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Chapitre 2 : Marché et historique de la réglementation

A. Marché des produits structurés en Suisse

1. Quelques chiffres

a) Du premier GROI à la crise de 2007

C’est en 1991 que le premier produit structuré (un GROI) semble avoir été émis en Suisse par la SBS (devenue par la suite UBS SA)94. Pendant les premières années qui suivirent, le marché des produits structurés est essentiellement resté un marché de professionnels.

Entre 1995 et 1999, le nombre des émissions a rapidement augmenté : 1'346 produits structurés ont fait l’objet d’une annonce d’émission. Plus de la moitié (679), représentant un peu moins de la moitié du volume total des émissions (CHF 25'610 mio sur un volume total de CHF 57'940 mio), ont été émis en 1999.

En 1997, les produits structurés ont été introduits à la bourse suisse. Dès cet instant, ils sont devenus beaucoup plus accessibles aux investisseurs ce qui a permis un véritable essor du marché des produits structurés en Suisse95 comme le montrent les quelques statistiques qui suivent. De 1997 et 2000, le nombre de produits structurés cotés est passé de 784 à 2'347. Il a continué à progresser les années suivantes. S’agissant des produits structurés non cotés en bourse les chiffres sont beaucoup plus difficiles à évaluer. On a toutefois parlé d’un marché qui pouvait être entre cinq et huit fois supérieur à celui des produits cotés96.

Fin 2005, les produits structurés représentaient 4,52% des avoirs en dépôt auprès des banques sises en Suisse97. Ce chiffre est relativement modeste en comparaison des titres de participation (37,1%), obligations (30,1%) et des fonds de placement (26,2%) mais il est significatif si l’on prend en compte la nouveauté des produits structurés.

b) De 2008 à fin 2013

94 WOHLWEND (2004), p. 188 ; CONTRATTO (2006), Regulierung von Derivaten im schweizerischen Recht, p. 15. Pour un aperçu du marché des produits structurés dans le monde, voir RIEGER (2009), p.

351 ss.

95 Voir notamment WILDING/VOLKART, Strukturierte Produkte aus Anlegersicht, (2007) p. 814 ; AMMANN/ISING (2007), p. 573 ; WOHLWEND (2004), p. 2 ; CONTRATTO (2006), Regulierung von Derivaten im schweizerischen Recht, p. 15.

96 GARESSUS (2006), 600000 personnes détiennent des produits structurés en Suisse.

97 Depuis octobre 2005, la Banque nationale suisse recense le montant total des dépôts en produits structurés de clients suisses et étrangers auprès des banques suisses dans son Bulletin mensuel de statistiques économiques ; voir www.snb.ch/fr.

47 Entre 2008 et fin 2013, le marché des produits structurés a connu un revirement de tendance suite à la crise financière démarrée courant 2007. Jusqu’en 2008, la part des produits structurés dans les dépôts des établissements bancaires suisses n’avait cessé d’augmenter, atteignant un pic de 6,5% en 2008. Par la suite, cette part a diminué continuellement, pour se situer en décembre 2013 à 3,61% des avoirs en dépôt98. Le chiffre d’affaires de la bourse suisse de produits structurés (SIX Structured Products Exchange) est également sur le déclin depuis 2008, nonobstant l’augmentation du nombre des émissions (21'038 pour l’année 2007, 35'493 pour l’année 2012 et 34'305 pour l’année 2013)99.

Depuis 2006, l’Association Suisse Produits Structurés (ASPS) publie, sur la base des statistiques émises par la BNS, la répartition des produits structurés dans les dépôts des établissements bancaires suisses susmentionnés détenus par la clientèle institutionnelle, commerciale et privée. De ces chiffres, il ressort que cette répartition est restée relativement stable : la clientèle des produits structurés est constituée en majorité d’institutionnels qui détenaient de 2006 à fin 2013 entre 50 à 60% des produits structurés ; la part des investisseurs privés représentaient entre 35 et 40% ; quant à la clientèle commerciale, elle n’a investi que marginalement dans ce type d’instruments financiers, soit entre 5 et 10%100. Nonobstant l’effet de la crise financière et le retentissement de la faillite de la banque Lehman, la proportion des investisseurs privés est restée plutôt stable.

Il est intéressant de relever que selon l’ASPS les produits structurés détenus par la clientèle privée sont, dans plus de la moitié des cas, acquis par l’intermédiaire d’un gérant de fortune101. Cela signifie également que la proportion des produits structurés acquis à l’initiative de l’investisseur est presque aussi importante.

Aucune statistique suisse n’a été réalisée sur la représentation des investisseurs de produits structurés par rapport à l’ensemble des investisseurs, ni ce qu’un tel investissement représentait par rapport à l’ensemble de leur portefeuille de titres. En Allemagne, des études ont mis à jour que 6% des investisseurs non institutionnels détenaient des certificats (soit certains types de produits structurés) et que ceux-ci représentaient un investissement comparable aux actions et aux placements collectifs102.

98 ASPS, Rapport sectoriel produits structurés, février 2014, p. 7 ; la part des produits structurés représentait en moyenne annuelle 5,61% en 2009 ; 4,88% en 2010 ; 4,75% en 2011 ; 4,25% en 2012 et 3,89% en 2013.

99 ASPS, Rapport sectoriel produits structurés, décembre 2012, p. 10 et 12.

100 ASPS, Rapport sectoriel produits structurés, décembre 2014, p. 8.

101 ASPS, Rapport sectoriel produits structurés, décembre 2014, p. 8.

102 FRITZSCHE (2012), p. 106 et réf. cit.

48 2. Facteurs de développement

Le succès qu’ont connu les produits structurés à la fin des années 1990 n’aurait pas été possible sans la préexistence de conditions propices à l’épanouissement de ce marché.

Ces raisons sont, à notre avis, essentiellement de deux ordres, à savoir l’essor des instruments dérivés et un environnement juridique favorable.

a) Expansion des instruments dérivés

Le développement des produits structurés doit être replacé dans le contexte plus large de l’essor des instruments dérivés. Comme nous le verrons plus tard, les produits structurés ne sont qu’une forme, parmi d’autres, d’instruments dérivés. Leur développement dans les années 1980 n’est pas le fruit du hasard mais a été induit par celui, préalable, d’autres instruments dérivés plus simples103.

Les instruments dérivés sont connus depuis l’antiquité. Néanmoins, ils ont connu au début des années 1970 une expansion importante. De nombreuses causes ont insufflé cet élan parmi lesquelles la publication en 1973 du modèle Black-Scholes utilisé pour l’évaluation des options et le lancement la même année de la première bourse d’options sur actions par le Chicago Board of Trade104. Le développement de l’ingénierie financière et la mise sur pied d’un marché réglementé vont, en effet, permettre la multiplication de l’offre et de la demande d’instruments dérivés105.

En Suisse, l’ouverture des marchés réglementés aux instruments dérivés a démarré dans les années 1980. Jusqu’alors, les instruments dérivés étaient conclus et négociés hors bourse. Les premiers instruments dérivés négociés sur des marchés réglementés de valeurs mobilières106 ont été les options call (Optionsscheine, warrants107)108 émises par un émetteur109.

103 ZIMMERMANN (2005), p. 475.

104 WOHLWEND (2004), p. 1 s. ; MEIER/SIGRIST (2006), p. 66; voir également ZIMMERMANN (2005), p.

475 ; MÜLLER-MOHL (2002), p. 17 ; GILG (1989), p. 6 s. ; CR-CO II - ZUFFEREY (2008), p. 2596, N. 10.

105 RAYROUX (2006), p. 39 ; MÜLLER-MOHL (2002), p. 29; CONTRATTO (2006), Regulierung von Derivaten im schweizerischen Recht, p. 151 ; LOMBARDINI (2012), p. 87.

106 NOBEL (2004), p. 920.

107 HENCKEL VON DONNERSMARCK (1996), p. 306 ss ; MÜLLER-MOHL (2002), p. 62; NOBEL (2004), p.

919 s. ; EMCH/RENZ/ARPAGAUS (2004), p. 696 s., N. 2183 ss.

108 A l’époque, il s’agissait des bourses de valeurs cantonales de Zurich, Genève et Bâle.

109 Comme le relève CONTRATTO (2006), Regulierung von Derivaten im schweizerischen Recht, p. 49 ss, la terminologie n’est pas encore totalement homogène en Suisse où l’on désigne ces produits aussi bien par les termes « warrants », « Optionsscheine », voire « naked warrants ». Ils représentent une part très importante du marché des structurés en Suisse, soit environ 80% de tous les dérivés faisant l’objet d’une distribution avec appel au public, CONTRATTO, Der vereinfachte Prospekt für strukturierte Produkte, p.

195.

49 Dès le milieu des années 1980, les émetteurs de telles options, leur structuration et sous-jacents se sont diversifiés. Ainsi, certains établissements financiers se sont lancés dans l’émission de warrants (également appelés naked warrants) qui n’étaient plus liés à des emprunts obligataires110 et qui avaient pour sous-jacents non pas leurs propres titres de participation mais des actions ou des obligations d’autres sociétés, des indices financiers, des matières premières ou des métaux précieux111. En 1986, les options

110 NOBEL (2004), p. 920. Traditionnellement, les warrants étaient adossés à des obligations (obligations à option, Optionsanleihen) émises par l’emprunteur. Contrairement au droit de conversion octroyé au porteur d’une obligation convertible (Wandelanleihe, convertible bonds), le warrant adossé à une obligation présente la particularité de pouvoir être détaché et, ainsi, négocié séparément de l’obligation.

111 MÜLLER-MOHL (2002), p. 62. L’émission de telles options n’avait plus pour but la structuration du capital de l’émetteur mais la spéculation financière. Ces warrants réunissaient les avantages d’une négociation sur un marché réglementé, une grande flexibilité de structuration en fonction des besoins du marché, une émission rapide et une accessibilité pour les petits investisseurs.

112 Les options stillhalter (également appelées options couvertes) sont des options call (options d’acquisition) émises par un émetteur sur un sous-jacent, par exemple des titres de participation, dont il n’est lui-même en principe pas l’émetteur. Elles ont pour particularité que l’émetteur couvre les engagements contractuels résultant de l’émission en consignant physiquement la quantité nécessaire de jacents pour être en mesure de respecter à tout moment son engagement de livrer les titres sous-jacents en cas d’exercice de l’option. Un droit de gage sur les sous-sous-jacents consignés est constitué en faveur de l’émetteur ou – si l’émetteur est lui-même propriétaire des sous-jacents – en faveur des détenteurs de l’option. Voir SIX SWISS EXCHANGE, Directive concernant la cotation d'instruments dérivés 2006 , § 9 ; BOEMLE/GSELL/JETZER/NYFFELER/CHRISTIAN (2002), Stillhalteroption, p. 991 s. ; CONTRATTO (2006), Regulierung von Derivaten im schweizerischen Recht, p. 41; MÜLLER-MOHL (2002), p. 63 s. ; HENCKEL VON DONNERSMARCK (1996), p. 327 ss ; EMCH/RENZ/ARPAGAUS (2004), p.

697 s., N. 2188 ss.

113 KOLB (1989) ; MEIER/SIGRIST (2006), p. 113 ss. C’est M. Martin Ebner, par le canal de sa banque, BZ Bank, qui fit en 1986 la première demande de cotation d’options stillhalter sur actions nominatives de Ciba-Geigy SA auprès de la bourse de Zurich. Ces options portaient sur des actions suisses nominatives cotées qui, en raison des restrictions juridiques à leur transfert découlant du droit des sociétés en vigueur à l’époque, étaient bien moins liquides et, donc, moins valorisées que les actions au porteur.

114 CONTRATTO (2006), Regulierung von Derivaten im schweizerischen Recht, p. 48.

115 SOFFEX (1993), p. 11 ; FORSTMOSER/PULVER, p. 5.

116 MEIER/SIGRIST (2006), p. 108 ss; GILG (1989), p. 368 ss.

50 conclusion d’un nombre limité de contrats d’options sur actions117. Rapidement, son offre s’est élargie à des futures sur indices (1990) et intérêts (1991) ainsi qu’à des Low Exercice Price Options (LEPO) (1991)118. En 1998, SOFFEX et Deutsche Terminbörse (DTB) ont créé Eurex SA, comme bourse de produits dérivés standardisés119.

b) Faible réglementation du marché primaire

Le cadre juridique suisse existant avant l’entrée en vigueur de l’art. 5 LPCC le 1er janvier 2007 s’est révélé favorable à la commercialisation des produits structurés en Suisse. En effet, avant cette date, la faible réglementation du marché primaire en Suisse a élevé peu de barrières juridiques à l’émission et la distribution des produits structurés120.

Par marché primaire, on entend le marché des émissions des instruments financiers standardisés et émis en série121. Le marché secondaire désigne, par opposition au marché primaire, toutes les transactions consécutives à l’émission, que la négociation ait lieu en bourse ou hors bourse122. L’émission désigne, quant à elle, un processus par lequel un émetteur offre aux investisseurs potentiels l’acquisition d’instruments financiers. Il comprend la création proprement dite de ces instruments, leur acquisition par le premier preneur – une maison d’émission en cas de prise ferme (Festübernahme) ou un investisseur souscripteur en cas d’émission pour compte propre (Selbstemission) -et, enfin, en cas de Festübernahme, leur placement dans le public en une fois et aux mêmes conditions123.

117 SOFFEX (1993), p. 13 ; Meier/Sigrist (2006), p. 110. Il s’agissait d’options d’achat et de vente à un, deux, trois et six mois sur 11 actions au porteur de sociétés suisses.

118 SOFFEX (1993), p. 13 ; MÜLLER-MOHL (2002), p. 248 ; MEIER/SIGRIST (2006), p. 110 s. Une LEPO est une option d’achat européenne dont le prix d’exercice (strike) est presque nul. Cela est rendu possible du fait que le cours de la LEPO suit de très près celui du sous-jacent. L’exposition au risque marché d’une LEPO est donc très similaire à celle d’un investissement direct dans le sous-jacent.

Toutefois, la LEPO ne donne pas de droit de vote ni de droit au versement de dividende, de sorte que sa prime correspond généralement au cours du sous-jacent diminué de la valeur des dividendes attendus pendant la durée de vie du dérivé, voir TOLLE/HUTTER/RÜTHEMANN/WOHLWEND (2005), p. 75 s.

119 MÜLLER-MOHL (2002), p. 233, 248. Sur la structuration juridique de la bourse Eurex, voir POTTHOFF/WIDMER (1999).

120 HUTTERLI (2008), p. 4.

121 ZOBL/ARPAGAUS (1995), p. 246 ; EMCH/RENZ/ARPAGAUS (2004), p. 601, N. 1820, 645 et 1992 ; CR-CO II - ZUFFEREY (2008), p. 2594, N. 4 s.

122 Entre autres ZOBL/ARPAGAUS (1995), p. 246. La pertinence de la dichotomie classique marché primaire-marché secondaire est discutée par la doctrine en raison du recours à des méthodes d’émission qui ne permettent plus une distinction claire entre ces deux concepts, notamment HENCKEL VON DONNERSMARCK (1996), p. 9 s. ; LOMBARDINI (2009), p. 632 ; CR-CO II - ZUFFEREY (2008), p. 2595, N. 7.

123 Voir, ROHR (1990), p. 97 ss ; CAMENZIND (1989), p. 15 s. ; PETITPIERRE-SAUVAIN (2006), p. 324, N.

1066.

51 L’une des caractéristiques des instruments financiers qui font l’objet d’une émission consiste dans leur fongibilité, également appelée standardisation. Issue du droit des obligations pour désigner les choses mobilières pouvant être caractérisées par leur mesure, leur poids ou leur nombre, la fongibilité des instruments financiers est admise, lorsque ceux-ci sont soumis à des conditions contractuelles identiques (valeur nominale, date d’échéance, intérêt). La standardisation permet, le cas échéant, l’émergence d’un marché secondaire (qu’il s’agisse d’un marché organisé ou non124) pour ces instruments financiers qui sont alors négociables125.

En Suisse, le marché primaire des émissions de titres de participations, obligations et autres créances fait l’objet d’une réglementation sectorielle126. Les dispositions applicables sont les art. 652a, 752 et 1156 ss CO127 pour les actions, autres titres de participation ainsi que les obligations d’emprunt, la Directive ASB relative aux Notes de débiteurs étrangers128 pour les instruments de dette, ainsi que les art. 75 et 76 LPCC pour les parts de placements collectifs de capitaux. Toutes ces dispositions énoncent l’obligation pour l’émetteur de publier un prospectus d’émission au moment de l’offre au public des instruments financiers concernés. La quantité et la qualité des informations varient en fonction des instruments émis. Les exigences des dispositions du CO sont minimales s’agissant du contenu. L’information est plus complète s’agissant des prospectus pour Notes de débiteurs étrangers129. Quant aux placements collectifs de capitaux, l’information est prévue en plusieurs formats, l’un très exhaustif (le prospectus complet) et le second ne comportant qu’un résumé des éléments clés pour l’investisseur (Informations clés l’investisseur, DICI ou Key Investor Information Document, « KIID »,) voire dans certains cas le prospectus simplifié.

124 BSK-BEHG/FINMAG - DAENIKER/WALLER (2011), Art. 2 let. a-c LBVM, p. 485, N. 15.

125 ZUFFEREY/BIZZOZERO/PIAGET (1997), p. 16; BSK-BEHG/FINMAG - DAENIKER/WALLER (2011), Art.

2 let. a-c LBVM, p. 484, N. 14.

126 Pour une présentation générale de la réglementation du marché primaire, voir notamment CR-CO II - ZUFFEREY (2008), p. 2599 ss, N. 19 ss ; EMCH/RENZ/ARPAGAUS (2004), p. 601 ; ZOBL/ARPAGAUS, p.

248 ss. ; LOMBARDINI (2012), p. 351.

127 Loi fédérale du 30 mars 1911 complétant le code civil suisse (Livre cinquième : droit des obligations) ; CO ; RS 220. Cf. également l’art. 156 LDIP (Loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé ; LDIP ; RS 291) qui désigne le droit applicable en matière d’émission publique avec prospectus ou autres publications présentant un lien d’extranéité.

128 ASB, Directive relative aux Notes de débiteurs étrangers 2001. La Directive n’est opposable qu’aux maisons d’émissions suisses, chefs de file dans le cadre d’émissions de Notes de débiteurs étrangers non cotés et pour lesquelles il n’est pas fait d’appel au public en Suisse.

129 L’information est plus complète que celle prévue par les art. 652a CO et 1156 CO concernant le débiteur et les éventuels garants ou cautions lors de l’émission et pendant la durée de l’emprunt. En revanche, elle n’impose pas l’insertion d’information concernant les risques liés à de tels investissements, ROHR (1990), p. 201.

52 Contrairement à l’émission de titres de participation et d’obligations, la réglementation suisse ne contenait, avant le 1er janvier 2007 (date d’entrée en vigueur de l’art. 5 LPCC), aucune disposition stipulant l’obligation de publier un tel prospectus pour l’émission publique d’instruments dérivés standardisés130 - parfois désignés par les termes « dérivés titrisés »131, y compris les produits structurés132.

Une telle assertion, laissant à penser que l’émission d’instruments dérivés était un territoire de non droit, doit être précisée. D’abord, un certain nombre d’instruments dérivés distribués au public en Suisse faisaient l’objet d’une cotation en bourse. Dans ce cas, un prospectus de cotation doit être publié133. Ensuite, la réglementation suisse imposait aux fournisseurs d’instruments dérivés d’exercer leurs activités moyennant une autorisation au sens de l’art. 2 let. d LBVM et 3 al. 3 OBVM134. Par le canal de l’art. 3a al. 3 let. b OB135, de tels émetteurs qui ne sont pas, au surplus, au bénéfice d’une licence bancaire étaient tenus de publier pour les instruments dérivés qu’ils émettaient et distribuaient au public un prospectus au sens de l’art. 1156 CO136. Enfin, une partie de la doctrine recommandait à l’ensemble des émetteurs d’instruments dérivés, nonobstant

130 CONTRATTO (2006), Regulierung von Derivaten im schweizerischen Recht, p. 269 ss ; HUSER (1994), p. 84 ; ROHR (1990), p. 185 et 458; CR-CO II - ZUFFEREY (2008), Art. 1156 CO, p. 2622, N. 25 ; EGGEN (2011), p. 758; LOMBARDINI (2012), p. 356. Quant aux dérivés non standardisés, les parties à de tels contrats les soumettent généralement à des contrats-cadre. En Suisse, il pourra s’agir du contrat-cadre suisse pour produits dérivés OTC de l’Association suisse des banquiers du 12 juin 1993 et de l’Annexe au contrat-cadre suisse pour produits dérivés OTC du 11 juillet 2008 ou du Master Agreement 2002 de l’ISDA.

131 Le terme « titrisé » provient probablement de la notion de titre, c’est-à-dire du support physique qui originellement matérialisait les émissions de créances. Il permet de distinguer les dérivés standardisés qui font l’objet d’une émission de ceux qui ne sont pas émis.

132 SCHMID (2011), p. 57 ; EGGEN (2010), p. 205 s. ; MAURENBRECHER/WALLER (2009), p. 66, note 44.

133 Cf. Règlement de cotation complémentaire des instruments financiers de SIX Swiss Exchange du 01.05.2010 (RCD), art 19 ss.

134 Sur la notion de fournisseur de dérivés, cf. infra Partie II Chapitre 7 B. 1. a).

135 Ordonnance sur les banques et les caisses d’épargne du 17 mai 1972 (OB ; RS 952.02). A teneur de l’art. 3a al. 3 let. b OB, les émissions d’obligations pour lesquelles un prospectus au sens de l’art. 1156 CO ou un document d’information matériellement équivalent est publié par l’émetteur ne doivent pas être qualifiées d’acceptation de dépôts du public à titre professionnel, activité réservée aux banques au sens de l’art. 1 al. 1 LB. A défaut d’un tel prospectus, leurs activités pourraient être considérées comme de l’appel aux dépôts du public au sens des art. 1 al. 2 LB et 2a let. a OB. Une telle hypothèse est toutefois rare dès lors que la majorité des négociants en valeurs mobilières sont également au bénéfice d’une licence bancaire.

136 Telle était l’interprétation de l’art. 3a al. 3 let. b OB par la Commission fédérale des banques, cf. CFB, Prise de position concernant le champ d'application de la LFP - produits structurés (2005), p. 7 ; CONTRATTO (2006), Regulierung von Derivaten im schweizerischen Recht, p. 279 s. ; CONTRATTO (2006), Der vereinfachte Prospekt für strukturierte Produkte, p. 200; CR-CO II - ZUFFEREY (2008), Art.

1156 CO, p. 2622, N. 24 s. ; HUTTERLI (2008), p. 199 s., N. 464 ss ; BSK-KAG - BISCHOF/LAMPRECHT/SCHWOB (2009), Art. 5 LPCC, p. 383, N. 33.

53 le silence de la loi sur ce sujet, la publication d’un prospectus comme best practice, ce qui est ainsi la règle en pratique137.

L’absence de réglementation homogène et transversale du marché primaire des émissions en Suisse résultait d’un compromis politique. L’éventualité d’une telle réglementation a, en effet, été clairement écartée lors de l’adoption de la LBVM quand bien même les lacunes du droit suisse en la matière étaient connues depuis longtemps138. L’opportunité d’une réglementation transversale du marché primaire par rapport à la situation juridique actuelle continue à susciter des débats. Une telle réglementation transversale fait l’objet d’une proposition dans le cadre de l’avant-projet de loi fédérale sur les services financiers (AP-LSFin)139.

Sous l’angle du droit public, les intermédiaires actifs tant sur le marché primaire que secondaire sont, au contraire, assujettis à une réglementation très dense : la LBVM (de 1995)140, lorsqu’ils agissent comme maisons d’émission, fournisseurs de dérivés, négociants pour compte propre ou de clients ; la LB (de 1933), lorsqu’ils agissent comme banques ; la LPCC qui a remplacé l’aLFP dont la première version date de 1966 (aLFP), lorsqu’ils agissent comme gestionnaires, directions, distributeurs ou banques dépositaires de placements collectifs.

La surveillance suisse des marchés financiers s’est ainsi essentiellement développée autour de la réglementation des institutions plutôt que des produits, qui est restée une exception141. Cette exception est incarnée par la LPCC qui réglemente de manière exhaustive tant les intermédiaires actifs dans le processus de gestion, d’administration et de distribution des placements collectifs que le placement collectif en tant que produit financier lui-même142.

L’absence de réglementation du marché primaire des produits structurés jusqu’en 2007 a sans aucun doute constitué un avantage concurrentiel par rapport à celle, contraignante, des placements collectifs143. Cette souplesse juridique a permis la conception et le lancement sur le marché des produits structurés en des laps de temps

137 CONTRATTO (2006), Regulierung von Derivaten im schweizerischen Recht, p. 269 et réf. citées à sa note 1370.

138 Message du Conseil fédéral concernant une loi fédérale sur les bourses et le commerce de valeurs mobilières du 24 février 1993, p. 1276 et 1284 ss.

139 DFF, Rapport explicatif LSFin et LEFin, p. 17, art. 37 ss AP-LSFin.

140 Loi fédérale du 24 mars 1995 sur les bourses et le commerce des valeurs mobilières (LBVM ; RS

140 Loi fédérale du 24 mars 1995 sur les bourses et le commerce des valeurs mobilières (LBVM ; RS