Section 2. Pénalisation judiciaire de la santé mentale
A. La condition du trouble psychique ou neuropsychique
- La démence du code pénal de 1810. Dans son article 64, le code pénal disposait
qu’il n’y a « ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de
l’action ». Le terme « démence » était techniquement inexact. En effet, la démence en
psychiatrie correspond à un état pathologique bien précis relevant, selon le Robert de la
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neurologiques ».
Il était donc communément admis que le terme était employé dans l’article 64 dans un sens plus large, non scientifique, et visait plus généralement l’ensemble des maladies mentales pouvant abolir la capacité de comprendre et de vouloir ou le contrôle des actes. Elle devait donc être entendue « comme synonyme d’aliénation mentale dans son acception la plus
large »47.
- Notion de trouble psychique ou neuropsychique. Distinctions terminologiques.
Dès l’avant projet de réforme du code pénal de 1978, l’article visait un « trouble psychique ». La formule a ensuite été enrichie par l’avant projet de code pénal de 1983 qui a ajouté le trouble neuropsychique. La formule « trouble psychique ou neuropsychique » a été ensuite conservée jusqu’à la réforme du 22 juillet 1992 48 qui a inséré l’article 122-1 dans le code
pénal. Le « trouble psychique ou neuropsychique » ne fait l’objet d’aucune définition par le code pénal qui se contente de l’employer. La notion de « trouble psychique ou
neuropsychique » semble traduire la volonté du législateur en 1992 de prendre en compte
l’évolution de la science. Mais selon la circulaire du 14 mai 1993 « cette disposition n’apporte
aucune modification (autre que terminologique) au droit positif » et vise toutes les formes
de maladie mentale abolissant ou altérant le jugement et le contrôle des actes, quelles qu’en soient l’origine (innée ou acquise) ou les manifestations (permanente ou non). La jurisprudence comme la doctrine s’accordent à penser que la notion de « trouble psychique
ou neuropsychique » inclut non seulement les maladies mentales au sens strict, mais aussi
d’autres causes d’abolition ou d’altération du discernement.
Une autre expression est souvent employée, celle d’aliénation mentale. Elle désigne la maladie mentale qui consiste en une déchéance progressive et irréversible de la vie psychique. Selon le Robert il s’agit d’un « dérèglement permanent ou passager des facultés
intellectuelle ; désordre mental qui met le sujet dans l’impossibilité de mener une vie sociale normale ». Elle se rapproche de la « démence » de l’article 64 du code pénal de 1810. Le
terme « aliéné » était autrefois utilisé en matière de santé publique par la loi du 30 juin
47
Cours de droit criminel et de science pénitentiaire, G. Vidal, J. Magnol, 9ème éd., 1949, p. 308.
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183849. Il a toutefois disparu avec la loi du 27 juin 199050 et n’est plus employé de façon
générale en droit français comme c’est la cas de l‘expression « fous et furieux » autrefois employée dans le code pénal.51
Une autre notion proche est celle de « maladie mentale » que nous avons d‘ailleurs utilisée dans les développements précédents. Elle est tout aussi difficile à définir. C. Devaux, pédopsychiatre, a essayé de dresser une liste non exhaustive des différentes définitions données à la « maladie mentale »52 . Il cite notamment celle de P. Vidal-Naquet qui la définit
comme « l’altération de la construction du psychisme […] identifiable au travers d’un examen clinique qui rassemble un ensemble de symptômes ». Selon C. Devaux toujours, d’autres la définissent encore en opposition à la santé mentale caractéristique de l’individu « bien inséré dans sa famille et dans la société [jouissant] d’un équilibre mental satisfaisant lui permettant de résoudre ses conflits et de résister aux diverse frustrations inévitables ». Elle correspond donc peu ou prou à l’ancienne aliénation mentale.
Mais, la plupart des textes internationaux notamment ceux de l’Organisation mondiale de la Santé53 préfèrent à la notion de maladie mentale celle de trouble mental
censée être plus simple mais aussi plus large. Selon l’OMS, le retard mental, les troubles de la personnalité ou encore la toxicomanie relèveraient du trouble mental sans pour autant constituer des maladies mentales.
Le législateur français lui-même renvoie parfois au « trouble mental ». Ainsi le code de procédure pénal, soit se contente de renvoyer à l’article 122-1 du code pénal, soit fait référence au trouble mental. Par exemple l’article 720-1-1 du dit code introduit en 2002
54prévoit que la suspension de peine pouvant être prononcée pour les détenus atteints d’une
pathologie engageant leur pronostic vital ou dont l’état de santé est durablement compromis par le maintien en détention est exclue pour les personnes détenues et hospitalisées en établissement de santé pour « troubles mentaux ». Une telle différence peut
49
Loi du 30 juin 1838 relative à l’internement des aliénés
50
Loi n°90-527 du 27 juin 1990 (D. 1990.281); voir art. L. 3211-1 et s. du C. San. Pub.
51
Voir l’ancien art. R. 30, 7° du C. pén. par exemple.
52
Définition de la maladie mentale et du handicap. C. Devaux, Intervention oral, CHU Point à Pitre.
53
Ouvrage de référence sur la santé mentale, les droits de l’Homme et la législation - Non à l‘exclusion, oui aux
soins, OMS, Genève, 2005. 54
Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (JO, 5 mars, D. 2002.1022).
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trouver une explication dans la possible volonté de distinguer selon l’autorité en charge de la personne : le « trouble psychique ou neuropsychique » renverrait aux personnes subissant une peine au sein d’un établissement pénitentiaire alors que le « trouble mental » serait spécifique aux personnes détenues dans un établissement de santé en raison de la gravité de leur état. Cette explication semble plausible mais ne parait pas résister à celle plus probable du choix par le législateur de la commodité de langage, le terme trouble mental étant plus « commun », moins technique que l’expression « trouble psychique ou
neuropsychique ». Ce choix de la facilité en 2002, regrettable seulement quelques années
après un effort de précision, semble se confirmer avec la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental55 qui instaure aux articles 706-119 et suivants du Code de procédure pénale ladite
déclaration en utilisant le terme « trouble mental ». Il semble tout de même que l’expression
« trouble psychique ou neuropsychique » soit un peu plus large en admettant d’autres
facteurs possibles de perte de discernement tels que le somnambulisme.
Néanmoins, « trouble mental » et « trouble psychique ou neuropsychique » sont utilisés indifféremment dans notre propos, par commodité de langage.
La multiplicité des termes illustre le fait que les sciences de l’esprit ne peuvent être des sciences exactes, les frontières entre les notions ne pouvant être totalement imperméables et fixes du fait de la diversité des cas possibles. D’ailleurs, il est frappant de constater à quel point les pays européens utilisent des expressions diverses.56 Par exemple,
l’Angleterre et le Pays de Galles vise « l’aliénation mentale résultant d’une maladie
mentale », toute maladie susceptible d’affecter la capacité de raisonnement, la mémoire ou
la compréhension peut être considérée comme une maladie mentale par le juge. Le droit pénal italien ne cite que la « maladie » alors que les Pays Bas font référence à « une
déficience psychique » ou à « l’altération des facultés dues à la maladie »…
Plus que par une définition générique de la notion en terme de « trouble psychique
ou neuropsychique », de « maladie mentale » ou encore de « trouble mental », il semble que
l’éclaircissement doive passer par la détermination et la description des troubles pouvant
55
Loi n° 2008-174 du 25 fév. 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental (JO, 26 fév.)
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altérer ou abolir le discernement.