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I. Les acteurs syndicaux 78

2)   Le droit, une arme à manier avec prudence 97

Lorsque les syndicalistes s’appuient sur le droit, ils l’envisagent comme une ressource importante pour les négociations avec l’employeur en matière de handicap. Cependant, ils estiment qu’il faut être prudent quant à son usage, car il fait émerger une situation de conflit, alors que le désaccord entre travailleur et employeur peut faire l’objet d’une négociation en dehors du droit, sans faire mention de celui-ci. Ainsi, les responsables diversité font preuve d’une très grande prudence : ils hésitent à amener le droit directement comme une arme de revendication dans l’entreprise. Les syndicalistes essaient d’abord de trouver des solutions à l’amiable, sans invoquer explicitement ni l’existence d’un conflit, ni les obligations légales qui incombent à l’employeur. Une responsable diversité indique qu’elle cherche à éviter la « confrontation juridique » avec l’employeur :

« On essaie de faire d’abord de la concertation. On n’essaie pas directement de rentrer avec tout un arsenal juridique. On a aussi nos avocats, ici, chez nous, mais au départ, on essaie d’y aller pour faire de la concertation […] Des fois, on organise des réunions avec l’employeur et nous, pour essayer de trouver une solution négociée, positive, sans qu’on formalise ça et qu’on monte spécialement un dossier de plainte. On n’est pas du tout dans la confrontation juridique. » (Responsable diversité CGSLB)

De plus, si l’intervention des responsables diversité s’appuie sur le droit, qui fonde leur action et les contours de leur intervention, celle-ci s’articule avec les autres actions et préoccupations syndicales dans l’entreprise. Les acteurs syndicaux estiment qu’il faut toujours mettre en balance un cas singulier de discrimination et les logiques de négociations collectives dans l’entreprise : on n’amène pas « le droit » comme principe surplombant, sans réfléchir à ses implications sur tout le travail mené par les délégués et permanents en entreprises.

« Il faut savoir aussi que, dans l'entreprise, il y a les questions de discriminations, mais faut pas oublier qu'il y a d'autres débats ! Nous, on n’intervient jamais, je veux dire, moi je vais jamais téléphoner à un employeur directement. Parce que je n'ai pas le contexte de l'entreprise. Donc, je téléphone au permanent, pour lui parler du dossier, lui demander ce qu'il se passe, s’il y a un conflit social en ce moment... Est-ce que c'est juste un cas bien précis qu'on peut régler rapidement ? Voilà. Je peux pas moi, comme ça, venir avec mes gros sabots et faire la loi (rires),

non non ! Je regarde tous les éléments en présence et je ne veux pas non plus casser tout le travail syndical qui a été fait, aussi. Des fois on me dit : ‘Attends un petit peu, parce qu'en ce moment c'est pas toujours rose dans l'entreprise et on en discutera de ton problème, mais plus tard’. » (Responsable diversité CSC)

Les responsables diversité estiment qu’ils doivent être d’autant plus prudents que le droit leur paraît flou. L’articulation entre les différentes normes et législations qui concernent la santé au travail, le handicap, les accidents de travail ou encore le maintien dans l’emploi ne paraît pas évidente aux yeux des syndicalistes. Ces derniers estiment que cette complexité des dispositions légales en vigueur est une ressource pour les employeurs, qui peuvent ainsi contourner leurs obligations légales en se fondant sur d’autres dispositions qui sont moins contraignantes à leur égard. Les acteurs syndicaux estiment qu’il est difficile de contraindre les employeurs à adopter des mesures pour maintenir les travailleurs avec un handicap dans l’entreprise, ce qui contribue à « déforcer le droit » en tant qu’outil de lutte aux mains des travailleurs.

« On fait des conventions par-ci, des lois par-là […], mais après sur le terrain, on ne sait pas comment articuler tout ça. Par exemple, quand on voit l’évaluation de la CCT104 sur le maintien dans l’emploi, quand on voit que les employeurs ne sont pas obligés de la respecter, que ça se fait encore au bon vouloir de l’employeur, ça n’a pas d’impact. Alors ce n’est pas facile de venir après avoir la non- discrimination, les aménagements raisonnables, alors qu’ils ne sont pas vraiment tenus de maintenir dans l’emploi » (Responsable diversité CGSLB).

Pour toutes ces raisons, bien que le problème rencontré par le travailleur soit immédiatement qualifié juridiquement et traité au regard du droit par les responsables diversité, le droit et la menace du procès sont peu souvent invoqués pour des dossiers qui ont trait à la discrimination des travailleurs en raison de leur handicap. Quelques cas font cependant exception. Ceux-ci ont fait l’objet d’une réflexion de fond sur la position à adopter au sein des organisations syndicales. Dans ces quelques dossiers, les syndicalistes ont sollicité les juristes du Centre pour l’égalité des chances (UNIA) pour les accompagner dans leurs démarches de qualification juridique de l’injustice en tant que discrimination, mais aussi de négociation avec l’employeur. Ces contacts s’inscrivent dans le cadre d’accords de collaborations entre le Centre pour l’égalité des chances et les différentes organisations syndicales, qui stipule entre autres les modalités de collaborations autour de dossiers de travailleurs individuels.

C’est dans ce cadre que le dossier d’une déléguée syndicale de la CGSLB a fait l’objet d’une prise en charge conjointe par le syndicat et le Centre pour l’égalité des chances. La déléguée syndicale travaille dans un hôpital et a subi un accident de travail. Suite à cela, elle a été reconnue comme personne ayant un handicap et a sollicité la responsable diversité. Cette dernière estime que son intervention est difficile autour de ce dossier. Elle a collaboré avec de nombreux autres intervenants, dans et hors du syndicat, pour l’aider dans ses démarches de qualification et de négociation avec l’employeur, sans succès.

« Il y a une demande qui a été faite à son employeur pour qu'on adapte son poste. Mais vraiment des toutes petites adaptations, de tous petits aménagements, pas grand chose. Qui ne coûtent pas grand chose. Et en fait, l'employeur se braque. Et donc, notre permanent est entré en négociation, notre service juridique au niveau régional est entré en négociation, je l'ai fait. On est rentré au niveau national – on a un service juridique national avec des avocats. On est entré en discussion. Il a refusé de discuter et donc le dossier est pour l'instant chez UNIA. Et ça, c’est un gros problème. Parce que c'est de la mauvaise foi, en fait. On peut faire changer la dame de poste, ou bien tout simplement adapter son poste et ce n'est pas très compliqué. Elle ne peut pas s'abaisser pour prendre des choses et les mettre en hauteur parce qu'elle a des vertiges. On demande juste que toutes les boites dans lesquelles elle doit déposer les médicaments soient en hauteur, de manière à ce qu'elle puisse faire ça sans se baisser... Et il refuse de le faire. Braqué ! Têtu ! En plus, c'est pas un directeur d'entreprise, mais c’est dans un hôpital quoi ! La réflexion, elle n’est pas innée, hein ! Ça c'est un cas sur lequel on a pas encore avec négociation avec UNIA. On est en train d’en discuter pour voir quelle stratégie adopter. Il faut qu’on fasse quelque chose, mais il ne faut pas non plus envenimer la situation » (Responsable diversité).

Avant de demander au service juridique d’intervenir, les responsables diversité essaient de régler le problème en amont, sans qu’il n’y ait de mobilisation explicite du droit pour faire pression sur l’employeur. Dans ce dossier, c’est lorsque le Centre pour l’égalité des chances et le services juridique du syndicat sont sollicités pour intervenir conjointement que la négociation est davantage cadrée par le rappel des obligations légales de l’employeur. Au stade de l’entretien avec la responsable diversité, l’option d’une action en justice est envisagée, sans être encore en cours.

La construction conjointe de dossiers entre le syndicat et le Centre pour l’égalité des chances peut créer des tensions autour de la qualification juridique des dossiers (Lejeune, 2015). Ces tensions ne reposent pas tant sur une divergence de posture politique vis-à-vis des dossiers, qui conduirait les premiers à politiser d’emblée le droit à la faveur des travailleurs tandis que les seconds adopteraient une posture de neutralité (voir section III sur le Centre pour l’égalité des chances), que sur la stratégie à adopter vis-à-vis du droit. Les premiers sont frileux à faire entrer le droit dans les négociations car ils estiment qu’il faut maintenir un climat propice à la négociation avec l’employeur, les seconds entendent davantage cadrer leur intervention au regard du droit antidiscriminatoire.

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