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LES BOULEVERSEMENTS DES REGLES JURIDIQUES PROVOQUES PAR L’AVENEMENT DES COMMUNICATIONS ELECTRONIQUES

SECTION I. LE REAMENAGEMENT DES LIBERTES INDIVIDUELLES DANS LE CONTEXTE NUMERIQUE

§1 LA REDEFINITION DES CONTOURS DES LIBERTES INDIVIDUELLES DANS LES COMMUNICATIONS ELECTRONIQUES

A) LES BOULEVERSEMENTS DES REGLES JURIDIQUES PROVOQUES PAR L’AVENEMENT DES COMMUNICATIONS ELECTRONIQUES

8. - Les textes législatifs qui ont été initialement conçus pour défendre la liberté de la presse, et qui sont donc largement antérieurs à l’émergence d’Internet, voient certaines de leurs dispositions s’appliquer directement. Certains d'entre eux ont, par ailleurs, été réformés pour encadrer juridiquement l'envahissement du secteur de la publication par des solutions dématérialisées33. Mais ces règles sont loin d’être suffisantes et on aurait pu penser que,

s’agissant de communications électroniques, ce sont les règles du droit de la communication audiovisuelle qui seraient les plus pertinentes. En effet, le cas de la télévision qui est le moyen principal de la communication audiovisuelle se rapproche d'Internet quant aux caractéristiques techniques, étant donné sa large diffusion dans la société. Ainsi, différents États réglementent généralement le secteur audiovisuel par une loi, parfois même dans leur texte constitutionnel. A ce titre, par exemple, la Cour d’arbitrage de Belgique a prévu que les programmes télévisés pouvaient constitutionnellement être soumis à un contrôle de leurs propos destiné à protéger la jeunesse. Elle a considéré que les propos télévisés pouvaient aussi être soumis à un contrôle d’une autorité administrative sans que la liberté d’expression se voie brimée de façon excessive. L’expression télévisuelle est aussi limitée par des considérations techniques.

9. - Or, le législateur français a préféré aller plus loin. Ainsi, aux côtés du droit de la presse papier et de l’audiovisuel, une nouvelle catégorie de règles a progressivement vu le jour. En effet, la loi n° 2004-575 pour la confiance dans l’économie numérique (loi LCEN34) confirmait, en son article 1er, la création d’une nouvelle catégorie générique : la « communication au public

par voie électronique », qui se subdivise en « communication audiovisuelle » et en « communication au public en ligne ». Concernant la « communication audiovisuelle », elle est

définie par l’article 2 du texte comme « toute communication au public de services de radio ou

de télévision, quelles que soient les modalités de mise à disposition auprès du public, ainsi que toute communication au public par voie électronique de services autres que de radio et de télévision et ne relevant pas de la communication au public en ligne ». Pour sa part, la

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31 Ph. Achilleas, « Internet et libertés », JCl. Lib., Fasc. 820, n° 17.

32 E. Derieux, « Les principes du droit de la communication en droit européen et international », Légipresse 2000, II, n° 172, p. 63.

33 V. notamment le décret n° 2007-1527 du 24 oct. 2007 relatif au droit de réponse en ligne ; le décret n° 2009-1340 du 29 oct. 2009 portant réforme du régime juridique de la presse ; le décret n° 2009-1379 du 11 nov. 2009 relatif au fonds d’aide au développement des services de presse en ligne.

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« communication au public en ligne » doit être entendue comme « toute mise à disposition du

public ou de catégories de public, par un procédé de communication électronique, de signes, de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature qui n'ont pas le caractère d'une correspondance privée. »35. Il en résulte deux observations.

D’une part, les contenus communiqués par voie électronique peuvent avoir un caractère public (publications sur les blogs, les forums de discussion, etc.) ou privé (les e-mails, les publications protégées par un moyen d'identification ou un mot de passe, etc.). Lorsque le contenu n’a pas le caractère d’une correspondance privée, il est considéré comme étant destiné au public. D’autre part, dès lors que les contenus sont destinés au public, une distinction est généralement opérée entre ceux qui relèvent de la communication au public en ligne et ceux qui sont rattachés à la communication audiovisuelle. Comme nous avons vu, la définition de la communication audiovisuelle repose, en partie, sur l’énumération des services qui la composent. En effet, elle regroupe les services de radio, les services de télévision et les services de médias audiovisuels à la demande. Par ailleurs, un contenu qui ne serait pas susceptible d’être regardé comme étant de la radio ou de la télévision et qui ne relèverait pas de la communication au public en ligne est également rattaché à la communication audiovisuelle. Ce serait par exemple le cas d’un guide électronique de programmes, composé de contenus fixes qui seraient mis à la disposition du public sans que le téléspectateur puisse choisir le moment où il procède au visionnage de ces programmes. A contrario, doit être exclu du champ de la télévision le service de « web caméra » qui permet de mettre à la disposition du public des images captées par la caméra sans qu’il y ait une intervention éditoriale quelconque. Par conséquent, la condition d’existence d’une grille de programmes structurée n’est pas en l’occurrence respectée36. De même, un site

Internet composé d’images fixes ou de vidéos pouvant être visionnés à la demande par le public ne peut être regardé comme appartenant à la télévision, voire à la communication audiovisuelle. En réalité, il s’agit de la transmission de contenus sur demande individuelle et le service relève alors de la communication au public en ligne.

10. - Il reste que, avec le mouvement de convergence entre les techniques de communication audiovisuelle et celles de télécommunications, ainsi que face à l’assouplissement des règles juridiques au cours de dernières années, ni la méthode de transmission ni le nombre de destinataires ne semblent plus aujourd’hui suffisants pour pouvoir faire la distinction entre ce qui relève de la communication au public en ligne et ce qui relève de la communication audiovisuelle. Par exemple, les programmes de télévision tels que le télé-achat ou les concours ______________________________

35 La séparation de ces deux régimes, a savoir de la communication audiovisuelle et de la communication au public en ligne, a par ailleurs pour conséquence leur soumission à une autorité de contrôle différente. Ainsi, alors que l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes est compétente pour les activités relevant des communications au public en ligne, c’est le Conseil de l’audiovisuel qui se chargera dans le domaine de la communication audiovisuelle. 36 C'est la condition posée par la loi n° 86-1067 du 30 sept. 1986 qui dispose que, pour être qualifié de télévision ou de radio, le service qui est mis à la disposition du public doit être composé d’une grille de programmes structurés qui sont visionnés ou entendus de façon simultanée par les téléspectateurs et non au moment choisi par ces derniers. Cette définition est valable quel que soit le réseau de communications électroniques où le service est présent et ce, au nom du principe de neutralité technologique. Ainsi, un service qui ne serait présent que sur Internet doit être regardé comme appartenant à la télévision ou à la radio si ses caractéristiques correspondent à la définition ci-dessus.

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nécessitant l’envoi de sms pour élire le gagnant, acquièrent un caractère de plus en plus interactif en permettant aux téléspectateurs d’avoir une réelle place dans l’émission diffusée. Dans ce sens, la détermination par la loi LCEN du régime juridique applicable à certains contenus audiovisuels apparus récemment sur Internet n’en a pas été clarifiée et demeure aujourd’hui source d’interrogations.

11. - La distinction entre la communication audiovisuelle et la communication au public en ligne s'efface peu à peu, ce dont témoigne l'apparition des textes législatifs applicables spécifiquement aux nouveaux services accessibles sur Internet. A ce titre, les droits communautaire et français ont tiré les premières conséquences de ces évolutions en créant la catégorie des services non linéaires de médias audiovisuels à la demande (SMAd). Ainsi, en application de l'article 2 de la loi du 30 sept. 1986 ci-dessus visée, est considéré comme service de médias audiovisuels à la demande, tout service de communication au public par voie électronique permettant le visionnage de programmes au moment choisi par l'utilisateur et sur sa demande, à partir d'un catalogue de programmes dont la sélection et l'organisation sont contrôlées par l'éditeur de ce service. Sont exclus les services qui ne relèvent pas d'une activité économique au sens de l'article 256 A du code général des impôts, ceux dont le contenu audiovisuel est secondaire, ceux consistant à fournir ou à diffuser du contenu audiovisuel créé par des utilisateurs privés à des fins de partage et d'échanges au sein de communautés d'intérêt, ceux consistant à assurer, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le seul stockage de signaux audiovisuels fournis par des destinataires de ces services et ceux dont le contenu audiovisuel est sélectionné et organisé sous le contrôle d'un tiers37. Situés à l'intersection de deux régimes – de la communication audiovisuelle et des

nouveaux médias audiovisuelles apparues avec Internet – les SMAd sont donc placés sous le contrôle du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel.

12. - Par ailleurs, les technologies telles que le streaming, qui se sont démocratisées grâce à une utilisation massive des smartphones, des tablettes et des téléviseurs connectables à Internet, ont permis une multiplication des acteurs proposant des contenus audio et vidéo via Internet. De plus, les contenus vidéo ne sont pas uniquement disponibles via les services de télévision et de la radio dits « de rattrapage » (ex. M6Replay, RadioFrance.fr) ou des vidéos à la demande (ex. Canalplay, Universcience.tv), mais également sur les sites de journaux en ligne (ex. lemonde.fr, huffingtonpost.fr, etc.), les réseaux sociaux (ex. Facebook, Twitter), ou encore les sites de partage de vidéo (ex. YouTube, DailyMotion). Des programmes audiovisuels linéaires, qui dépendent en règle générale de groupes de médias, sont également proposés en retransmission simultanée sur Internet, partielle (les matchs de football diffusés par TF1 par exemple) ou totale (France 24, BFMTV, AlJazeera.net). Or, le régime juridique audiovisuel, pensé initialement pour les médias linéaires (radio et télévision), est aujourd’hui affecté par ces évolutions technologiques liées au développement du streaming, mais également des plateformes de vidéos à la demande38. Ce type de plateformes présente un caractère double et il est donc

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37 Une offre composée de services de médias audiovisuels à la demande et d'autres services ne relevant pas de la communication audiovisuelle ne se trouve soumise à la présente loi qu'au titre de cette première partie de l'offre.

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difficile de les soumettre à un des deux régimes juridiques disponibles – de communication audiovisuelle ou de communication au public en ligne. Le risque qui en découle de la confusion des régimes de responsabilité applicables pour la publication de contenus est nocif aussi bien aux utilisateurs des services qu’aux prestataires eux-mêmes qui ne savent pas toujours par quelles règles ils sont liés précisément. En effet, certains sites, tels que Dailymotion, développent une activité classique d’hébergement de contenus générés par les utilisateurs, mais aussi une activité de validation et de valorisation de vidéos soumises par des Internautes, et une activité de diffusion des contenus de partenaires professionnels, comme Arte. Son activité principale semble a priori exclu du champ d'application de la loi de 1986, son article 2 excluant explicitement des SMAd les services « consistant à fournir ou à diffuser du contenu audiovisuel

créé par des utilisateurs privés à des fins de partage et d’échanges au sein de communauté d’intérêt ». Or, les deux dernières activités se rapprochent de la définition d’un SMAd, qui

comporte selon la loi de 1986 un « catalogue de programmes dont la sélection et l’organisation

sont contrôlées par l’éditeur de ce service ». La possibilité semble donc ouverte de subdiviser

une offre de service en différentes sous-catégories soumises à des régimes différents. Un débat en découle sur le statut juridique, hébergeur ou éditeur au sens de la LCEN, de telles activités. Si le TGI et la Cour d’Appel de Paris ont reconnu aux sociétés Tiscali et Myspace la qualité d’éditeur en raison du caractère économique de leur activité et de leur rôle de mise en page39,

le TGI de Paris a ensuite rejeté ces critères dans un arrêt du 15 avril 200840. La question reste

donc ouverte pour savoir si la qualification d’éditeur de services de communication au public ne serait pas applicable à certaines activités des sites collaboratifs de partage de contenus, leur donnant ainsi une responsabilité plus grande, sans pour autant sortir du cadre de la LCEN. Or, dans l'arrêt le plus récent41, la Cour de cassation a considéré que dès lors que « le réencodage de nature à assurer la compatibilité de la vidéo à l'interface de visualisation, de même que le formatage destiné à optimiser la capacité d'intégration du serveur en imposant une limite à la taille des fichiers postés, sont des opérations techniques qui participent de l'essence du prestataire d'hébergement et qui n'induisent en rien une sélection par ce dernier des contenus mis en ligne, que la mise en place de cadres de présentation et la mise à disposition d'outils de classification des contenus sont justifiées par la seule nécessité, encore en cohérence avec la fonction de prestataire technique, de rationaliser l'organisation des services et d'en faciliter l'accès à l'utilisateur sans pour autant lui commander un quelconque choix quant au contenu qu'il entend mettre en ligne ; l'exploitation du site par la commercialisation d'espaces publicitaires n'induit pas une capacité d'action du service sur les contenus mis en ligne »,

Dailymotion est bien fondé à revendiquer le statut d'intermédiaire technique au sens de cet article 6-I-2 de la loi LCEN. Dans ce sens, la fourniture de moyens techniques ne peut donc en aucun cas être assimilée à un acte contrefaisant. Or, à la difficulté de qualification du statut d’intervenant en ligne et des règles de responsabilité applicables persiste toujours et les ______________________________

télécommunication utilisant le protocole Internet (IP) ». Rapport au CNC de la mission sur le développement des services de vidéo à la demande et leur impact sur la création, S. Hubac, déc. 2010. La France est le premier pays au monde pour la télévision à la demande (TVIP) avec un taux de pénétration de 14,4% en 2009.

39 CA Paris, 7 juin 2006, Tiscali Media c/ Dargaud Lombard et Lucky Comics; TGI Paris, ord. réf., 22 juin 2007, Jean- Yves L. dit Lafesse c/ Myspace.

40 TGI Paris, 15 avr. 2008, Jean-Yves L. dit Lafesse c/ Dailymotion. 41 Cass., 1ère ch. civ., 17 févr. 2011, n°09-67896.

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solutions retenues s’avèrent parfois très controverses, comme en témoigne par exemple une récente décision de la CEDH datant du 16 juin 201542. Dans cette espèce, dont l’issue était très

attendue et qui a suscité de nombreux débats sur le statut d’intermédiaires techniques, la Cour des Droits de l’Homme a considéré que ne constitue pas une violation de l’article 10 de la Conv. EDH protégeant la liberté d’expression le fait de tenir un exploitant à titre commercial d’un portail d’actualités en ligne responsable des commentaires injurieux publiés par les Internautes. En réalité, le juge européen estimait que le site web contrôlait la publication de messages comportant les insultes, d’où ressortait qu’il ne pouvait pas être considéré comme un intervenant ayant des activités purement techniques, automatiques et passives au sens de la directive 2000/31/CE sur le commerce électronique.

13. - De plus en plus, on peut relever une cohérence du droit des médias par la mise en facteur commun de toutes les dispositions applicables à tous les services de communication au public par voie électronique, par opposition à la correspondance privée. Ainsi, les principes de la liberté de communication et des limitations qui peuvent leur être apportées figurant aux deux premiers alinéas de l’article 1er de la loi du 30 septembre 1986 qui régit la communication

audiovisuelle, sont retranscrits dans le texte appelé à régir l’Internet. Il en est de même pour les définitions essentielles. Ainsi seront traitées de façon unifiée toutes les questions communes aux médias et aux services, quel que soit leur mode de mise à disposition au public, comme par exemple le statut des journalistes ou la responsabilité éditoriale. Dans certains pays, cette cohérence de règles entre les communications au public en ligne et les communications audiovisuelles est tellement forte que leur régulation a été confiée à un seul et même organe. L'Italie a été l'un des précurseurs avec la création de l'Autorità per le garanzie nelle comunicazioni (AGCOM) en 1997. Celle-ci est une instance de régulation indépendante chargée de la régulation du secteur de la communication, ce qui comprend les télécommunications, l'audiovisuel (radio, télévision, nouveaux médias) et la presse.Au Royaume-Uni, par exemple, une instance de régulation unique, l'Ofcom (Office of Communications) couvre la radiodiffusion, la publicité, Internet, les télécommunications et la presse. En Finlande, l'Autorité de régulation de la communication finlandaise (FICORA), est également une instance de régulation unique, responsable des questions concernant les communications électroniques (y compris la télévision et la radio) et les services de la société de l'information. Enfin, aux États-Unis, la Federal Communications Commission (FCC), créée par le Communication Act de 1934, est chargée de réguler les télécommunications ainsi que les contenus des émissions diffusées par la radio, la télévision et Internet. Son contrôle sur les contenus est restreint en raison de la conception extensive de la liberté d’expression garantie par le premier amendement à la Constitution

Par conséquent, sous son apparence d’un média nouveau, Internet sert aussi de nouveau support aux trois grands médias de masse classiques. En effet, ce qu’on appelle le multimédia combine ______________________________

42 Delfi AS c/ Estonie, req. n°64569/09, adresse : http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-155627. Il est toutefois intéressant d’observer l’argumentaire du juge qui, pour rendre la décision, s’est basé sur de tels éléments comme le manquement de la société propriétaire du site web d’avoir empêché les messages litigieux, le profit tiré par cette société du fait de la publication des messages ou encore la garantie d’anonymat que cette société offrait aux auteurs des messages.

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l’emploi de tous les médias traditionnels : de l’écrit, du son et de l’image. Les règles doivent donc être adaptées car les réglementations basées sur la différenciation établie en fonction du type de contenu audiovisuel perdent en pertinence face à la convergence numérique progressive43.

B) L’EVOLUTION DU CONTENU DE LA LIBERTE D’EXPRESSION ET DE

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