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I. L’obligation d’aménagement raisonnable dans les normes internationales 39

1)   Sur la notion de handicap 41

Le droit de l’Union ne donne aucune définition du handicap. Dans la mesure où la directive ne renvoie pas expressément au droit des États membres, cela justifie, selon la Cour de justice de l’Union européenne, de dégager une interprétation autonome, permettant une application uniforme du droit de l’Union européenne. Dans un premier temps, la Cour de justice a privilégié une définition restrictive, en s’efforçant de distinguer handicap et maladie, ce dernier critère n’étant pas mentionné par la directive 2000/789

. Pour rejeter la tentative de faire entrer la maladie parmi les critères des discriminations interdites10

, la Cour optait, dans cette première décision, pour une conception dite « médicale » du handicap, selon laquelle « la notion de « handicap » doit être entendue comme visant une limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques et entravant la participation de la personne concernée à la vie

9 CJCE, 11 juillet 2006, Chacon Navas, C-13/05. Sur cette décision, voir notamment (Boujeka, 2007,

p. 75).

10

Selon la Cour de justice, « Le champ d’application de la directive 2000/78 ne saurait être étendu par analogie, au-delà des motifs de discrimination qui figurent en son article 1er, au moyen d’un renvoi au

professionnelle »11

. Elle ajoutait que « pour que la limitation relève de la notion de handicap, il doit donc être probable qu’elle soit de longue durée »12

.

Sous l’influence de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, la jurisprudence a évolué. Selon la Cour de justice, le droit dérivé doit, en effet, « dans la mesure du possible », être interprété en conformité avec les accords internationaux conclus par l’Union13

. Conformément à la Convention de l’ONU, la notion de handicap « doit être entendue comme visant une limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques, dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de la personne concernée à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs »14

. Une conception « sociale » ou « relationnelle », plutôt que médicale, du handicap est donc désormais retenue15

. De la Convention, il ressort également que ces « incapacités physiques, mentales ou psychiques doivent être durables »16

. Par conséquent, « si une maladie curable ou incurable entraîne une limitation résultant notamment d’une atteinte physique, mentale ou psychique, dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de la personne concernée à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs et si cette limitation est de longue durée, une telle maladie peut relever du handicap au sens de la directive 2000/78 »17

.

Plus récemment, la Cour de justice a précisé que les indices permettant de considérer qu’une limitation est « durable », figurent notamment le fait que, à la date du fait prétendument discriminatoire, l’incapacité de la personne concernée ne présente pas une perspective bien délimitée quant à son achèvement à court terme ou, le fait que cette incapacité est susceptible de se prolonger significativement avant le rétablissement de cette personne18.

En suivant cette conception du handicap, il est possible d’admettre, par exemple, que l’obésité, notamment lorsqu’elle atteint un certain niveau de gravité, constitue également un handicap, dès lors qu’elle entraîne une limitation, telle que définie par la

11 § 43 de l’arrêt Chacon Navas. Sur la conception du handicap retenue dans cette décision, voir

(Waddington, 2007).

12 § 45.

13

Solution classique, réaffirmée par l’arrêt HK Danmark, 11 avril 2013, C-335/11 et 337/11 (dit aussi arrêt Ring), § 29. Sur cette décision, voir notamment (Boujeka, 2013; Damamme, 2013).

14 § 38 de l’arrêt HK Danmark. Pour une confirmation récente : CJUE, Mikova, 9 mars 2017, C-

406/15.

15

Cf. supra.

16 CJUE, 11 avril 2013, C-335/11 et 337/11 (dit aussi arrêt Ring), § 39.

17

Ibid., § 41.

jurisprudence de la Cour19

: « dans l’hypothèse où, dans des circonstances données, l’état d’obésité du travailleur concerné entraîne une limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques, dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de cette personne à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs et si cette limitation est de longue durée, un tel état relève de la notion de « handicap » au sens de la directive 2000/7820

.

La Cour de justice a précisé que l’origine du handicap ne pouvait être prise en compte car cela irait à l’encontre de l’objectif de la directive, qui est de mettre en œuvre l’égalité de traitement21

. En particulier, la notion de « handicap », au sens de la directive 2000/78, ne dépend pas de la question de savoir dans quelle mesure la personne a pu contribuer ou non à la survenance de son handicap22

.

Selon la définition retenue, l’obstacle peut être hypothétique : il n’a pas à être actuel, contrairement à ce que semblait indiquer la jurisprudence antérieure. Comme l’a souligné l’avocat général Jääskinen23

, il suffit qu’une maladie durable emporte « des limitations à la participation pleine et efficace à la vie professionnelle en général, sur une base d’égalité avec des personnes qui ne souffrent pas de cette condition : il n’est pas nécessaire d’établir un lien entre le travail concerné et le handicap en cause pour que la directive 2000/78 puisse s’appliquer »24

.

L’aspect essentiel de l’évolution de la jurisprudence tient au déplacement de la définition du côté des interactions entre la personne concernée et son environnement, qui limitent l’accès à l’emploi et le maintien en activité. Cette solution explique que Cour de justice ait jugé contraire à la directive 2000/78 une définition de la personne handicapée limitant les aménagements raisonnables aux cas dans lesquels le handicap présente une certaine gravité25

.

Dans certains cas, l'approche situationnelle du handicap peut néanmoins entraîner une réduction du champ de l’interdiction des discriminations26

. La Cour de justice a par exemple estimé qu’une affection rare qui prive une femme de la possibilité d'avoir un enfant constitue incontestablement un handicap, dans la mesure où il s'agit d'une limitation fonctionnelle résultant d'atteintes physiques durables, mais elle refuse de considérer que ce handicap relève de la directive 2000/78, dès lors que la limitation qui

19 Cf. les conclusions de l’avocat général Jääskinen dans l’affaire FOA, C-354/13, rendues le 17 juillet

2014.

20 CJUE, 18 décembre 2014, FOA, C-354/13. 21 Ibid., § 55.

22 Ibid., § 56. 23 Aff. FOA, préc.

24

Conclusions, § 38.

25 CJUE, Commission c/ Italie, 4 juillet 2013, C-312/11. 26 CJUE, 18 mars 2014, Z, C-263/12.

en résulte ne fait pas obstacle à l'accès et au maintien dans l’emploi, pas plus qu'il n'affecte les conditions de travail27

. Pour la Cour, l'incapacité d'avoir un enfant par des moyens conventionnels ne constitue pas un empêchement pour une mère commanditaire d'accéder à un emploi, de l'exercer ou d'y progresser28

. Une personne peut ainsi se révéler avoir un handicap dans une situation et ne pas en avoir dans une autre. L’approche retenue par la Cour de justice est une approche « moderne » du handicap qui stigmatise une situation, dans laquelle un problème se pose, sans figer une catégorie d'exclus (Boujeka, 2014).

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