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Gestes calligraphiques

5.1. Observations sur l’écriture graphique et notationnelle

5.1.3. Notation musicale

Nous présentons ici quelques particularités observées dans la notation employée par le calligraphe du MM 51 qui nous aident à saisir sa pensée notationnelle et musicale.

Mensuration et notation rythmique

La notation rythmique suit les règles de la notation blanche. Tandis que la mensuration en prolation mineure (Ȼ et C)3 présente une notation similaire à celle de nos jours, mesure dite binaire, la mensuration en prolation majeure (Ͼ3), mesure dite triple ou ternaire, mérite quelques observations4. Le concept de perfection est toujours employé au milieu du XVIIe siecle :

3 Dans un extrait théorique trouvé dans les Cartapácios (MM 236, f. 234 v), la mensuration Ȼ est désignée

tempo de compaço largo ou tempo de premeo et la mensuration C est appelée tempo de compacinho.

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une suite de semibrèves parfaites ne présente un point qu’à la dernière semibrève parfaite5. Comme nous l’observons dans la figure ci-dessous, dans ce contexte le point signifie, par conséquent, perfection et non pas augmentation.

Figure 5.10 - MM 51, f. 39 : exemple de notation d’une suite de semibrèves parfaites (« 25. Que Ave del plumaje blanco es esta », m. 128-134).

Dans cette mensuration rythmique la coloration6 est largement employée pour indiquer un changement rythmique provoqué notamment par une syncope ou par l’imperfection des figures rythmiques.

Figure 5.11 - MM 51, f. 39 : exemple de coloration et de notation d’une suite de semibrèves parfaites (« 25. Que Ave del plumaje blanco es esta », m. 115-127).

La coloration peut aussi annoncer des hemioles ou un court changement rythmique. Dans un contexte de rythmes « longue-brève » l’inversement de ce motif est souvent coloré, comme observé ci-dessous.

5 Dans tous les traités de théorie musicale depuis le XVe siècle, cette règle est connue selon le principe général latin brevis ante brevem dicitur perfecta (une brève est parfaite si devant une autre brève).

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Figure 5.12 - MM 51, f. 14v : exemple de coloration appliquée à un changement rythmique (« 17. Ai amores, Ai mi Dios », m. 49-54).

Les syncopes et les changements rythmiques étant en effet très fréquents dans les sections à mensuration rythmique ternaire, la coloration y est largement utilisée. Son emploi n’est pourtant pas systématique en raison de quelques oublis occasionnels. Ceci peut éventuellement témoigner d’une transformation de ce principe, de la règle vers l’avertissement. Notamment dans « 17. Ai amores, Ai mi Dios », nous rencontrons un mouvement homophonique des deux

tiples où l’on n’observe pas la même notation rythmique dans les deux voix (figure 5.13) : le 1º Tiple présente deux minimes noircies suivies de deux semibrèves noircies et ligaturées (cum opposita proprietate) tandis que le 2º Tiple présente juste la deuxième semibrève noircie et sans

ligature.

Figure 5.13 - MM 51, f. 15 : exemple de la non-systématisation de la notation et la coloration (« 17. Ai amores, Ai mi Dios », m. 63-67).

Dans cette même mensuration en prolation mineure, les semiminimes ont la particularité d’être dessinées comme des minimes avec des hampes ou des croches blanches, comme en témoignent les figures ci-dessous. Quand une vocalise est élaborée par quatre de ces

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semiminimes, les figures sont notées comme des croches blanches regroupées. Ceci est traduit dans la présente édition par quatre semiminimes noires avec une liaison, comme indiqué dans les principes éditoriaux généraux.

Figure 5.14 -MM 51, f. 14v : exemple de notation blanche en mensuration triple (« 17. Ai amores, Ai mi Dios », m. 48-51, 2º Tiple).

Figure 5.15 - MM 51, f. 35v : exemple de notation blanche en mensuration triple (« 25. Que Ave del plumaje blanco es esta », m. 30-32, 1º Alto).

Le tableau suivant résume l’emploi des figures rythmiques pour chaque mensuration observées dans le MM 51.

Tableau 5.1 - Mensurations et figures rythmiques dans le MM 51.

Mensuration Brève Semibrève Minime Semiminime Croche Double-croche

- - (blanche) - - (colorée) - - -

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Dans la mensuration Ȼ, la valeur la plus petite est la semiminime et dans la mensuration C c’est la double-croche, utilisée uniquement pour des vocalises et jamais syllabique. La valeur la plus petite employée dans la mensuration Ͼ3 est la semiminime, qui n’est jamais noircie.

Un détail calligraphique est que, contrairement à l’usage actuel hérité de l’imprimerie, la hampe des figures isolées est toujours dessinée à droite du cercle qui définit la hauteur de la note. Un autre détail de notation concerne le regroupement des croches qui semble de toute évidence respecter la prosodie du texte. Systématiquement, quand les croches sont syllabiques les notes sont dessinées détachées, et quand les croches forment une vocalise, elles sont alors dessinées groupées. Ce fait, couramment employé dans la musique vocale des XVIe et XVIIe siècles, est visuellement très parlant, raison pour laquelle nous avons choisi de respecter ce principe dans la présente édition musicale. Dans la figure suivante l’on voit les deux choix de notation : les vocalises sur ondas et corriendo sont écrites avec les croches groupées et la déclamation syllabique y de flor en flor las aves est écrite avec les croches détachées.

Figure 5.16 - MM 51, f. 13 : témoignage du groupement différent des croches, liées dans les vocalises et détachées lorsque syllabiques.

Dans « 3. Octavo Calendas Januarii », seule pièce du MM 51 avec des vocalises en doubles croches, notre édition respecte également le regroupement de ces figures tel qu’on le trouve dans le manuscrit. À plusieurs occasions cela peut réellement renseigner l’interprète sur l’organisation des motifs mélodiques.

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Figure 5.17 - MM 51, f. 6 : exemple de groupement des doubles croches dans une vocalise.

Enfin, la précision du calligraphe est parfois remarquable au f. 46. Sur la m. 109 du psaume « 26. Credidi », le calligraphe prend le soin d’effacer rapidement le dessin d’un soupir uniquement pour le replacer plus proche de la note qui le précède.

Figure 5.18 - MM 51, f. 46 : détail d’une précision notationnelle.

Cas d’irrégularité rythmique

Parmi les nombreuses diminutions mélismatiques (glosas) que l’œuvre « 3. Octavo Calendas

Januarii » (f. 2v-6) nous offre, nous rencontrons divers cas d’irrégularité rythmique. C’est en

effet la seule œuvre du MM 51, et vraisemblablement la seule au sein de Cartapácios, où se vérifie occasionnelement une irrégularité très particulière. Au f. 4, dans l’écriture des glosas, nous rencontrons un premier sextolet suivi par un quintolet. Ce premier indice d’irrégularité rythmique est suivi rapidement par d’autres.