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Genres et pratiques compositionnelles portugaises et ibériques

4.6. Antienne Mariale

L’Antienne est un texte du Propre294 chanté avant et après un psaume ou un cantique. Quelques antiennes sont, toutefois, autonomes et chantées sans psaume ou cantique295. Ceci est notamment le cas concret des Antiennes Mariales qui sont alors un genre généralement plus long et plus orné que les antiennes communes. L’usage de quatre Antiennes Mariales distribuées dans le calendrier liturgique a été établi par les Franciscains au XIIIe siècle, et leur place fixée à la fin de l’office des Complies296, et ensuite élargie au rite Romain297. Après le concilie de Trente, la distribution des Antiennes Mariales est présente dans le Bréviaire au long de l’année liturgique de la façon suivante :

Tableau 4.16 - Les quatre Antiennes mariales dans le calendrier liturgique.

Antienne mariale Emploi dans le calendrier liturgique

Alma redemptoris mater À partir des premières vêpres du samedi avant le premier dimanche de l’Avent jusqu’aux secondes vêpres de la Purification (2 février) incluses.

Ave regina caelorum Pendant Carême : après les Complies de la Purification (2 février) jusqu’aux Complies du Mercredi saint (pas d’antienne mariale les Jeudi et Vendredi saints). Regina caeli Pendant le temps Pascal : dès les Complies du jour de Pâques jusqu’à la None du

samedi après la Pentecôte.

Salve regina À partir des premières Vêpres de la fête de la Sainte Trinité jusqu’au None du samedi avant l’Avent.

Regina cæli

À propos de l’origine de l’antienne Regina caeli, Dom Prosper Guéranger, abbé de Solesmes, présente une légende selon laquelle le Pape Grégoire l’a composé en réponse au chant des anges apparus lors d’une procession miraculeuse à Rome contre la peste pendant le temps

294 Les textes du Propre sont les textes spécifiques à une fête particulière : voir [Harper, 1991], p. 311. Le projet CANTUS de catalogage d’environs 100 antiphonaires médiévaux, a répertorié approximativement 12 000 antiennes différentes qui sont employées selon la fête, l’endroit et l’occasion : voir [Hiley, 2009], p. 50.

295 Voir [Harper, 1991], p. 287-288.

296 Voir Michel Huglo & Joan Halmo, « (v) Marian antiphons » Grove Music Online. Oxford Music

Online, Oxford University Press, http://www.oxfordmusiconline.com/subscriber/article/grove/music/

01023#S01023.5.5, page consulteé le 08/11/2016.

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Pascal298. Cette antienne est alors destinée au temps Pascal jusqu’à la Pentecôte, ce qui inclut la fête de l’Ascension. Sachant que le Regina caeli du MM 51 suit dans le manuscrit les œuvres destinées à l’office de None de l’Ascension de 1650, il est probable que cette antienne mariale a également été chantée aux offices de l’Ascension de cette même année au monastère de

Santa Cruz.

La pratique de la mise en polyphonie de cette antienne, comme pour les autres antiennes mariales, semble être généralisée chez les principaux compositeurs ibériques des XVIe et XVIIe siècles299. Parmi les chanoines réguliers, le maître de chapelle Pedro de Cristo (†1618) nous a laissé au moins un exemplaire de chaque. Trois Regina caeli différentes et une quatrième copiée sont parvenues jusqu’à nous, chacune d’après une mélodie grégorienne distincte et non concordante avec la mélodie exposée dans l’antienne homonyme dans le MM 51. Les trois autres antiennes mariales sont présentes dans l’œuvre de Pedro de Cristo, en un seul exemplaire de chaque.

Tableau 4.17 - Antiennes mariales de Pedro de Cristo.

Antienne mariale Source Voix

Regina cæli MM 33, f. 81v-82 4

Regina cæli MM 36, f. 9v-10 4

Regina cæli MM 36, f. 57v-58 ; MM 53, f. 32v-33 4

Salve regina MM 33, f. 90v + 100-101 ; MM 53, f. 33v-35 4

Ave regina caelorum MM 36, f.30v-31 4

Alma redemptoris mater MM 36, f. 42v-44 4

298 « Antienne à la Sainte Vierge. Une antique tradition se rapporte à cette célèbre et joyeuse Antienne. On

raconte que, sous le pontificat de saint Grégoire le Grand, une peste désastreuse vint s'abattre sur la ville de Rome, pendant le Temps pascal. Afin d'en obtenir du ciel la cessation, le saint Pape ordonna une procession générale du clergé et du peuple, dans laquelle on porterait avec respect le tableau de la Sainte Vierge peint par saint Luc. L'immense et pieux cortège se dirigeait vers la basilique du Prince des Apôtres; et à mesure que la sainte image s'avançait suivie du Pontife en prières, l'air se purifiait sur son passage, et les miasmes pestilentiels tombaient. On était arrivé au pont qui unit la ville au quartier du Vatican ; tout à coup un concert d'Anges se fait entendre au-dessus de la sainte image. Ces Esprits bienheureux chantaient : « Reine du ciel, réjouissez-vous, alleluia; car celui que vous avez mérité de porter, alleluia, est ressuscité comme il l'avait dit, alleluia. » Après ces paroles, les voix célestes se turent : alors le Pontife, osant unir les vœux de la terre au chant triomphal des deux, ajouta avec transport cette humble supplication : « Daignez prier Dieu en notre faveur, alleluia ; » et l'Antienne pascale de Marie se trouva ainsi composée. Grégoire, levant ensuite les yeux au ciel, aperçut sur la cime du Môle d'Adrien l'Ange exterminateur, qui, après avoir essuyé son épée ensanglantée, la remettait dans le fourreau. En mémoire de cette apparition, le Môle d'Adrien a conservé depuis le nom de Fort Saint-Ange ; et il est surmonté d'une statue colossale en bronze représentant l'Ange exterminateur qui abaisse son glaive, et le fait rentrer dans le fourreau ». : Dom Prosper

Guéranger, L’année Liturgique - Le Temps Pascal - Tome III - Chapitre IX, douzième édition, H. Oudin Éditeur, 1902, p. 133.

299 Au sein des sources musicales imprimées conservées notamment dans la P-Cug se trouvent des antiennes mariales de Juan Navarro, Duarte Lobo, Lourenço Rebelo, Tomás Luis de Victoria, entre autres. Voir [Abreu & Estudante, 2011].

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Dans l’Index de la Bibliothèque Royale de Lisbonne sont décrites 38 antiennes mariales, présentées dans l’« Annexe G » : huit Regina caeli, dix-neuf Salve Regina, dix Ave Regina et seule une Alma redemptoris.

Au sein des Cartapácios, et parmi leur calligraphe principal300, la Regina Caeli occupe une place prépondérante parmi les antiennes mariales301. Il y a en tout cinq antiennes mariales pour le temps pascal, dont quatre dans le codex MM 239302. La cinquième issue du MM 51 est la seule polychorale des cinq. En outre, nous trouvons une Alma Redemptoris mater dans le MM 229, une Salve regina dans le MM 237 et enfin aucune Ave regina caelorum.

Tableau 4.18 - Antiennes mariales au sein des Cartapácios.

Antienne mariale Codex Folios Voix Titre

Regina caeli MM 51 f. 33v-34v 8 + guião -

Regina caeli MM 239 f. 5v-6 2 (incomp.) Pª Sabbado de paschoa. A duo

Regina caeli MM 239 f. 13 2 + guião A Duo. Pª dia de paschoa

Regina caeli MM 239 f. 35v-36 2 + guião Regina Pª Vespora de Paschoa. A Duo

Regina caeli MM 239 f. 57 1 + guião -

Alma Redemptoris mater MM 229 f. 39-40 4 (SATB) -

Salve regina MM 237 f. 24v-27, 34v-35 4 (SSAT) Salve Regina a4

Ave regina caelorum - - - -

Regina cæli dans le MM 51 (23.)

Dans le manuscrit MM 51, la texture polyphonique de cette antienne mariale est très théâtrale suivant la structure du texte, présentant une voix soliste, le 2º Tiple, qui chante le texte descriptif de l’antienne, mais à laquelle répondent les autres voix sur Alleluya organisées en double chœur en valeurs plus courtes et avec des motifs imitatifs ou en alternance antiphonale. Dans les interventions tutti la voix soliste ne participe guère et se détache formellement de l’ensemble des voix contrapuntiques.

300 Voir « 5.3. Calligraphies au sein de Cartapácios ».

301 Il semble ainsi que Dom Pedro de Cristo et le calligraphe principal des Cartapácios suivent tous les deux une même sollicitation liturgique témoignant de la prépondérance de la Regina caeli parmi les antiennes mariales du monastère de Santa Cruz.

302 Le MM 239 est composé par deux cartapácios : le cartapácio 10 (f. 1-48) et cartapácio 13 (f. 49-99). Se trouve ainsi un total de cinq Regina caeli distribuées dans trois cartapácios (10, 13 et 19 – qui est le MM 51).

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Tableau 4.19 - Distribution des procédés compositionnels dans « 23. Regina cæli ».

Texte Procédés compositionnels

Regina cæli lætare, Solo : 2º Tiple

Alleluya. Contrepoint imitatif : 1º Ch + 2º Ch

Quia quem meruisti portare, Solo : 2º Tiple

Alleluya. Homophonie avec alternance antiphonale : 1º Ch (sans 2º Tiple) + 2º Ch Resurrexit sicut dixit, Solo : 2º Tiple

Alleluya. Homophonie avec alternance antiphonale : 1º Ch (sans 2º Tiple) + 2º Ch Ora pro nobis Deum, Solo : 2º Tiple

Alleluya. Contrepoint imitatif : 1º Ch + 2º Ch

La voix soliste 2º Tiple semble évoquer une mélodie grégorienne du Ier ton, non identifiée. Dans la première intervention en tutti, sur Alleluya, cette mélodie hyphothétique continue éventuellement au 3º Tiple dans le deuxième chœur (voir figure 4.20). La seule autre antienne mariale dans les Cartapácios avec une citation de la mélodie grégorienne est la Salve regina du MM 237. Cette technique est effectivement courante et nous la retrouvons notamment dans la

Regina caeli d’Estêvão de Brito (Ms. IX des archives de Malaga, f. 76v-80) avec la citation

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