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I. Les réponses des employeurs 149

2)   Anticiper le droit au reclassement : la prévention des risques

Les employeurs du deuxième groupe, principalement issus d’organisations du secteur public dans les deux pays, considèrent aussi, comme ceux du premier groupe,

qu’ils dépassent les prérogatives légales et qu’ils mettent en place des dispositifs qui visent à favoriser l’inclusion des travailleurs avec un handicap sans que des obligations légales ne les contraignent à adopter ce type de politiques. Cependant, ils déconnectent la politique du handicap de la gestion de la diversité en entreprise et envisagent plutôt celle- ci comme une problématique de gestion des ressources humaines spécifique : la prévention des risques professionnels.

Certaines catégories d’agents ou de salariés sont particulièrement touchées par les maladies professionnelles et les accidents de travail. La politique du handicap a donc pour objectif de dépasser les contraintes en matière de quotas d’emploi pour mettre en place des initiatives que les chargés de mission handicap jugent déconnectées de toute contrainte légale.

« On a fait 200 heures d'observations terrain des postures des agents, qu'on a fait dans un [établissement] pilote. Et on a décliné les postures pour chaque métier, pour chaque poste de travail, puisqu'on a des postes de travail de nuit, de jour, etc. On a décliné les postures et les zones du corps que ça sollicitait. Et à partir de là, on s'est rendu compte que, par exemple, une aide soignante qui aurait des problèmes de dos, à un certain endroit, elle sollicite extrêmement son dos et donc du coup, elle n'est pas en capacité de travailler là. Mais par contre, sur une autre équipe, dans un autre endroit et sur un autre poste, elle ne sollicite pas son dos de la même façon et dans ce cas, au lieu de la déclarer inapte, il suffirait simplement de la changer de poste et de lui permettre de travailler sur une autre équipe. Ainsi on a une cartographie assez intéressante des métiers dans cet [établissement]. Et aussi, pour les agents qui étaient en restriction d'aptitude et les agents en situation de handicap, on a mis en place des études ergonomiques mais plutôt regroupées en fait, qui nous ont permis d'acheter du matériel pour l'ensemble des équipes. […] Mais c’est une initiative en interne ça, on n’a pas d’obligation de faire ça. » (Chargée de mission handicap, fonction publique hospitalière en France)

Alors que, dans le premier cas, les entreprises valorisent le recrutement de travailleurs handicapés comme reflet de la diversité de la société, les chargés de mission handicap cherchent quant à eux à anticiper les risques liés à l’exercice de certains métiers particulièrement pénibles, considérant le handicap non pas comme une caractéristique inhérente aux personnes avant leur entrée en fonction dans l’entreprise, mais comme le produit de la relation de travail et de l’environnement de travail. Selon les chargés de mission handicap, ces initiatives impliquent un changement de perspective dans la prise en charge du handicap, qui est difficile à mettre en place dans les administrations parce qu’elle s’inscrit à rebours des initiatives prises de façon réactive pour trouver une solution aux problèmes posés par un travailleur déjà en poste.

« On aimerait bien passer un peu plus dans la prévention, quand même. Mais il faut que notre direction nous donne les moyens de le faire. […] Au niveau prévention, moi je travaille aussi avec les préventeurs et avec le médecin. Ils sont d'accord sur des choses qui pourraient être un peu plus généralisées pour éviter des TMS [troubles musculo-squelettiques] par la suite. […] Y a des métiers qui sont à forte

usure. Les personnes qui font du nettoyage, à un moment donné, quand elles commencent à prendre un petit peu d'âge, c'est de plus en plus compliqué. Donc, on a des métiers qui peuvent être assez contraignants. Même au niveau de la voirie... À l'assainissement, les personnes qui lèvent les plaques d'égouts, à un moment donné, les problèmes de dos peuvent être récurrents. Donc, on a toute une démarche en gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences qui commence à se construire. Et qui doit permettre de recruter, déjà à la base, des personnes avec des potentialités différentes et qu'on pourra reconvertir assez rapidement pour (hésitations) les ouvrir sur d'autres métiers. On y travaille de plus en plus en amont, mais c'est pas encore abouti comme démarche. Il faut du temps, il faut que ça mûrisse et... C'est pas simple. C'est pas simple du tout. Mais... c'est dans les têtes! C'est déjà pas mal. » (Chargée de mission handicap, fonction publique territoriale)

Dans le même ordre d’idée, un référent mutualisé de la fonction publique hospitalière souligne les limites de sa propre mission, en l’absence de moyens pour mener, en amont, une véritable politique de prévention, alors même que les conditions de la santé au travail se dégradent.

« Le FIPHFP s’intéresse à la compensation du handicap et pas à la prévention. Ce que je déplore parce que pour moi, si on veut avoir une fonction publique hospitalière qui soit plus performante, ça passe avant tout par de la prévention et de la promotion de la santé. Par promotion de la santé, j’entends rendre chaque agent de la fonction publique acteur de sa propre santé. Et ça, on ne peut pas le faire avec la catalogue d’aides du FIPHFP. » (Référent handicap mutualisé, fonction publique hospitalière, enquête FIPHFP)

Encadré n°4 – Une initiative de prévention des risques socio-professionnels

Des initiatives locales originales visent à mettre en place des pratiques de prévention des risques socio-professionnels. Dans le cadre d’un module interprofessionnel, dirigé par Emmanuelle Fillion, des « élèves stagiaires » de l’EHESP, futurs directeurs et cadres des établissements sanitaires et médico-sociaux, rapportent cette expérience :

« Le CHU d'Angers s’est mobilisé par exemple, à travers la constitution d'un réseau ‘Lombaction’. Son rôle vise à effectuer une prise en charge médicale et socioprofessionnelle des travailleurs souffrant de lombalgies chroniques, ou d'autres pathologies chroniques posant des difficultés au travail, de maintien dans l'emploi ou de retour au travail. Une coordination des actions des différents acteurs autour du retour du travail est établie au cas par cas. Ce réseau vise à favoriser non plus une vision parcellaire mais plus globale de la prise en charge médicale, psychologique, sociale et professionnelle. Il s’agit d’empêcher les actions ou discours contradictoires entre professionnels de santé, qui pourraient porter atteinte à l’objectif de maintien et de retour au travail. Ce parcours débute par une consultation pluridisciplinaire : "On voit le patient une première fois au cours d’une consultation pluridisciplinaire qui dure 2 heures, au cours de laquelle le patient rencontre l’infirmière du travail, une psychologue et va remplir des questionnaires […] je le rencontre à la fin après avoir fait la synthèse de l’ensemble de ces éléments et de ceux transmis par les autres praticiens […] à l’issue de cette consultation, je leur

propose un programme sur le plan de la rééducation, sur le plan psychologique s’il y a besoin, sur le plan du traitement […] en fonction des praticiens que le patient a choisi pour mettre en œuvre ce programme, je vais le contacter, ainsi que le médecin conseil pour communiquer sur la démarche mise en place et sa planification ". Ce suivi au cas par cas fait l'objet d'un engagement de la part du patient et un accompagnement social et professionnel spécifique lui est dédié. Cependant, malgré des résultats probants et le développement d’une dynamique de parcours de santé, ce réseau ne bénéficie plus de soutien financier de l'ARS. » (Rhumatologue, médecin coordonnateur du réseau Lombaction).

Source : EHESP MIP 2017 rapport final groupe 14 : 28-29.

En fonction de l’inscription du handicap dans une politique de gestion de la diversité ou de gestion des risques professionnels, la lecture qui est faite du droit qu’il faut anticiper, contourner ou éviter est divergente. Les premiers considèrent que les mesures qu’ils mettent en place sont déconnectées du droit antidiscriminatoire, auquel ils se réfèrent pourtant sans cesse pour montrer l’innovation des pratiques qu’ils développent. Les seconds envisagent leur politique du handicap comme une forme d’anticipation et d’évitement des reclassements de travailleurs, enjeu particulièrement important pour les employeurs du secteur public dont les agents sont statutaires. Le droit, bien que présenté comme déconnecté des pratiques, est ainsi présent dans les discours, à la fois comme une ressource pour l’action, mais également comme une contrainte floue qu’il faut anticiper, contourner ou devancer.

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