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Le droit de la personnalité comme source du droit à la protection de la vie privée

SECTION I. LA PROTECTION DES DONNEES, CONTRIBUTION A LA CONSTRUCTION DE L'IDENTITE D'UN « HOMO NUMERICUS »

§ 1 LA NAISSANCE DU DROIT A LA PROTECTION DES DONNEES A CARACTERE PERSONNEL

A) D'UNE DECLINAISON DU DROIT DE LA PERSONNALITE ET DU DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVEE A LA RECONNAISSANCE D'UN DROIT

1) Le droit de la personnalité comme source du droit à la protection de la vie privée

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302 V. dans ce sens le Baromètre de l’INRIA 2014, « Les Français et le numérique. Bienvenue dans l’ère de l’homo numéricus ! Le pouvoir d’agir… en toute coscience », 2ème éd. mars 2014, adresse : https://www.inria.fr/content/.../Barometre2014_DOSSIER_PRESSE.pdf.

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102. - La protection de la présence de l'individu dans le réseau numérique constitue un « territoire nouveau des droits de la personnalité »303. La personnalité peut être définie comme « l’individu, soit l’ensemble des aspects d’une personne qui la distingue de tous ses semblables

passés, présents ou futurs »304. Les droits attachés à ce concept désignent « l’ensemble des

droits reconnus par la loi à toute personne, en ce qu’ils sont des attributs inséparables de sa personnalité tels que le droit à la vie et à l’intégrité corporelle, le droit à l’honneur et à l’image, le droit au respect de la présomption d’innocence. Ce sont des droits extrapatrimoniaux, dotés d’une opposabilité absolue »305. Leur définition est également donnée par Gérard Cornu, pour

qui les droits de la personnalité sont « les droits inhérents à la personnalité humaine qui appartiennent de droit à toute personne physique (innés et inaliénables) pour la protection de ses intérêts primordiaux »306. Par conséquent, toute tentative de protection de ce que représente la personnalité doit s'attacher à la protection de la diversité de la nature humaine, de ce caractère distinctif des éléments qui composent l'individu en question. Il s'agira donc de protéger sa liberté d'exister sans être dérangé, ainsi que sa dignité. Par ailleurs, le terme, bien que se rapprochant de celui de liberté, ne doit pas être assimilé à celui-ci, puisque « à la limite

du droit subjectif », les droits de la personnalité sont proches des libertés, car tous les êtres en

disposent, mais ils en diffèrent car ils instituent une zone de protection « exclusive de la

concurrence d'autrui »307.

103. - En France, c’est le professeur Raymond Saleilles qui introduit pour la première fois la notion des droits de la personnalité dans son « Essai d’une théorie de l’obligation d’après le

projet de Code civil allemand » publié en 1890308. Pour lui, les droits de la personnalité se trouvent au carrefour du droit civil, du droit pénal et des droits de l’homme. Leur préservation constitue une mise en balance juridictionnelle entre la protection de la personne et d'autres valeurs telles que la liberté d'expression ou les nécessités de la preuve309. A cette fin, différentes valeurs doivent être mises en balance : la liberté de communication, les libertés civiles, la vie privée des personnes ; etc. La notion des droits de la personnalité représente donc une catégorie vaste des droits de la personne dont la protection doit être fondée sur le respect de différentes ______________________________

303 L. Maude, « Les nouveaux territoires des droits de la personnalité », Gaz. Pal., 18-19 mai 2007, p. 22. 304 B. Beignier, « Le droit de la personnalité », PUF, Que sais-je ?, 1992.

305 Lexique des termes juridiques, 19ème éd., Dalloz 2012, p. 305. Il semble intéressant d’observer qu’il existe un mouvement symétrique mais de sens contraire qui a animé le développement des régimes de protection des droits intellectuels et des biens de la personnalité. Cette observation permet de mettre l’accent sur l’aspect patrimonial des droits de la personnalité et non seulement leur caractère extrapatrimonial, tel qu’il est intégré dans la définition de ces droits. En effet, conçu tout d’abord comme un droit patrimonial au monopole d’exploitation, le droit d’auteur a été par la suite enrichi d’une composante morale. En revanche, entendu d’abord comme la maîtrise non patrimoniale reconnue à l’individu sur sa propre personne, le droit au respect de la vie privée a été complété d’un droit à l’exploitation patrimoniale – le droit de publicité (« the right of publicity »). Ceci est d’autant plus vrai lorsqu’on analyse la question de la commercialisation des données à caractère personnel et le prix que ce type de données peut avoir aujourd’hui.

306 G. Cornu, « Vocabulaire juridique », 8ème éd., p 679.

307 M. Goubeaux, « Les personnes, Traité de droit civil, Les personnes », LGDJ, n° 280 et s.

308 R. Saleilles, « Essai d’une théorie de l’obligation d’après le projet de code civil allemand », Hachette Livre BNF, 2012 ; v. ég. B. Beignier, « L’honneur et le droit », LGDJ 1995, p. 45 ; D. Talion, « Les droits de la personnalité », Responsabilité civile, n° 2.

309 J-C. Saint-Paul, « Droit de la personnalité », LexisNexis, 2013. Egal. M. Domingo, « Protection de la vie privée et liberté des médias », Gaz. Pal., 30-31 déc. 1994 ; E. Pierrat, « Protection des droits de la personnalité », Legicom, n° 2, 1996, p. 87-93.

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formes d'exercice par les individus de leurs actes relevant du domaine personnel, tels que les correspondances et les communications, le droit de s'opposer au traitement de données à caractère personnel, le droit à l'image ou encore le droit au nom310. L'exercice des droits de la personnalité s'assimile donc quelque peu à l'exercice de la liberté individuelle au sens large. 104. - Le droit au respect de la vie privée de l’individu est un droit qui s'impose de toute évidence comme une composante fondamentale des droits de la personnalité, dès lors que l’objet spécifique de la liberté de la vie privée est la personne humaine dans sa singularité. Ainsi, la sanction par l'article 9 du code civil d'une atteinte à la vie privée consistant dans la divulgation d'information relevant de la vie privée de la personne (peu importe le mode de divulgation : exposition publique d'un portrait, diffusion d'un journal, projection cinématographique ou télévisuelle, site Internet, etc.) apporte une limite à la liberté d'expression et de communication qui se rapproche des dispositions spéciales de la loi du 29 juillet 1881 permettant la répression d'actes de publication d'informations relatives à la personnalité. Le Conseil constitutionnel a, par la suite, explicitement reconnu que la liberté individuelle est la source du droit à la protection de la vie privée311 de sorte que la méconnaissance de ce droit est susceptible de porter atteinte à la liberté individuelle312.

105 - Or, quand bien même la notion de vie privée constitue l'un des fondements de la société démocratique, il n’existe pas de véritable définition juridique du terme. Il s'agit d’une construction purement jurisprudentielle. A cela s'ajoute le fait que la notion de vie privée est une notion à géométrie humaine variable. Son contenu varie non seulement en fonction des périodes et des pays, mais aussi en fonction des personnes : personnalité publique, prisonnier, personne handicapée, citoyen, etc., ainsi que de leurs perceptions et stratégie individuelles, de sa soumission aux lois et coutumes, de son éducation, etc. Ce qui relèvera de l'ordre public, des « bonnes mœurs », des normes sociales jugées légitimes peut changer à une époque ou d'un pays à l'autre, élargissant ainsi ou rétrécissant l'étendue de la vie privée313. Ce caractère variable de la notion de vie privée résulte du fait qu'elle peut désigner alternativement une revendication de la part des individus ou de la société civile, une situation de fait, une forme de contrôle, un droit garanti légalement ou encore une valeur morale en soi. Parallèlement, elle renvoi à des

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310 Le nom, tout comme ses dérivés que sont la particule ou le pseudonyme, peut bien évidemment subir nombre de violations et d’utilisations illicites sur un réseau multimédia comme sur tout autre média ; v G. Cornu, « Droit civil TI », Montchrestien, Précis Domat, 1985. Dans ce sens, il peut s'agir non seulement des noms des personnes mais également des noms de domaines.

311 Cons. Const. N° 99-416 DC, 23 juill. 1999. Dans le considérant 45 sur la carte vitale lu juge estime que « la liberté proclamée par l'art. 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen implique le respect de la vie privée ». V. D. 2000, p. 265, obs. Marino ; Comm., comm. électr. 1999, comm. 52, note Desgorges ; RTD civ. 1999, p. 725, obs. N. Molfessis. 312 Cons. const., 18 janv. 1995, n° 94-352 DC : JO du 21 janv. 1995 ; Cons. const., 23 juill. 1999, n° 99-416 DC : JO du 28 juill.1999; Cons. const., 9 nov. 1999, n° 99-419 DC : JO du 16 nov.1999.

313 F. Rochelandet, « Economie des données personnelles et de la vie privée », La Découverte, Paris, 2010, p. 6-7 ; F. Rigaux, « La protection de la vie privée et des autres biens de la personnalité », Brulyant, Bruxelles, 1998, in Tabatoni, « La protection de la vie privée dans la société d'information », Tome I, PUF, col. Cahier de sciences morales et politiques, Paris, 2000. Pour l'auteur, « Il est impossible, et au surplus inutile, de définir la vie privée, et le mur de la vie privée n'est qu'une limite stratégique qui se déplace au gré des circonstances ».

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dimensions différentes : informations à caractère personnel, accès physique et virtuel, identité et autonomie individuelles, etc314.

106. - Faute de précision quant à ces différents niveaux, les débats sont parfois confus et improductifs. Dans ce contexte, la jurisprudence européenne a très tôt procédé à la reconnaissance du « droit plus général au respect de la vie privée »315 à travers les décisions rendues en matière de secret des correspondances316 et de droit à l'image317. La logique d’un tel raisonnement est que les éléments relevant de la vie privée d'une personne sont protégés par le secret des correspondances contre l'investigation, la fouille, la prise de connaissance par un tiers, et par le droit à l'image contre la publication, la révélation au public. Ainsi, le consentement préalable de la personne se retrouve au centre de ce régime de protection, comme condition indispensable pour toute divulgation licite des éléments de la vie privée d'un individu318. Or, la fragilité d'une telle conception réside dans le fait que le droit au respect de la vie privée ainsi construit est un droit subjectif qui ne se prête pas facilement à une quelconque standardisation nécessaire pour l'adoption d'une véritable règle de droit. Par conséquent, son interprétation va évoluer au gré du temps, avec comme tendance l'objectivation des éléments relevant de la vie privée, définis notamment par opposition à la vie publique319, mais tout en convenant que les frontières entre les deux sont incertaines et évolutives et que la volonté de la personne concernée continue à jouer un rôle320.

Ensuite, la CJCE reconnaîtra en 1969 au droit au respect de la vie privée la valeur d'un principe général du droit communautaire, en s'engageant à en assurer le respect321. Plus tard, le juge français considérera que le droit à la protection de la vie privée est un « droit pour une personne

d'être libre de mener sa propre existence comme elle l'entend avec le minimum d'ingérences extérieures »322.

107. - Au-delà de cette jurisprudence fluctuante et peu homogène, les législations adoptées en la matière ne fournissent pas, elles non plus, de solutions uniformes. En Europe même, les divergences sont importantes entre, par exemple, l’Espagne qui a inscrit la notion de vie privée ______________________________

314 R. Gavison, « Privacy and the limits of law », Yale Law Journal, vol. 89, n° 3, p. 421-471. 315 P. Kayser, « Les droits de la personnalité : Aspects théoriques et pratiques », p. 78, n° 69.

316 R. Lincoln, « Les droits de la personnalité. Dictionnaire juridique », 1993, verbo Lettres confidentielles, p. 135. 317 Dans ce sens, v. Trib. de la Seine, 16 juin 1858, R. Lindon, « Dictionnaire juridique », Les droits de la personnalité, 1983, Dalloz, p. 248 et 249 ; Cass. Civ. Rej. 14 mars 1900, D. 1900.I.497, note Planiol : à propos du refus du peintre de livrer un portrait au commanditaire, l'artiste ne peut en faire « un usage quelconque avant d'en avoir modifié l'aspect, de manière à le rendre méconnaissable ». Ainsi, même si la reproduction de l'image d'une personne est réalisée avec son consentement, celle-ci conserve des droits sur cette reproduction et l'usage qui en est fait.

318 CA Paris, 16 mars 1955, Gaz. Pal. 1955, I, p. 376 ; JCP 1955, II, n° 8656.

319 R. Badinter, « Le droit au respect de la vie privée », JCP 1968, I, n° 2136 ; Nerson, « La protection de l'intimité », J. des T., 1959, p. 713.

320 J-C. Saint-Pau, « Jouissance des droits civils. Droit u respect de la vie privé. Définition conceptuelle du droit subjectif », JCl civ, fasc. n° 10, avr. 2010, n° 93 ; L. Martin, « Le secret de la vie privée », RTD civ., 1959, p. 230 ; R. Lindon, « La presse et la vie privée », JCP, 1995, I, n° 1887 ; « Vie privée : un triple « dérapage » », JCP, 1970, I, n° 2336.

321 CJCE, n° 29-69, Stauder c/ Ville d'Ulm, 12 nov. 1969.

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dans sa constitution de 1978323 et le « right of privacy » anglo-saxon. Avant l'adoption du « Human Right Act »324 en 1998, à l'analyse des décisions de la Cour d'appel de Londres, on s’aperçoit que pour les juges « il n'existe aucune protection de la vie privée »325 dans le droit

britannique. Les magistrats étaient donc amenés à détourner la finalité d'autres dispositions pour garantir la protection de la vie privée, en sanctionnant, par exemple, la publication d'articles et de photos au sujet d'une célébrité ayant eu un accident de voiture sur la base du délit de diffamation ou de « malicious falsehood » (« mensonge malveillant »). Cette situation résultait notamment du fait qu'on ne voulait pas que l'étendue de la liberté d'expression soit réduite par les règles protectrices de la vie privée. Ce n'est donc qu'en 1998 qu'avec le « Human

Rights Act » la Grande Bretagne s'est dotée d'un véritable cadre législatif pour protéger la vie

privée des individus, en incorporant dans son système normatif les dispositions de la Convention EDH, en permettant à ses citoyens d’invoquer directement l'article 8 de la Convention devant les juridictions ordinaires326. La directive du 24 octobre 1995 est le premier texte communautaire dans ce domaine qui tend à réduire les disparités existantes entre les législations nationales327.

108. - Aux Etats-Unis, alors que le Premier Amendement constitue le socle des libertés individuelles, la reconnaissance constitutionnelle de la vie privée s'est faite de manière beaucoup plus dispersée. Étant donnée l’ambiguïté de la notion de la vie privée, celle-ci n'a jamais vraiment été inscrite dans le texte constitutionnel américain. En l’absence de fondement textuel, le juge américain s'est initialement servi des quatrième et cinquième amendements pour assurer, respectivement, l'interdiction des fouilles et saisies non raisonnables et les garanties procédurales reconnues aux individus. Les interprétations indirectes du Premier Amendement ont également permis parfois de protéger la vie par ce biais328. Actuellement, deux amendements de la constitution américaine sont considérés comme les principaux fondements de la protection de la vie privée, grâce à des interprétations audacieuses données par les Hauts Magistrats. Il s'agit du neuvième et quatorzième amendement, le neuvième prévoyant que « l'énumération dans la Constitution de certains droits ne saurait être comprise ______________________________

323 La Constitution espagnole du 29 déc. 1978 dispose dans son art. 18 que « le droit à l'honneur, à l'intimité personnelle et familiale et à sa propre image est garanti. (…) La loi limitera l'usage de l'informatique pour garantir l'honneur et l'intimité personnelle et familiale des citoyens et le plein exercice de leurs droits ».

324 Human Rights Act, 9 nov. 1998, entré en vigueur le 2 oct. 2000. V. I. de Lairg, « Le législateur, la liberté et le droit : le système britannique et le système français », D. 2003, Chroniques, p. 2103 ; J. Straw, « The Human Rights Act 1998 and the European Convention on Human Rights », déc.1998.

325 Cour d'appel de Londres, affaire Kaye c/ Robertson, 23 févr. 1990: « it is well known that in English law there is no right to privacy ».

326 J-M. Lacoste, « Pour une pleine et entière reconnaissance du droit à la protection des données à caractère personnel », thèse, 25 nov. 2008, p. 37. V. ég. A. Harchoux, « Le droit au respect de la vie privée au Royaume-Uni », Gaz. Pal. n° 264, 21 sept. 2006.

327 E. Pierrat, « Protection des droits de la personnalité », Légicom, n° 12, 1996/2.

328 V. A. Delachambre-Griffon, « La liberté de la vie privée dans la jurisprudence de la Cour Supreme des Etats-Unis – Réflexions comparatives sur les enseignements de l'expérience américaine », thèse s. dir. de G. Scoffoni, janv. 2002. Ainsi, dans l'affaire Gilbert c/ Minnesota (254 U.S. 352 (1920)), il a été considéré que le Premier Amendement protégeait la vie privée et la liberté dans la maison. Dans l'affaire National Association for the Advancement of Colored People c/ Alabama, 357 U.S. 449 (1958), le juge a protégé la liberté de la vie privée par l'intermédiaire de la liberté d'expression et de la liberté d'association, en considérant que la communication de la liste d'adhérents d'une association n'est pas justifiée par des motifs suffisamment importants au regard des garanties constitutionnelles de ces derniers

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comme déniant ou restreignant d'autres droits conservés par le peuple », et le quatorzième

incluant une clause de sécurité juridique (due process clause).

109. - De manière générale et étant donné l'absence d'une définition juridique, une définition abstraite de la vie privée pourrait être proposée329, pouvant se résumer à l'idée selon laquelle

« la vie privée est cette partie de la vie qui n'est pas consacrée à une activité publique et où les

tiers n'ont en principe pas accès, afin d'assurer à la personne le secret et la tranquillité auxquels elle a le droit »330. Dans ce sens, elle se définit comme la liberté d’entretenir des

relations avec d’autres individus à l’abri de toute ingérence extérieure. Traditionnellement, le privé signifie ce qui ne concerne pas le gouvernement. En effet, la protection de la privacy des personnes était initialement assurée dans les rapports entre les citoyens et l’administration, en protégeant ces premiers contre toute immixtion de la seconde, sauf si celle-ci y est autorisée par la loi dans les limites fixées par les libertés constitutionnelles331.

C'est sous cet angle que le droit à la vie privée est consacré d'abord par l'article 12 de la DUDH332 et ensuite par l'article 8 de la Convention EDH qui reconnaît à toute personne le droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses correspondances. Cet article protège aussi l'individu contre les intrusions arbitraires des pouvoirs publics – et uniquement de leur part – dans sa vie privée. Ces dernières ne sont donc tolérées qu'en tant que mesure exceptionnelle explicitement prévue dans la loi et nécessaire dans une société démocratique sur des sujets touchant à l'ordre public et aux droits de l'individu. Seule donc l'atteinte par l'autorité publique est envisageable par le texte.

110. - Or, deux auteurs américains, Samuel D. Warren et Louis D. Brandeis, ont pour la première fois défini le droit au respect de la vie privée en l’associant au concept du « droit

d’être laissé seul » ou « the right to be left alone »333, mais avec leur apport original qui

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329 Tout en gardant à l'esprit que pour certains, une définition abstraite n'est pas envisageable et il convient plutôt de se résoudre à une casuistique jurisprudentielle présentée sous la forme d'une liste dont l'exhaustivité serait relative. En ce sens, v. CEDH, 8 janv. 2009, n° 29002/06, Schlumpf c/ Suisse, § 100 : « la notion de « vie privée » est une notion large, non susceptible d'une définition exhaustive ». Pour R. Badinter, les dimensions du domaine qu'englobe la vie privée « s'avèrent singulièrement variables », v. R. Badinter, « Le droit au respect de la vie privée », JCP G, 1968, I, 2136.

330 A. Roux, « La protection de la vie privée dans les rapports entre l'Etat et les particuliers », thèse, Economica – Presses Universitaires Aix-Marseille, 1983.

331 La légitimité de l'existence de l'espace privé, distinct de la vie collective de la communauté, découle de la philosophie des Lumières et des principes posés par les théoriciens du libéralisme politique. Pour B. Constant, la « liberté des Modernes » se conçoit comme la préservation des droits de l'individu et de sa sphère privée face aux immixtions de la puissance publique, v. B. Constant, « Principes de politique, chapitre premier », cité par P. Manent dans « Histoire intellectuelle du libéralisme », Hachette Littératures, 1987, p. 186.

332 Art. 12 de la DUDH : « nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a le droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ». Le même terme d'« immixtions arbitraires » sera par la suite reproduit par la Convention de New-York du 26 janv. 1990 sur les droits de l'enfant qui prône également en son art. 16 le refus des « immixtions arbitraires » dans la vie privée.

333 S. D. Warren, L. D. Brandeis, « The right to privacy », Harvard Law Review, vol. IV, 15 déc. 1890, n° 5, p. 193-

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