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2. CONCEPTS SENSORIELS ET EXPERTISE

2.1 Notion de typicité

Entreprendre l’étude du concept du bouquet de vieillissement nécessite tout d’abord d’identifier les éléments qui déterminent cette typicité. La notion de typicité renvoie à la caractérisation de ce qui constitue un type bien défini. Selon Salette (1997), la typicité est « le caractère de ce qui est typique, de ce qui fait l’originalité ». Il identifie par ailleurs le type comme « le modèle, la référence, la forme idéale, qui réunit au plus haut degré les propriétés, les traits, les caractères essentiels d’une classe d’êtres ou de choses de même nature, de même catégorie ». La typicité est donc une donnée caractéristique d’un produit, permettant à la fois de le différencier des non-types et de le reconnaître parmi ses pairs. Le produit type représente alors un « idéo-type », c'est-à-dire une forme représentative d’un groupe autour de laquelle peuvent osciller des variations individuelles, à l’intérieur même du groupe considéré (Salette, 1997).

11 Cette définition de Salette rejoint celle introduite par Rosh et Mervis (1975) dans leur étude de conceptualisation et de catégorisation. Selon eux, la typicité est un concept de psychologie cognitive, correspondant à la reconnaissance d’un objet comme étant représentatif de sa catégorie, partageant alors beaucoup d'attributs avec les autres membres de cette même catégorie et peu d'attributs avec les membres des autres catégories. Ainsi, « l’idéo-type » de Salette renvoie au « proto-type » de Rosh et Mervis. Un élément atypique se situera à la périphérie de la catégorie, au niveau de ses frontières. Les frontières des catégories ne sont pas forcément bien délimitées, elles peuvent être floues. L'appartenance à une catégorie ne répond donc pas à la règle du tout ou rien mais relève d'un continuum qui va des exemples très représentatifs jusqu'aux exemples non représentatifs, en passant par tous les degrés d'appartenance intermédiaires. Les catégories posséderaient donc une structure interne graduée où il existerait des différences interindividuelles entre les produits d’une même catégorie, tout comme des ressemblances avec les produits de catégorie voisine.

Ces auteurs parlent également « d’éléments typiques » ou de « la typicalité d’un élément » (Rosh & Mervis, 1975) afin appréhender les différents degrés auxquels un élément considéré est représentatif de sa catégorie. Ceci nous amène à introduire la notion de « typicalité ». La typicalité est le caractère typique représentatif d’une catégorie. Elle renvoie donc à un attribut d’appartenance à une catégorie. Le jugement de typicalité appliqué à un objet est un processus psycho-cognitif d’évaluation de cet objet par rapport au prototype qui lui sert de repère mental dans sa catégorie. Il permet de « ranger » cet objet dans une catégorie précise et aide à élaborer une décision de choix. Ainsi, dans le domaine du marketing, de nombreuses marques tentent de s’imposer comme l’élément le plus typique de leur catégorie.

Ces différents travaux conduisent à conclure que typicité et typicalité sont deux notions proches sans être toute fois synonymes, et que leurs définitions méritent d’être précisées et étudiées (Passebois-Ducros et al., 2012).

Selon Giraud (2005), « la typicité est une notion qui hésite entre le monde de la production, dont elle est originaire, et celui de la consommation, où elle opère ». Ainsi, il suggère que la typicité peut être définie (i) du point de vue de la production, comme un trait de caractère distinctif d’un produit, fondé sur un lien au lieu ou au terroir (typicité) et (ii) du point de vue de la consommation, comme le degré de représentativité d’un objet dans une catégorie (typicalité). Cette différentiation entre concept de typicité et de typicalité est aussi soulignée par d’autres auteurs. Trognon (2005) distingue :

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la typicalité qui renvoie à la similarité entre deux produits, permettant la reproduction de cette spécificité et donnant alors au produit type un caractère relativement homogène dans le temps.

la typicité qui renvoie à la dissemblance entre deux produits c'est-à-dire à l’existence pour un produit de caractères qu’il ne partage pas avec d’autres.

Dans le domaine du vin, Passebois-Ducros et al. (2012) distinguent quant à eux les notions de typicalité et de typicité en termes de degré d’expertise. Selon eux, le choix de la terminologie est dépendant de facteurs à la fois intrinsèques et extrinsèques.

Les qualités gustatives d’un vin demeurant un des facteurs déterminants de la typicalité perçue (dans le sens de la psychologie cognitive), les professionnels du vin ont généralement recourt au terme de typicité en considérant qu’un vin typique présenterait des caractéristiques sensorielles intrinsèques. Pour eux, la typicité exprime la capacité d’un vin à représenter le terroir qui l’a fait naître et est le reflet de différentes dimensions inter-reliées, comme le site, le climat, l’encépagement, la nature des sols, les pratiques culturales et œnologiques.

A contrario, en raison de la difficulté du jugement de typicité sensorielle, les consommateurs évalueraient la typicité des vins essentiellement par rapport à leur typicalité extrinsèque et à travers leurs attributs visibles (lieu de production, forme de la bouteille, nom de la marque, étiquette ou encore prix). Le jugement de typicalité apparaît donc déterminant dans la catégorisation des produits de la part des consommateurs. Dans le contexte du vin, l’influence des caractéristiques extrinsèques du produit sur l’appréciation de ses caractéristiques intrinsèques paraît déterminante dans le processus de choix, même si les consommateurs les plus experts seront probablement les moins dépendants de cette influence des caractéristiques extrinsèques sur l’appréciation des caractéristiques sensorielles intrinsèques.

Il est important de souligner que la notion de typicité ne doit pas être confondue avec celle de qualité. Selon Cadot (2006), «un produit typique n’est pas synonyme de produit de qualité : un produit «bien fait» peut ne pas être typique, de la même manière, certains défauts du «standard» peuvent faire la typicité ». De plus, dans la mesure où il existe une variété de produits appartenant au groupe, et où chaque produit est a priori « également » typique, la typicité n’est pas une norme définie par une valeur moyenne et des écarts à cette moyenne. La qualité résulte d’un compromis raisonné alors que la typicité est issue de la volonté d’un consensus.

Dans le domaine olfactif, Chrea et al. (2005) associent la typicité à une catégorisation perceptuelle où les odeurs seraient classées selon un gradient de typicité au sein d’une même catégorie. Selon

13 eux, la typicité serait associée à un degré de représentativité d’une odeur dans une catégorie, certaines odeurs représentant mieux la catégorie que d’autres. Les mêmes résultats sont présentés dans des études conceptuelles appliquées à l’œnologie, où la reconnaissance de l’appartenance à une typicité serait, non pas basée sur une catégorisation stricte, mais plutôt sur l’existence d’un continuum sensoriel (Ballester et al., 2005 ; Ballester et al., 2008 ; Cadot et al., 2010 ; Jaffré et al., 2011 ; Schüttler et al., 2015).

En œnologie, ce terme de typicité est relativement récent. Apparu au début des années 80 pour caractériser d’un point de vue sensoriel des vins expérimentaux issus de différents terroirs, le concept de typicité répondrait aux caractéristiques générales résultant du cépage, du sol et des techniques de vinifications (Sauvageot, 1994). La typicité inclurait alors des dimensions sensorielles, techniques et environnementales et pourrait être définie comme un ensemble de propriétés de distinction et d’appartenance à une catégorie. Cette définition de Casabianca et al. (2005) rejoint celle de Salette (1997). Plus tard, Le Fur (2010) enrichira la définition de la typicité comme la convergence entre un espace produit, c'est-à-dire une catégorie de vins préétablie, fondée sur des critères géographiques et techniques (type de vinification et cépage(s) d’origine) et un espace sensoriel reposant à la fois sur des critères purement sensoriels et sur les représentations mentales que se forge un groupe humain de référence porteur d’un savoir-évaluer. La perception de la typicité renvoie donc à une construction sociale, nécessitant un consensus au sein d’un groupe humain de référence. C’est ce groupe humain de référence qui assume la genèse de la typicité puis qui en assure sa reconnaissance en choisissant les caractéristiques à retenir (Casabianca et al., 2005 ; Casabianca, 2012). La vérification de l’existence d’un espace sensoriel propre à une catégorie, donc d’une typicité, apparaît comme la condition nécessaire à la caractérisation des propriétés représentatives de cette catégorie, conduisant ainsi à la notion d’image sensorielle (Salette, 1 ; Perrin et al., 2009)

Pour conclure, on peut rapprocher la notion de typicité d’un vin à la notion de ressemblance : chaque vin est différent, mais certaines caractéristiques sont partagées par la famille. Ainsi, selon Salette (2006), “estimer qu’un vin est typique ce n’est pas exiger sa correspondance à un standard fixe, c’est simplement le reconnaître comme faisant partie d’une même famille”. Ce ne sont pas les caractéristiques qui sont spécifiques, mais un ensemble de caractéristiques liées qui sont partagées. De multiples facettes sont donc à prendre en compte dans le jugement de l’appartenance ou non d’un vin à une typicité. Ainsi, un vin typique devrait présenter des caractères organoleptiques spécifiques, reconnaissables par l’amateur comme par le professionnel, associés à un terroir et difficilement copiables, reflétant une image contemporaine et permettant d’anticiper l’évolution de ses caractères sensoriels avec le temps. Ce jugement d’appartenance

14 d’un vin à une typicité devra également intégrer la compréhension de l’ensemble des décisions humaines prises tout au long de ses étapes d’élaboration (Dubourdieu, 2012). En conclusion de sa définition de la typicité, Bottois (200 ) écrivait d’ailleurs : «la principale difficulté est d’assumer cette diversité et d’en faire un atout. S’il est sans doute plus facile de consommer un produit sans défaut mais banal, il est sûrement plus enrichissant et plaisant de consommer un produit original, pour peu que nous ayons les éléments nous permettant d’en comprendre la richesse ».

Ces différentes définitions du terme « typicité » nous permettent donc de comprendre que, d’un point de vue sensoriel, la typicité du concept du bouquet de vieillissement doit être définie non seulement par la mise en évidence de critères de distinction entre des vins présentant ce bouquet de vieillissement et ceux n’en présentant pas, mais également par l’identification de caractéristiques sensorielles communes et partagées entre les vins présentant ce bouquet de vieillissement.