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Les structures administratives traditionnelles

L'assemblée des notables

À la tête du village, une assemblée de notables détient le pouvoir politique. Elle a été maintes fois décrite1 avec des variantes et nous fut précisée sur place.

Dans le qsar de Nesrat étudié par La Chapelle2 en 1929, l'assemblée est celle des Ayt Drā. Effectivement, ce qsar était habité par une majorité de Haratines, et quelques Hrar ; des nomades campaient sous tente sur son territoire. Ce que l'observateur nous décrit est une organisation où les Ayt Drā dominent, et qui, préexistait à l'installation des protecteurs. À Asrir un des Ayt Drā nous mentionne que la qabila a mandaté ses représentants pour aller demander la protection des Ayt Ātta, puis plus tard les a installés au village. « La qabila à l'époque c'était Ayt Askour et Ayt Laāraj, dont mon arrière grand-père ; ils sont allés au Saghro chercher les Ayt Ātta. La qabila leur a donné des terres où ils ont construit3». Elle préexistait 1 La Chapelle 1929, pp.31-32 ; Montagne, 1930, p.152 ; Lefébure 1971 p. 19.

2 La Chapelle 1929.

donc à l'arrivée des Ayt Ātta. Ceux-cià leur tour, nous ont parlé de la jma'a.

Nous avons ainsi affaire à deux vocables, que l'on trouve également dans la description de l'organisation de Nesrat fait par La Chapelle : qabila chez les Ayt Drā, jma'a chez les Ayt Ātta, deux termes qui semblent désigner la même entité. Si l'on s'en tient à l'origine linguistique,

qabila, pl. tiqbal, vient de l'arabe qabila, ڟڵݐبڦ, qui veut dire ligue, confédération1, il est traduit généralement par « tribu » ; jma'a dont le sens premier est « groupe », la racine "jmε" signifiant rassembler est traduit par « assemblée ». Deux sens voisins pour ces mots qui sembleraient avoir été utilisés préférentiellement par l'un ou l'autre groupe. On les retrouve également, à Nesrat, dans la dénomination de la maison commune du qsar, dar al Qbila ou digemmi ljem'at, qui pourrait être traduit par « maison de la tribu » d'une part, « maison de l'assemblée » d'autre part. « Le terme ljem'at, est une légère transformation phonétique et sémantique de jma'a et renvoie au modèle de gestion représentative du qsar ou ighrem. Le

qsar ne coïncide par forcément avec tribu. La confusion des deux termes peut se produire

dans le cas où "qsar" coïncide avec "tribu" c'est à dire quand tous les habitants d'un qsar sont originaires d'une même tribu2. » Même si ce n'est pas le cas d'Asrir, l'administration emploie le terme « tribu » pour désigner ensemble tous les habitants d'Asrir. Nous avons noté que les

Ayt Drā emploient exclusivement qabila, les Ayt Ātta pouvant passer d'un terme à l'autre sans

distinction,

Dans les deux cas, qabila ou jma'a, il s'agit d'une gouvernance collégiale par un groupe de notables.

Composition de l'assemblée

À Asrir, une seule assemblée est constituée de neuf hommes dotés d'un mandat à durée limitée. Chaque groupe désigne ses représentants parmi les « sages » : des Draoua ou Ayt

Mourt, deux personnes, une pour les Ayt Bamad, une pour les Ayt Ahmed ; des Hrar, deux

personnes une de chacun des deux clans, les Ayt Hmad et les Ayt Lhaj ; des Ilemchane des Ayt

Ātta, quatre personnes, une des quatre fractions3 de la tribu, à savoir les Ayt Mâarir, les Ayt

Bounou, les Ayt Ichou, les Ayt Boutaghratine. S'y ajoute le cheikh ou amghar, élu par ces

notables ; il ne représente pas sa propre fraction, il a un autre rôle et ne cumule pas. À l'origine, son mandat était d'une année seulement, par roulement entre les groupes.

Montagne décrit la jma'a comme « l'assemblée de tous les hommes en état de porter les armes4.» Il est en effet à noter que, parfois citée comme un modèle de gouvernement 1Ce terme a donné son nom à la Kabylie.

2 Précision donnée par Hassane Benamara.

3 Le terme est fraction est celui employé par Robert Montagne (1930) qui traduit ainsi le mot berbère ihgs dont la traduction littérale est os.

démocratique, cette réunion n'inclut cependant ni les femmes ni les jeunes hommes, comme le remarque avec pertinence la sociologue Fatema Mernissi : « Dans la société traditionnelle, tout le monde n'a pas le droit de participer. Les juifs, les étrangers, les femmes et les jeunes sont exclus de la jma'a berbère, car la participation n'est pas un droit attaché à l'individu mais à l'appartenance à la tribu1

Rôle de l'assemblée

Cette assemblée, traditionnellement, assure la gestion des affaires collectives du village, intérieures et extérieures « Ces huit hommes organisent le travail, les services populaires collectifs, le maslaa [lieu de la prière collective à l'extérieur du village]. Ils organisent la

twiza [mot arabe signifiant l'entraide], jamaa en berbère2. » Cette assemblée « prend toutes les décisions graves3».

Elle se réunissait dans dar al qabila ou taddart taqbilt, la maison commune, dans laquelle on trouvait outre une salle de réunion, des lieux de stockage des réserves, et des chambres pour loger les étrangers de passage.

De plus elle avait la charge de la « caisse publique constituant le Trésor de la Cité4». Le

cheikh d'Asrir nous le dit en ces termes : « Dans dar el qabila il y avait des coffres, sunduq,

qui renfermaient les dattes, le blé, l'orge, les fèves, une partie de la production de chaque clan. Ils vendent ces produits, et avec l'argent achètent ce qui est nécessaire pour la collectivité : tapis pour la mosquée, la corde pour tirer l'eau, le seau, la nourriture pour les invités5. » Cette réserve commune était « alimentée chaque année par un impôt sur tous les habitants6». Notre hôte à son tour précise : « C’est là qu’on recevait les hôtes du village, mais c’est également un grenier collectif constitué à l’étage de petites chambres dans lesquelles était conservé ce que chaque famille versait pour le village, c’est-à-dire ¼ de sa récolte. Un gardien veillait dessus et c’était vendu, la recette servait pour le village. C’était dattes, blé,…7».

Le cheikh

Le cheikh est le chef de village, le chef de la qabila. Le nom berbère est amghar (pl. imgarn), mais tous, y compris l'administration, utilisent maintenant le nom arabe cheikh, les Berbères eux-mêmes souvent.

Il était élu pour un an par l'assemblée, d'une fraction différente chaque année, par rotation de 1 Mernissi 1998, p.120.

2 Entretien avec le cheikh Mohamed Lotfi, le 15 mars 2003 à Asrir. 3 Lefébure 1971 p. 19.

4 La Chapelle 1929, p.33.

5 Entretien avec le cheikh Mohamed Lotfi, le 15 mars 2003 à Asrir. 6 La Chapelle 1929, p.33.

la charge. Cependant, à partir de l'installation des protecteurs Ayt Ātta, le cheikh fut toujours un de chez eux. "C'était la démocratie totale ». nous dit notre hôte, ajoutant - sans relever la contradiction - « mais toujours un Alemchi, un de la tribu des Ilemchane »1. Ainsi les Ayt Drā, en aucun cas ne pouvait prétendre à cette fonction. « Le fameux principe de rotation de la charge ne s'appliquait pas à eux2. » Ainsi, l'apparence de société démocratique pourrait bien être « l'image idéologique que les Ayt Ātta donnent d'eux-mêmes3. »

La nomination du cheikh s'est ensuite encore modifiée : « À l'arrivée des Français et des Glaouas, en 1932, "ils" ont voulu un amghar permanent, pour plus de facilité à gérer et à contrôler... et cela s'est maintenu après le départ des Français. Maintenant c'est le Ministère de l'Intérieur, avec l'accord des habitants, qui donne son tampon4». Ce cheikh permanent a, bien entendu, été un des Ayt Ātta, ce qui s'est perpétué jusqu'au dernier cheikh, qui a pris sa retraite en 2014. Lui-même définit ainsi sa fonction : « Celui qui occupe ce poste représente les habitants, il connaît chacun et sa famille : qui est qui, qui sont ses parents, s'il est marié, les actes de naissances, etc. et ce pour la sécurité. [Ainsi il doit] demander les passeports des étrangers, et savoir chez qui ils résident, surtout les Occidentaux, avec les problèmes en Irak […] Le cheikh d'Asrir a trois villages sous sa responsabilité : Asrir, Zaouiat el Majdoub, el Mehdia, [village dans la palmeraie]. Cela constitue la machiyakat, c'est à dire les villages à sa charge de cheikh. Dans la communauté urbaine de Zagora [dont fait désormais partie Asrir], d'Asrir à Amzrou - là où la vitesse est limitée à 40 à l'heure- il y a six cheikh5. »

Quand le Gouvernement veut faire quelque chose, il le dit au cheikh qui le dit à la jma'a, et chacun contacte son clan.

Le gardien du qsar

Pour veiller sur le qsar et sur son « trésor public », l'assemblée nomme un gardien, douab en arabe, adouab en berbère, de bab, la porte. Il habite un petit logement au rez de chaussée de

dar al qabila et garde la clé de la porte du qsar. Plusieurs rôles lui incombent : prélever la

dîme sur les récoltes des dattes « Quand on rentre la récolte, on passe par la porte du qsar, l'adouab prélève une part sur chaque transport et le place dans le maison de la tribu6. » ; il doit veiller à la sécurité du qsar, il a un rôle de sentinelle, et désigne les gardiens nocturnes du

qsar, en général les adolescents, pour une nuit ; il détient la clé de l'unique grande porte du qsar, surveillant ainsi les entrées et sorties. C'est lui aussi qui accueille les étrangers ; ainsi

1 Entretien avec Mohamed O. le 4 décembre 2002 à Asrir. 2 Hammoudi 1974, p.156.

3 Hammoudi 1974, p.157.

4 Entretien avec Mohamed O. le 21 février 2004 à Asrir.

5 Entretien avec le cheikh Mohamed Lotfi, le 15 mars 2003 à Asrir. 6 Entretien avec Mohamed O. le 4 décembre 2002 à Asrir.

quand arrivent les musiciens itinérants, Imdyazen (berb.), il leur désigne les gens qui vont les nourrir. Ceci s'est poursuivi jusqu'à l'Indépendance.

Quelques personnages spécifiques du qsar

L'aiguadier

a un rôle spécifique dans la communauté. amin (ar .), amazzal ou iziguadi (berb.), désigné et payé par la jma'a, il veille à la bonne répartition de l'eau d'irrigation1. C'est lui qui décide des

périodes de curage, règle les litiges, avec l'aide des membres de la tribu, de la jma'a et des

sous-amin.

Le fossoyeur

… toujours un haratine