totalité des modes de transport présents pour effectuer un déplacement. Dans cette acception, la multimodalité peut très bien ne concerner que des chaînes monomodales, qui ne nécessitent pas l’intermodalité donc la combinaison de plusieurs modes. On retrouve ici la notion d’utilisation successive (intermodalité) opposée à une utilisation alternée (multimodalité) qui apparaît lorsque l’on traite de l’usage ou du déplacement.

Toujours dans le domaine du transport de marchandises, la multimodalité pour Christian Reynaud, Patrice Salini, Georges Gac renvoie à « l’utilisation combinée de

plusieurs modes de transport »275. Ce point de vue exprimé pour le transport de marchandises renforce l’ambiguïté des termes, ne tenant compte ni de l’usage alterné, ni de l’usage successif et encore moins de l’infrastructure ou de la qualité de la combinaison. Cette conception est analogue aux définitions descriptives de l’intermodalité et notamment celle du dictionnaire d’usage courant (Le Petit Larousse) qui est la plus ouverte.

272

Margail, F. (1996). "De la correspondance à l'interopérabilité : les mots de l'interconnexion (Note de recherche)." Flux 25: 28-35.

273

Rodrigue, J.-P. et Comtois, C. (1999). Transport intermodal et transport multimodal, blues.lemig.umontreal.ca/geotrans/fr/ch3fr/conc3fr/ch3c5fr.html.

274 Ibid. 275

Reynaud, C., Salini, P. et Gac, G. (1989). "Réseaux de transport à grande vitesse : Quelles évolutions ?" Transports 335: 158-166.

Le transport de marchandises introduit d’autres notions, concernant les infrastructures, comme les « plates-formes logistiques multimodales qui utilisent

plusieurs modes de transport en privilégiant les transferts avec rupture de charge opposées aux plates-formes logistiques intermodales qui elles, utilisent deux, voire trois ou quatre modes de transport en privilégiant les équipements de transfert sans rupture de charge (la marchandise ne changeant pas de contenant) »276.

Dans ces définitions, l’intermodalité est donc associée à une qualité d’articulation des modes de transport entre eux, tandis que la multimodalité se rapporte à une situation de moindre qualité.

Concernant les infrastructures, les notions d’intermodalité et de multimodalité s’opposent, mais sur un critère différent de celui sur lequel elles s’opposent quand on s’intéresse à l’usage. Nous proposons la synthèse suivante :

La plate-forme multimodale renvoie à :

l’utilisation de plusieurs modes de transport en privilégiant les

transferts avec rupture de charge Tandis que la plate-forme intermodale reflète :

l’utilisation de deux, voire trois ou quatre modes de transport

en privilégiant les équipements de transfert sans rupture de

charge

Pour résumer, on distingue deux situations mettant en scène l’intermodalité et la multimodalité :

Un premier cas, où l’opposition entre l’intermodalité et la

multimodalité se fait lorsque les deux notions caractérisent le

déplacement ou l’usage. L’intermodalité est employée lorsqu’on utilise successivement plusieurs modes de transport au cours d’un déplacement tandis que la multimodalité désigne la possibilité d’utiliser plusieurs moyens de transport alternatifs pour se déplacer.

276

Et deuxièmement, lorsque l’intermodalité et la multimodalité caractérisent une infrastructure ou un service. La différence se fait alors sur la qualité de l’articulation : rupture de charge pour la multimodalité ou continuité du déplacement pour l’intermodalité.

Ces propos nous amènent à conclure que ces deux notions ne possèdent pas de définition stable. Le contexte de leur utilisation et le point de vue adopté donnent un sens évolutif à ces notions. Dans le premier cas, différenciant les deux notions selon l’usage, on va retrouver des auteurs qui travaillent sur les réseaux et qui adoptent un point de vue institutionnel. Le deuxième cas, où la distinction renvoie à la qualité de l’articulation, regroupe en grande majorité des spécialistes du transport des marchandises qui caractérisent l’une ou l’autre des notions de multimodalité et d’intermodalité au niveau de l’infrastructure ou du service fourni.

L’éclaircissement nécessaire sur ces termes appelle le développement d’un traitement similaire des notions de monomodalité, d’unimodalité ou encore sur l’intramodalité, qui sont liés à l’intermodalité et la multimodalité.