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Le peuplement de la vallée du Drā ne peut se dissocier du nomadisme1, très ancien dans cette région. Ce genre de vie avec son système économique et social a été, pendant plusieurs siècles, la solution la plus adéquate pour vivre dans ces régions de steppe caractérisées par leur immensité, leur climat aride, leur végétation pauvre et rase (armoise blanche et alfa, petits épineux), leur manque d'eau pour l'irrigation, dépourvues de minerai et de sources d'énergie. Ces terres de la steppe, hormis les palmeraies proches du Drā, étaient surtout utilisables pour l'élevage intensif.

Les nomades qui y vivaient étaient des groupes arabes et berbères, éleveurs de chameaux, caprins et ovins, et exerçaient d'autres activités complémentaires telles que le commerce ou la razzia. On pouvait y distinguer deux types de nomadisme : au sud, les grands nomades chameliers venant du Sahara, les Āarib et les M'Hammed, vraisemblablement descendants des Arabes Maāqil2; au nord, les petits nomades transhumants, éleveurs de moutons et de chèvres, qu'étaient les Berbères Ayt Ātta.

Les Āarib, éleveurs de chameaux et de chèvres, parcouraient le Sahara, et pratiquaient un commerce transsaharien. Ils nomadisaient autrefois de Tindouf à Aqqa et ont vu leur espace se restreindre avec la colonisation d'abord, puis les nouvelles frontières entre Maroc et Algérie. Ils étaient 1318 en 1949, et ne dépassent pas 3000, 40 ans plus tard en 19893. Des données plus récentes n'ont pu être collectées, dans la mesure où ils se sont sédentarisés, et ne sont plus considérés comme un groupe social à part. Les M'Hammed, éleveurs chameliers eux 1 Les propos qui suivent doivent beaucoup à l'article de A.T. Zainabi,Vers une disparition rapide du nomadisme au Sahara marocain : le cas du Dra moyen, 1989.

2 Voir plus loin 3 Zainabi 1989, p.52.

aussi issus des Maāqil, sont également venus du Sahara occidental ; leur activité complémentaire consistait à piller les sédentaires.

Les Ayt Ātta quant à eux faisaient du nomadisme de transhumance saisonnière sur le jbel Saghro à la saison d'été, en plaine à la mauvaise saison, et s'efforçaient en permanence d'agrandir leurs espaces pastoraux. Cette occupation de bergers se conjuguait généralement avec des activités agricoles, permanentes ou momentanées, dans les vallées.

En effet, nomadisme et sédentarité ont de tout temps été complémentaires, dans la vallée du Drā comme ailleurs. « Le Dra est un centre de vie sédentaire indispensable aux tribus nomades du sud. Celles-ci, en effet, vivent de ses ressources agricoles. Ses qsour fortifiés sont également des entrepôts et des marchés où les pasteurs viennent troquer les produits de leurs troupeaux contre les céréales et les denrées d'importation dont ils ont besoin1

« Mais lorsque ces ressources complémentaires n'assuraient plus la survie des groupes nomades, ces derniers n'hésitaient pas à attaquer les sédentaires2.» Ceci fut le cas à maintes reprises de la part des grands nomades chameliers, essentiellement Āarib et M'Hammed, qui recherchaient alors les produits agricoles des oasis.

Le peuplement hétérogène de la vallée du Drā

La population des oasis de la vallée du Drā est aujourd'hui constituée de groupes ethniques et sociaux très divers, cultivateurs ou nomades sédentarisés qui cohabitent en harmonie sans se mélanger. Dans le qsar d’Asrir ils furent tous présents, sauf les Juifs, qui n'ont pas de maisons dans le village.

Comme nous l'avons vu précédemment3, depuis le Moyen-Âge plusieurs populations étaient déjà présentes dans la vallée, et vraisemblablement même depuis l'Antiquité. Ce sont les auteurs arabes du XIème siècle qui, les premiers, nous donnent les renseignements historiques sur le peuplement de la vallée du Drā ; auparavant cependant les auteurs juifs mentionnent déjà que le Drā est peuplé depuis le VIème siècle avant notre ère.

Depuis longtemps les différentes ethnies cohabitent sur les mêmes terroirs, sans pour autant avoir fusionné. Cette hétérogénéité est un élément fondamental pour comprendre l'histoire de ces régions, même si, depuis la fin du XVème - début du XVIème siècle, l'Islam a cimenté une apparente unité.

Par ordre d’arrivée quasiment chronologique dans la vallée, nous rencontrons :

Les Drāoua, ou Ayt Drā ou Ayt Tmourt ou encore Haratines.

Le sens étendu de Drāoua désigne tous les habitants du Drā, excepté les Arabes et les 1 Spillman 1930, p.4.

2 Zainabi 1989, p.50.

Berbères blancs.

Mais le sens restreint concerne seulement les premiers habitants sédentaires, qui étaient les jardiniers de la palmeraie. Population à la peau foncée -mais non noire- ils semblent avoir été les premiers habitants de la vallée du Drā, installés depuis l’époque préhistorique. Eux-mêmes se désignent par le terme de Ayt Tmourt, « ceux de la terre, du bled, du pays ». Les Berbères leur donnent le nom de Ayt Drā, ceux du Drā. Ayt est en effet un terme berbère qui signifie « ceux de », désignant un groupe par son origine, soit géographique, soit généalogique.

Le mot Haratine (singulier hartāni) par lequel ils sont souvent nommés, est d'origine incertaine, et traduit par certains par "affranchis", ce qui supposerait qu'ils furent esclaves. Cela est peut-être le cas dans d'autres régions du Maroc pour ceux qu'on dénomme ainsi - en effet, de nombreux auteurs les assimilent aux Noirs, anciens esclaves émancipés venus d'Afrique - mais n'est pas confirmé par ceux qui se sont penchés sur l'histoire de la vallée du Drā. Pour le capitaine Spillmann1, « il est très possible qu'un certain nombre descende des populations négroïdes que le peuple d'Hannon désigne sous le nom d’Éthiopiens, gens de race noire ou brune, opposés dans l'Antiquité aux Libyens de race blanche ». Henri Terrasse2 parle même au sujet des Haratines de "race à part", que l'on ne saurait confondre avec les descendants éventuels d'esclaves noirs, ce qui est corroboré par le non-emploi du mot

ismghan – esclave, en berbère - pour les désigner. La qualification des Haratines comme

descendants d'esclaves pourrait donc être plutôt un effet d'amalgame, du fait de leur peau sombre. Djenoun Jacques-Meunié précise "qu'ils ne sont pas à confondre avec les esclaves importés du Soudan ou leurs descendants3». D'autant que très peu d'esclaves soudanais étaient présents au Maroc jusqu'à la fin du XVIIème siècle.

Nous nous en tiendrons ici à la dénomination Drāoua ou Haratines. Les définissant comme étant les populations sédentaires premières dans la vallée du Drā, à la peau foncée, qui habitaient et cultivaient les terres et ont ensuite demandé protection aux nomades de la montagne contre d'autres tribus nomades. De fait, par la suite ils sont devenus les serviteurs de ceux qui les protégeaient. Nous les avons rencontrés dans le village d'Asrir et les environs où ils ont effectivement encore une place spécifique. Nous reviendrons plus loin sur cette population et les débats que suscite toujours son origine.

Historiquement arrivent ensuite des Berbères sahariens, les Haskoura, qui, traversant le Sahara occidental du Sud au Nord, razzient le Drā, renversent les Zénètes de Sijilmassa et donnent naissance à la dynastie des Almoravides (XIème siècle – XIIème siècle). La province du 1 Spillmann 1931.

2Terrasse 1938. 3 Jacques-Meunié 1975.

Drā restera ensuite indépendante et sera l'une des sources de la grande dynastie marocaine des Almohades. « Le moyen Drā est le pays des Haskoura, confédération berbère renommée qui, vers le milieu du XIIème siècle, fait partie du grand rassemblement des tribus dont la coalition amènera au pouvoir la célèbre dynastie des Almohades qui règne XIIème siècle au XIIIème

siècle1. »

Une population arabe nomade, les Maāqils, vient alors perturber l'équilibre de cette région.

De source écrite certaine2, leur arrivée dans la vallée du Drā est datée du début du XIIIème

siècle. Ils auraient été expulsés d'Égypte vers la Tunisie au XIème siècle, puis déportés au Maroc au milieu du XIIème siècle, occupant les oasis méridionales, où ils régnèrent entre Souss et Tafilalet du XIIIème à la fin du XVème siècle. Ils furent les premiers éléments arabes dans la vallée du Drā, bien après l'arrivée de l'Islam au Maroc à la fin du VIIème siècle. Nomades pilleurs, en hordes inorganisées, ils minèrent l'autorité locale, et furent incapables d'en établir une nouvelle. Le Drā oriental, indépendant des sultans du nord, continua à subir le joug des

Maāquil jusqu'au XVIème siècle ; les villages, qui se battaient entre eux, payaient les Maāquil pour les protéger des autres nomades. Au début du XVIème siècle, les seigneurs de la vallée du Drā et les Portugais récemment installés à Agadir se prêtèrent main forte mutuellement contre les Maāquil.

On les distingue en Ouled Yahia et Beni M’Hammed. Ces derniers seraient un mélange d’arabes Maāquil et de Berbères Zenata arabisés. Ils pillaient les palmeraies et les villages des sédentaires. Ils exerçaient ainsi leur domination sur la quasi totalité du Drā moyen - là où se trouve le village d'Asrir n'Ilemchane. Ils se sont sédentarisés en totalité. Au temps de la dissidence berbère, ils étaient rattachés à la fraction Ayt Kebbaj des Ayt Ātta.

D'autres arabes, les Āarib, nommés aussi « hommes bleus » car autrefois vêtus de

cotonnades teintes à l'indigo, forment un groupement humain hétérogène. Ce sont des nomades transsahariens commerçants, vraisemblablement d'origine Maāquil. Ils sont peu nombreux dans la vallée du Drā et furent rattachés eux aussi, après leur sédentarisation, à une fraction des Ayt Ātta.

Les Berbères Ayt Ātta, - « ceux de Ātta », leur ancêtre présumé -, face à ces grands nomades

sahariens arabes et leurs attaques répétées, furent appelés à la rescousse par les populations sédentaires de la vallée du Drā. Ceux qui nous occupent, pasteurs de chèvres et de moutons, sont descendus du jbel Saghro ; d'autres, nomades chameliers, se trouvaient à la lisière du Sahara. Nous reviendrons plus loin sur les Berbères et cette tribu en particulier.

Les Juifs, enfin, ont joué un rôle particulier du fait de leurs professions : orfèvres, artisans,

1 Jacques-Meunié 1982. 2 Jacques-Meunié 1982, p.53.

marchands, monnayeurs, prêteur, etc. Issus d'une immigration soit ancienne venue d'Orient soit plus récente expulsée d'Andalousie, ils se sont fixés surtout dans les villes et les centres commerciaux, très peu dans les qsour. Dans le Drā, dès le Xème siècle avant notre ère, ils installent leur capitale à Tamgroute, à quelques kilomètres au sud de Zagora. Ensuite ils se heurtent aux Kouchites en place depuis le Vème siècle de notre ère ; après avoir vaincus ces derniers, ils imposent leur domination sur le Drā oriental et Tazroute Zagora actuelle -devient leur capitale. On les retrouve aujourd'hui à Laaroumiyate, qsar au nord d’Asrir, où ils ont encore leur lieu de culte ; jusqu'en 1948, ils étaient nombreux à Amzrou, dont ils avaient fait un centre d'orfèvrerie, en aval de Zagora. La plupart sont partis en Israël, certains se sont convertis à l'Islam et se sont mêlés à la population des qsour.

Les mouvements de population dans la vallée du Drā et l'arrivée