• Aucun résultat trouvé

Le cloisonnement des structures hospitalières et carcérales

Dans le document Santé mentale et responsabilité pénale (Page 66-69)

Section 2. Pénalisation judiciaire de la santé mentale

A. Le cloisonnement des structures hospitalières et carcérales

La séparation nette entre l’univers carcéral et l’hôpital psychiatrique (1) est problématique pour soigner les malades mentaux délinquants qui sont confondus avec les autres détenus dans la prison et avec les autres malades à l‘hôpital (2).

1. La séparation entre la prison et l’hôpital.

Malgré les efforts du droit pour adapter sa réponse à la réalité, prisons et hôpitaux psychiatriques restent des univers très cloisonnés. Déjà sous l’empire de l’article 64 et aujourd’hui avec l’article 122 - 1, les « fous » irresponsables, sont pris en charge par les hôpitaux psychiatriques. Selon J.M. Aussel, « dès l’instant où l’article 64 est appliqué, l’aliéné mental est considéré comme un malade ordinaire au milieu des autres malades95 ». Le « demi-fou » quant à lui, est moins punissable que ce que ne le prévoyait l’ancien article 64. Néanmoins, il reste responsable et donc punissable. L’anormal mental délinquant relève donc en principe de la prison et ce, comme l’ensemble des délinquants qui ne connaissent eux, aucune altération des facultés mentales.

La décision des juges quant à l’application de l’un ou de l’autre des deux alinéa de l’article 122-1 du code pénal crée une frontière qui séparera pour la suite le parcours des personnes atteintes d’un trouble psychique ou neuropsychique : aux malades mentaux l’hôpital psychiatrique, aux anormaux mentaux, la prison. Or, ces malades délinquants qu’ils soient responsables ou non sont tous atteints d’un trouble mental. La frontière entre les deux réside dans l’écart entre l’altération et l’abolition du discernement est, nous l’avons observé, parfois très fine. Par ailleurs, ces individus ont aussi comme point commun d’avoir commis une infraction et sont donc tous délinquants.

Il ne s’agit évidemment pas de remettre en cause le principe de la répartition opérée par

95

La condition des délinquants présentant des troubles mentaux en droit français, J. M. Aussel, in Droit pénal contemporain : Mélanges en l’honneur d’André Vitu. Paris : Cujas, 1989, p. 14.

66

l’article 122-1. Etre responsable implique de répondre de ses actes et cela, potentiellement en prison. Ne pas l’être implique la liberté, et ce, malgré les ressemblances qui peuvent exister entre les « fous » et les « demi-fous » délinquants. Ce qui pose problème n’est donc pas la séparation des malades mentaux selon leur degré de responsabilité mais leur mélange avec les populations « traditionnelles » tant de la prison que de l’hôpital.

2. Le mélange entre maladie, normalité et délinquance.

Il peut en effet paraître paradoxal de différencier le parcours des « fous » et des « demi-fous » ayant commis une infraction ce, dans le juste respect des principes de la responsabilité pénale, pour ensuite, les mélanger, pour les uns avec des individus malades mais non délinquants, et pour les autres avec des délinquants non malades.

- La délinquance à l‘hôpital. L’accueil de délinquants irresponsables dans les hôpitaux

psychiatriques est problématique. Les psychiatres y sont d’ailleurs assez réticents. Le rapport Floch96 retranscrit le témoigne du Docteur Brahmy, médecin psychiatre, qui explique la raison de cette réticence. Selon lui « Tous les psychiatres de SMPR ont beaucoup de

difficultés à placer leurs patients en hôpital psychiatrique. En effet ces établissements ont humanisé leurs services, les ont ouverts. Ils ont un personnel souvent moindre qu’il y a quelques années. Ils ont fermé un nombre de lits assez important. Ils ne souhaitent pas fermer un pavillon de vingt-cinq places pour un détenu. Je rappelle qu’en psychiatrie, il n’y a pas de garde statique de policiers, contrairement aux services de médecine, chirurgie et obstétrique. Par conséquent, l’équipe de psychiatrie a la charge non seulement des soins du patient, mais également de sa sécurité, ce qui les fait un peu réfléchir. Ils ont peur des conséquences. Quand il s’agit de quelqu’un qui encourt une peine d’un mois de prison, ils ne sont pas trop inquiets, mais quand le détenu est incarcéré pour des faits beaucoup plus graves, ils se sentent à juste titre très concernés par les questions de sécurité ». L’article D.

398 du code de procédure exclut d’ailleurs, contre toute logique, les services psychiatriques du bénéfice de la surveillance par un personnel de police pendant l’hospitalisation des malades alors que cela est prévu par l’article D. 396 du code de procédure pénale pour les

96

Rapport de la commission d‘enquête de l‘Assemblée nationale, La France face à ses prisons, rapporteur J. Floch, 2000.

67

hospitalisation dans les services non psychiatriques! Les réticences des psychiatres vis-à-vis de l’accueil des individus dangereux au sein de leurs services s’expliquent tant par la contradiction à intégrer des exigences sécuritaires dans des services qui ont été voulu de plus en plus ouverts, que par la faiblesse des moyens.

- La folie en prison. Selon une enquête sur la santé des entrants en prison de 199797, près d’une personne sur dix (8,8 %) a déjà été suivie par un psychiatre, psychologue ou un infirmier psychiatre au moins une fois par trimestre, ou a déjà été hospitalisée en hôpital psychiatrique dans l’année précédant son entrée en prison. Parmi eux, près de six sur dix ont un traitement en cours par psychotropes. 4% des entrants déclarent, à l’arrivée en prison, un traitement par antidépresseurs et 3,5% un traitement par neuroleptiques. Ces proportions sont nettement plus élevées que celles observées dans la population générale. Les médecins procédant à l’examen médical d’entrée en prison prescrivent une consultation spécialisée en psychiatrie dans 8,8% des cas. Le rapport Floch98 rendu le 28 juin 2000 confirme ces chiffres. Selon lui 10 % des entrants en prison déclarent avoir eu un suivi psychiatrique et la proportion de ceux qui déclaraient à l'arrivée un traitement par antidépresseurs ou neuroleptiques est nettement plus élevée que dans la population générale. Il faut, selon ce même rapport, ajouter aux 10 % précités tant les personnes incarcérées qui n'avaient pas été soignées malgré leurs troubles, que celles dont les troubles sont apparus pendant la détention ou préexistaient mais sous une forme légère n'ayant pas nécessité de soins (les « détenus fous »).

Plus alarmiste encore est le rapport du Sénat du 29 juin 200099. Il considère, en effet, que le chiffre de 10% de malades en détention est bien en deçà de la réalité qui approximerait les 30% de détenus souffrant soit de troubles psychiques à leur entrée en détention, soit de troubles s'étant révélés au cours de leur détention!

La présence de la maladie mentale en prison est inquiétante principalement au regard de l’insuffisance des dispositifs de soins mis en œuvre au sein des établissements pénitentiaires. Le rapport de la commission d’enquête du Sénat précité fait état de

97

Enquête sur la santé des entrants en prison de la DREES (Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistique).

98

Rapport de la commission d‘enquête de l‘Assemblée nationale, La France face à ses prisons, rapporteur J. Floch, 2000.

99

Rapport de commission d’enquête du 29 juin 2000 n°449 : Les conditions de détention dans les établissements

68

l’insuffisance des modalités de prise en charge psychiatrique dans l’ensemble des prisons qui sont considérées selon ses termes comme une véritable « humiliation pour la République »100.Or, aux termes de l’article L. 1110-1 du code de la santé publique, le droit fondamental à la protection de la santé doit en principe être mis en œuvre par tous moyens au bénéfice de toute personne, qui doit recevoir les soins les plus appropriés, ce droit s’appliquant également aux personnes détenues. La Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France à plusieurs reprises sur le fondement de ce droit à la santé concernant les personnes incarcérées101. La France en a pris acte en consacrant le droit à la santé du

détenu dans l’article 46 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009102 et en créant des structures spécialisées pour les malades incarcérés.

Dans le document Santé mentale et responsabilité pénale (Page 66-69)