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Une notion ancienne

Dans le document Santé mentale et responsabilité pénale (Page 83-87)

Section 2. Pénalisation judiciaire de la santé mentale

A. Une notion ancienne

La notion de dangerosité n’est pas nouvelle. Elle remonte, sur le plan doctrinal, aux partisans de l’école positiviste et a traversé les siècles sans jamais vraiment disparaître (1). Le critère de la dangerosité connaît aussi des utilisations pratiques depuis plusieurs années (2).

1. Ancrage théorique de la notion de dangerosité.

- L’école positiviste : la dangerosité comme fondement de la réaction sociale. Nous

avons déjà observé que le concept de dangerosité a été apporté au XXème siècle par Garofalo et s’est imposé avec le positivisme sous le nom de « témébilité ». Ce concept était déjà contenu dans un article publié en octobre 1878 par Garofalo dans le Giornale

dangerosités : pour une meilleure prévention de la récidive ».

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napoletano di filosofia e lettere. La « redoutabilité » de G. Tarde137, la périculosité de M. Ancel138, la « dangerosité », « l’état dangereux » sont tous des mots parallèles.

La théorie positiviste, dont les tenants sont les italiens C. Lombroso et E. Ferri139, en se fondant sur le concept de dangerosité, s’oppose radicalement à la théorie classique présentée en première partie. Là où la théorie classique a pour postulat le libre arbitre, la théorie positiviste postule le déterminisme. Que le fait soit imputable ou non au malade mental dont le discernement ou le contrôle des actes est obscurci, importe peu pour cette théorie qui considère que tout Homme est déterminé et ne peut, à proprement parler, être responsable. La question n’est pas posée en termes d’imputabilité ou de responsabilité, mais de dangerosité. La justice n’est plus fondée sur la punition des responsables mais sur la nécessité de réparer les dommages et d’en prévenir la réalisation.

- Rôle du droit pénal. Le droit pénal n’est pas là, selon cette théorie, pour apporter

une réponse rétributive à une infraction mais pour prévenir la délinquance, un état dangereux, en mettant en place des mesures ante delictum. C. Lombroso et E. Ferri considèrent qu’est nécessaire la soumission des aliénés aux « sanctions et mesures du droit

pénal moderne fondé sur l’état dangereux du délinquant »140. Ainsi du « manicome criminel » de E. Ferri qu’il avait imaginé comme une forme de coercition intermédiaire entre l’asile et la prison destinée à protéger la société des « fous moraux » dont « l’intégrité du

raisonnement » masquait selon lui, « une totale atrophie du sens moral »141. Ce manicome

criminel, nous le verrons, ressemble étrangement à la nouvelle rétention de sûreté.

- L’Homme criminel. La réaction sociale à la délinquance est donc fondée, selon la

théorie positiviste, non pas sur la faute mais sur la dangerosité. Or cette dangerosité est caractéristique, dans la pensée positiviste, des criminels nés ou par habitude. C’est sous l’influence de la philosophie d’Auguste Comte que la théorie positiviste s’est particulièrement intéressée à l’Homme et plus particulièrement à « l’Homme criminel ». Ses

137

La philosophie pénale, G. Tarde, Paris? Masson, 1890.

138 La défense sociale nouvelle, M. Ancel, 3ème

éd., 1981, Cujas, p. 29.

139

La sociologie criminelle, E. Ferri, 2ème éd., Alcan, 1914.

140

Code pénal annoté, E. Garçon, t. 1, Paris, Sirey, édition mise à jour par Rousselet , Patin et Ancel, 1952, art. 64.

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gestes et sa pensée sont déterminés par sa constitution biologique ou par le milieu dans lequel il évolue et qui l’influence. Les premiers travaux sur cette question sont dus à C. Lombroso qui a développé la théorie du criminel né. Selon lui les criminels sont des personnes restées en retrait de l’évolution. Le phénomène criminel aurait selon C. Lombroso une explication biologique. L’école française, avec A. Lacassagne, sans nier cette thèse biologique, a introduit une explication sociale. Il n’y aurait pas de « fatalisme ou de tare

originelle » mais une Société qui « fait et prépare les criminels ».

Plusieurs figures de l’ « Homme criminel » existent. Le récidiviste notamment, fait l’objet de toutes les craintes et symbolise par excellence l’échec du système pénitentiaire dans ses trois missions : corriger le coupable, réparer le désordre social et servir d’exemple. Considéré comme incorrigible, le récidiviste a fait et fait toujours, l’objet de toutes les attentions et notamment des théories positivistes et des politiques du début du XXème siècle. Le récidiviste est la figure première de l’« Homme criminel ». Mais la récidive est plus la conséquence du mal que son origine. En cherchant de ce côté, une autre figure est symbolique de cet « Homme criminel » dans la théorie positiviste : le malade mental. Ainsi, selon cette dernière, « les personnes les plus dangereuses sont les criminels nés ou les criminels aliénés, comme le dément proprement dit ou le fou moral »142. Le fou est donc considéré comme particulièrement dangereux.

- La succession de l’école positiviste. Au début du XXème siècle, la succession de

l’école positiviste fut assurée par le mouvement de défense sociale qui réclama contre les malades mentaux le prononcé de mesures de sûreté à caractère curatif en même temps que leur enfermement. C’est entre 1914 et 1940 que « les victoires de l’école positiviste et de la

défense sociale vont marquer les législations de très nombreux pays, en Europe et bien au- delà143 » avec des traductions parfois extrêmes. Le droit fasciste, le droit national socialiste,

mais aussi la loi belge de défense sociale de 1930 en sont des illustrations.

142

Traité de droit criminel, R. Merle, A. Vitu, t. 1, 7ème éd. : Cujas, 1997, n°75.

143

La dangerosité, une notion criminologique, séculaire et mutante, J. Danet, Champ pénal / Penal field, Nouvelle revue internationale de criminologie, Vol. V, 2008, p. 3.

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2. Utilisation pratique de la notion de dangerosité.

- Dangerosité et sanctions. Les thèses positivistes avaient trouvé une certaine

application en France dans la loi du 27 mai 1885 dite Waldeck-Rousseau, qui avait institué la relégation des multirécidivistes. Ces derniers étaient envoyés en Guyanne ou en Nouvelle Calédonie pour la fin de leur vie dès lors qu’ils avaient fait l’objet de quatre condamnations successives pour vol. L’idée était d’éloigner le récidiviste par une mesure de protection sociale, afin qu’une fois libéré, il ne puisse « contaminer » le corps social. L’individu est alors jugé, non pas sur ce qu’il a pu faire, mais sur son état dangereux et sur ce qu’il est capable de faire.

Ces mesures de défense sociale ne sont pas isolées. Même s’il est beaucoup moins extrême, le droit pénal français a toujours été sensible aux théories positivistes sans y avoir jamais totalement adhéré. L’adhésion au principe des mesures de sûreté en est la meilleure illustration. Nous ne reviendrons pas ici sur la notion de mesure de sûreté foncièrement préventive. Notons seulement que le placement d’office en hôpital psychiatrique qui est régi par la loi du 30 juin 1838 relative à l’internement des aliénés, constitue une mesure de sûreté selon les termes mêmes du code de procédure pénale144. Le malade mental reste donc irresponsable car non imputable dans le strict respect de la théorie classique. Néanmoins, le droit pénal français a toujours été influencé par la théorie positiviste en déclinant différentes mesures visant à prévenir la survenance d’infractions ou à protéger la société des individus dangereux, c’est-à-dire des mesures de sûreté. Si la maladie exclut la responsabilité, elle laisse subsister un état supposé dangereux vis-à-vis duquel il apparaît nécessaire de prendre des mesures appropriées.

Le législateur français s’est toujours, toutefois, montré réticent aux mesures de sûreté ante

delictum. Le prononcé de mesures de sûreté est toujours adossé, en France, à la commission

antérieure d’une infraction même si celle-ci n’a pas donné lieu à une condamnation (comme c’est le cas en cas de déclaration d’irresponsabilité pénale). Les mesures de sûreté auxquelles la loi française a adhéré depuis longtemps ne peuvent donc trouver leur légitimité dans la seule dangerosité abstraite de l’individu ou de la situation. L’infraction à la

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Voir Livre quatrième, Titre XXVIII, Chapitre III « Mesures de sûreté pouvant être ordonnées en cas de

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loi pénale reste, et cela est heureux, nécessaire, même si la dangerosité constitue le fondement de ces mesures.

- Dangerosité et expertise psychiatrique. L’inclusion de la dangerosité dans notre

système pénal n’est pas spécifique aux sanctions pouvant être prise sur son fondement. L’intérêt du droit pénal pour la dangerosité était présent bien avant 2008, et notamment en procédure pénale. Cette affirmation repose sur la nature des questions que le juge peut poser à l’expert psychiatre et que nous avons déjà citées145. Si l’expert doit d’abord répondre à la question de l’imputabilité et donc de la responsabilité de l’individu atteint de troubles mentaux, il doit ensuite par les trois dernières questions éclairer le juge sur la dangerosité de l’individu. L’expert doit déterminer si le sujet présente un état dangereux, puis s’il est accessible à une sanction pénale, et enfin s’il est curable ou réadaptable. Est donc ajoutée à la question de la maladie mentale et de la responsabilité pénale, celle de la dangerosité. La commission parlementaire dite « commission Outreau », à la suite de la commission Viout, a préconisé à cet égard, de distinguer les questions de la responsabilité et de la dangerosité. Celles-ci, selon la Commission, même si elles sont unies par le lien de la maladie mentale, restent radicalement différentes. L’enchevêtrement au sein du procès pénal de la dangerosité et de la responsabilité est, au sens de la Commission Outreau, problématique. La question de la dangerosité aurait souvent pour effet d’occulter celle de la responsabilité en assimilant l’état dangereux à la maladie mentale et de ce fait, en oubliant la vulnérabilité du malade mental qui peut justifier de moduler sa responsabilité.

Malgré l’ancrage visiblement ancien de la dangerosité dans le système pénal français et notamment dans l’approche qu’a le droit pénal de la maladie mentale, il est notable que les dernières années ont connu un réel engouement pour cette notion qui semble avoir atteint, aujourd’hui son apogée.

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