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Nouvelle facette de l’espace public où s’exerce la démocratie directe

SECTION II : LES ILLUSTRATIONS DE L’EXERCICE DES LIBERTES INDIVIDUELLES DANS LES COMMUNICATIONS ELECTRONIQUES

§ 2 INTERNET COMME FORUM DE PARTAGE AU SERVICE DES INDIVIDUS ET DES NATIONS

B) UN LIBRE ECHANGE SUR INTERNET COMME ELEMENT CLEF DANS LES PROCESSUS DEMOCRATIQUES ACTUELS

1) Nouvelle facette de l’espace public où s’exerce la démocratie directe

90. - Le réseau des communications électroniques forme un nouvel espace public transnational qui vient s'ajouter aux espaces traditionnels nationaux liés à la radio, à la télévision, aux livres et aux journaux. Cet espace nouveau se caractérise donc notamment par son détachement quasi- total de la territorialité géographique des États280, en contribuant par ailleurs à la formation d'un public transnational qui se communique sur l'échelle globale.

En entraînant une mutation profonde de l’espace public, Internet remet en question la qualification d'une sphère traditionnellement considérée comme lieu privilégié où s’exerce l’activité citoyenne au sein des démocraties libérales. En effet, l’espace public tel qu’il prend forme sur Internet diffère de la conception traditionnelle du terme dès lors qu’il ne constitue plus un endroit où les pouvoirs publics exercent leurs prérogatives, une sphère publique telle qu’elle a été imaginée par les grands philosophes pour qui elle était une médiation entre la société civile d’une part et l’exercice de l’autorité publique d’autre part281. Cet espace public

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Law Review, 263,272 (1978).

279 R.C. Post, « The Constitutional Concept of Public Discourse: Outrageous Opinion, Democratic Deliberation, and Hustler Magazine c/ Falwell », 103 Harvard Law Review,. 601, 1990, p. 634-40; A. Meikleiohn, « Free speech and its relation to selfgovernment », 91, 1948, p. 91, 1948, p. 26-27 (« When men govern themselves, it is they-and no one else-who must pass judgment upon unwisdom and unfairness and danger. And that means that unwise ideas must have as hearing as well as wise ones .... »).

280 Dans ce sens, J. Kaeane soutient que « The ideal of a unified public sphere and its corresponding vision of a territorially bounded republic of citizens striving to live up to their definition of the public good are absolute. », v. J. Kaeane, « Structural transformations of the public sphere », The Communication review, vol. 1, n° 1, 1995, p. 8.

281 Traditionnellement, l’espace public est le lieu de légitimation du politique, le fondement d’une communauté politique, la scène d’apparition du politique. Pour Kant, trois conditions doivent être réunies pour garantir un véritable espace

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n'est plus un endroit réservé à l'exercice du pouvoir de l’État en tant qu'incarnation de la chose publique, au détriment des échanges interpersonnels situés au sein de la société civile. Il dispose aujourd'hui d'une nouvelle capacité d’autorégulation par son « public participant »282.

91. - En effet, face au nombre d’Internautes toujours en croissance et à la masse de contenus partagés de plus en plus importante et de plus en plus diversifiée, on assiste à l’avènement d’une nouvelle forme de « démocratie directe»283 ou, autrement dit, de « self government ». Le

public présent sur Internet s'assimile à l’ensemble des usagers actifs, qui participent à la vie politique en temps réel. Dans ce sens, ce n'est plus le public au sens traditionnel du terme, considéré comme un ensemble passif de personnes qui réagissent après coup, et dont le rôle est de s'aligner ou de critiquer les gouvernants, mais un organe à part entière dont le rôle est de contrôler l’exercice de la domination politique en veillant à interdire les abus du gouvernement. Grâce aux technologies d'information et de communication, la participation à la démocratie ne se cantonne plus au seul acte de vote une fois de temps en temps. C'est le fait de réellement prendre part, de contribuer284. Internet remplirait ainsi une fonction de dénonciation très

rapide en permettant entre autre de faire remonter des sujets passés sous silence ou de détourner une signification de ce qui s’exprime dans les média . Par son biais, les citoyens participent à la réflexion des gouvernements selon différents modes opératoires : en tant qu'électeurs pour exprimer leur position et donner leur mandat, en tant que membres du corps associatif pour défendre leurs droits et intérêts, de la communauté scientifique pour livrer leur opinion experte ou encore de la société civile pour contribuer aux consultations publiques. Il est aujourd’hui devenu usuel de consulter le programme des partis politiques sur leurs sites web officiels, de créer des blogs de soutien aux candidats aux élections et de suivre les publications effectuées par les hommes et femmes politiques, notamment via des réseaux sociaux tels que Twitter. L’exemple américain de la web-campagne « Maison Blanche 2.0 » est également une démonstration à quel point l’univers numérique est un « élément stratégique de la campagne »285. Pour les candidats politiques, le « droit-participation », tel qu’il est parfois qualifié d’un nouveau droit fondamental sur Internet, avec tous les bénéfices qu’il présente ______________________________

public : la publicité des débats (les problèmes d’intérêt général ne doivent pas rester dans le secret des arcanes du pouvoir, ils doivent être discutés publiquement) ; un public (les citoyens doivent posséder une capacité critique autonome afin de pouvoir prendre part à la discussion, échanger des arguments) ; la liberté (la censure, l’interdiction de rendre publique une pensée est proscrite car elle empêche l’usage libre de la raison, or rien ne serait être au-dessus de la raison dans son usage public, car elle seule peut fonder une politique juste). Dans ce sens, v. ég. une définition très intéressante de l'espace public qui est proposée par L. Quéré : « Sous la première catégorie, il (l'espace public) apparaît comme une aire d'une libre circulation des informations et des idées ou d'une libre confrontation des opinions, conduisant à la formation de la volonté générale. Sous la deuxième, il apparaît comme une scène d'apparition, la scène sur laquelle les personnes et leurs actions sont exposées à la vue de tous, les événements et les situations portés à la connaissance de tout un chacun. Sous la troisième, il apparaît comme un domaine spécifique, la sphère publique, dont le propre est soit de rassembler ou de contenir ce qui est considéré d'intérêt général, soit de mettre en jeu des régulations anonymes des comportements et des relations. », v. L. Quéré, « L'espace public comme forme et comme événement » in « Prendre Place. Espace public et culture dramatique », textes réunis par I. Joseph, Ed. Recherches. Plan urbain, Colloque Cerisy , 1995, p. 96.

282 J. Levrel, « Wikipedia, un dispositif médiatique de publics participants », Réseaux, n° 138, 2006, p. 185-218. 283 L. Sfez, « Internet et les ambassadeurs de la communication », Le monde diplomatique, mars 1999, p. 22-23. 284 B. Vacher, « Communication et débat public : les réseaux numériques au service de la démocratie », Paris, l'Harmattan, 2013.

285 C. Enguehard, « Internet. Avec Obama, bienvenue à la Maison Blanche 2.0 », Jus Politicum, Revue de droit politique et de droit constitutionnel, n° 2, janv. 2009, p. 93.

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pour les citoyens, est progressivement complété par un nouveau « devoir-participation » des candidats politiques dont le succès électoral dépend en grande partie de leur présence et popularité sur le net.

92. - Les avis sur le degré de l’exercice réel par les citoyens de leurs droits démocratiques via les communications électroniques varient considérablement. D’une part, on pourrait considérer que puisque le public en ligne est un public marqué par la pluralité des voix, par la présence d’émetteurs autant que de destinataires, il se caractérisera alors par l’ouverture à l’information et à toutes formes d’enquêtes sur les conditions factuelles de la vie sociétale, etc. Œuvre dans ce sens l’argument selon lequel la communauté virtuelle est fortement mobilisable et recourt régulièrement à la pétition, ce qui a pour conséquence qu'elle a la faculté d'infléchir la politique et d'identifier des problèmes qui n’appartenaient pas à l’agenda des représentants286. De plus,

le cyber-citoyen, qui n’est plus enfermé dans son horizon géographique, contribue au décloisonnement de ses modes d’expression citoyenne et son intervention s’élève de plus en plus à la dimension internationale287.

93. - D’autre part, cependant, les aspects négatifs de la cyberdécmocratie ne doivent pas, pour autant, être méconnus. En effet, en dépassant les solidarités locales, les TIC risquent de les affaiblir, au moment où il n’existe aucun véritable substitut (la conscience de la citoyenneté européenne étant très faible). Dès lors que l’usage de communications électronique est, fondamentalement, un exercice individuel, il peut accentuer la dissolution du lien social en aboutissant à une forme « allégée » de la citoyenneté – celle où une pétition numérique présentant souvent une efficacité très faible interviendra au détriment de formes d’expression déjà en déclin, telles que les manifestations, les réunions et les débats publics288. Par

conséquent, la naissance de la cyberdémocratie est loin d’être un processus achevé et elle doit encore faire face à un nombre de difficulté d’ordre socio-technico-juridique, comme l'incapacité de soutenir la participation de nouvelles initiatives, le besoin de renforcement de la fiabilité de services (notamment en matière du vote électronique et des risques d’usurpation d’identité) ou encore la surcharge d'informations289.

Toutefois, peu importe l’approche qu’on adopte, sans doute Internet constitue non seulement un moyen de rapprochement entre les gouvernants et les gouvernés dans le cadre d'une

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286 J. Zask, « L'Internet, une invitation à repenser la distinction entre public et privé », Cahiers Sens public, 3/ 2008, n° 7-8, p. 145-158.

287 Pour quelques exemples, v. mobilisation contre le général Pinochet en 2000, contestation du sommet de l’OMC à Seattle en 1999, etc.

288 M. Gaillard, « Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication et protection des libertés du citoyen », in M-Ch. Piatti, Les libertés individuelles à l’épreuve des NTIC, éd. Presse Universitaire de Lyon (PUL), 2001, p. 28.

289 J. Bishop, « Increasing participation in online communities: A framework for human–computer interaction », Computers in Human Behavior, 23(2007), 1881–1893; C. Lampe, E. Johnston, « Follow the (Slash) dot : Effects of Feedback on New Members in an Online Community, in International Conference on Supporting Group Work », GROUP '05, Sanibel Island, ACM Press.

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conception d'une démocratie axée sur la représentation et la délégation, mais également d'une plus grande implication des citoyens dans la vie politique de l’État290.

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