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Le palmier-dattier et la culture des dattes

Le palmier-dattier est la culture principale d'Asrir et la production des dattes traditionnellement la principale ressource.

Zones de culture du palmier-dattier

La majeure partie des oasis du Maroc1 produisent des dattes. Elles constituent la limite de la culture du palmier la plus au Sud en Afrique du Nord, comme le décrit Djenoun Jacques-Meunié : « Dans le Sud-Ouest du Maroc, l'aire du palmier-dattier s'étend assez loin vers le Sud, surtout avec les palmeraies du Coude du Dra et celles du Bani qui sont les plus méridionales de toute la Berbérie. … Cette extension méridionale des oasis résulte de la présence de montagnes élevées ainsi que de l'orientation Nord-Est-Sud-Ouest des chaînes de l'Atlas ; celles-ci constituent d'immenses châteaux d'eau capables d'alimenter sur le versant méridional de la montagne, de vastes oasis souvent fort éloignées des crêtes et des réserves d'eau2. » En altitude, le palmier-dattier pousse rarement et ne fructifie pas : « Le palmier ne peut guère se développer et encore moins fructifier en altitude par manque de chaleur. Il passe pour ne pas pouvoir vivre au-dessus de 1200 mètres, ou du moins devenir stérile à partir de cette altitude3. » La limite septentrionale du palmier-dattier est donc la montagne du Haut-Atlas ; au-delà vers le Nord, le palmier-dattier ne fructifie pas non plus, ainsi la palmeraie de Marrakech ne donne pas de dattes : « Par limite Nord, nous entendons celle au-delà de laquelle le palmier ne peut plus porter de fruits, ou porte des fruits médiocres qui ne sont pas consommés normalement par les hommes, mais par les bestiaux. Ainsi en est-il, au Nord de l'Atlas, de la belle palmeraie de Marrakech où le climat n'est pas favorable à la maturation des dattes4. » Au sud, donc, de cette limite montagneuse, nous trouvons les palmeraies du Drā, celle du Tafilalelt, l'oasis du Zguid, l'oasis de Figuig au sud d'Oujda, et quelques petites palmeraies : Assa, Taliouine. Dans le Dadès cependant, qui est aussi une oasis, poussent seulement figuiers, amandiers et des roses.

La vallée du Drā est une zone de culture phoenicicole ancienne. Il se peut cependant que cela n'ait pas toujours été le cas, comme nous le dit Djenoun Jacques-Meunié : « Au cours des premiers siècles de notre ère, l'Oued Dra s'appelle l'Oued es-Zitoune, l'"Oued aux Oliviers". Peut-être la culture du palmier n'est-elle pas encore introduite dans la vallée ou n'y est-elle du 1 Voir chapitre géographie.

2 Jacques-Meunié 1975-1982, p.101. 3 Jacques-Meunié 1975-1982, p.101. 4 Jacques-Meunié 1975-1982, p.101.

moins pas encore largement répandue1. » Cependant, Léon l'Africain, au début du XVIème

siècle écrivait déjà : « Aux environs de l'oued, sur une largeur de cinq à six mille (huit à dix kilomètres), il y a une infinité de palmeraies qui produisent de grosses dattes de toute première qualité … Les habitants du pays se nourrissent surtout de dattes et ne mangent souvent rien d'autre. … On nourrit les chèvres avec des noyaux de dattes concassés grâce auxquels elles engraissent et donnent beaucoup de lait2. »

Dans les oasis du Drā, il y eut, nous dit-on, jusqu'à quatorze millions cinq cent mille pieds de palmiers. Sur la seule palmeraie de Ternata, en 2006-2007 il y avait trois cent soixante mille pieds. Toutes les variétés du palmier-dattier sont adaptées dans cette zone ; il en existe plus de deux cent soixante dont les principales sont : mejhoul, jihal, aglid, bouzhri, feggous

(boufqouss en berbère), boustani (tihamout en berbère), iqlal, boughar, tadmamt. La meilleure

des variétés est importée du Tafilalt, la mejhoul, « meilleure variété au monde », elle se vend très cher et concurrence la deglet nour d'Algérie, mais existe en faible quantité. Il n'y a pas d'introduction de variétés de l'étranger, au contraire même la variété mejhoul est exportée vers Israël et la Californie3.

La production dépend de la pluviométrie annuelle et des irrigations. La sécheresse des années quatre-vingt a beaucoup endommagé les palmeraies - ce qui est récurrent : déjà en 1975, Djenoun Jacques-Meunié rapportait : « À l'époque actuelle, il n'y a pas, ou il n'y a plus dans le Sud-Ouest marocain de grand oued pouvant vivifier de vastes palmeraies, le cours du Bas Dra n'ayant de l'eau que très exceptionnellement, et après de longues périodes de sécheresse absolue4. »

Une maladie du palmier-dattier, le bayoud5

D'autre part une maladie du palmier, le bayoud, apparue au début du 19ème siècle, 1870 au Maroc, 1890 dansq la vallée Drā, sévit dans toutes les oasis. Elle a détruit en un siècle les deux tiers des palmiers au Maroc, et s'est étendue en Algérie et en Tunisie. Il s'agit d'un virus, le fusanose, dont l'agent pathogène est le fusarium oxysporum de forme albédénis. Cette maladie est provoquée par un champignon du sol et se traduit par un dessèchement des palmes, de la couronne au cœur, qui gagne peu à peu tout le tronc. Ce virus attaque les variétés de qualité supérieure - les cinq premières citées plus haut. Boushami, iqlal, ne sont pas touchées, boushami est une variété très riche, non commercialisable elle est appelée à se développer pour l'autoconsommation. Ceci est d'autant plus dramatique que « la désinfection 1 Jacques-Meunié 1975-1982, p.182.

2 L'Africain 1518-1956, p.422.

3 Données recueillies à l'ORMVA, Organisme Régional de Mise en Valeur Agricole, de Zagora, le 13 mai 2009. 4 Jacques-Meunié 1975-1982, p.100.

des sols est difficile d'application et le champignon que l'on trouve à grande profondeur est difficilement accessible1 »

Pour remédier à ce fléau, l'INRA, Institut National de la Recherche Agronomique, conduit, depuis le début des années 1960, des expérimentations poussées dans ses laboratoires de Casablanca, Marrakech et Meknès, afin de produire des palmiers résistants au bayoud ; six variétés ont d'abord été sélectionnées, puis quinze par croisement de variétés ; de plus, des rejets sont apportés d'Errachidia, là où les sols ne sont pas contaminés, pour être multipliés in

vitro. Les antennes du Ministère de l'Agriculture, tel le CMVA, Centre de Mise en Valeur

Agricole d'Asrir, station expérimentale phoenicicole de Zagora créée dès 1964, distribuent gratuitement des plants, donc subventionnés à 100%, pour que les agriculteurs puissent remplacer les pieds malades. Il faut normalement arracher et incinérer les palmiers atteints ; le sol reste infesté, mais moins. En 2008, mille plants de la variété Boufqouss arass ont été distribués à Asrir, le taux de réussite a été de 80 à 85 %, pour 6,41 hectares2.

Il y a cependant indisponibilité des vitroplants car la multiplication in vitro de certaines souches est très difficile, en particulier celle des variétés nobles, les plus intéressantes du point de vue commercial. Ainsi la mejhoul, qui n'est pas résistante, est pourtant la plus demandée par les agriculteurs car plus commercialisable ; ils préfèrent la planter et l'exploiter pendant quinze ans, et qu'elle meure ensuite : « Avec trente mjoulat tu es riche, c'est mieux que dix mille autres3. »

La culture des dattes

La culture des dattes commence au mois de mars-avril, au printemps, le moment où les grappes arrivent à floraison. Il faut alors que les palmiers-femelles soient pollinisés par les palmiers-mâles. Cela peut se faire spontanément par le vent, très présent à cette période, mais encore faut-il que le sens de vent l'oriente du mâle vers la femelle, chose aléatoire. On insémine alors manuellement les palmiers-femelles avec le pollen des mâles, sinon, ils ne donneraient rien, ou seulement des petits grains4. Pour cela, un spécialiste recueille le pollen mâle, blanc, dans son panier, et grimpe sur les arbres femelles pour procéder à l'insémination. Il écarte les pistils et y insère une petite poignée de brins mâles - on utilise parfois une petite pompe. Ensuite il lie les pistils femelles avec un lien de palme qu'il laisse suffisamment lâche et avec un nœud coulant, afin que le grossissement puisse se faire à l'aise. L'opération doit être répétée : « On monte plusieurs fois car l'ouverture des spathes femelles se fait à rythmes différents. S'il pleut

1 Toutain 1981, p.8.

2 Entretien au CMVA, Centre de Mise en Valeur Agricole d'Asrir, le 4 juin 2009. 3 Propos de Ahmed Oukhouya, le 8 mai 2009 à Asrir.

vingt-quatre heures après la pollinisation il faut recommencer1. » Les dattes pourront ensuite se former et grossir durant trois-quatre mois.

La récolte des dattes

Début juillet les variétés précoces peuvent déjà être ramassées. La récolte s'étale ensuite de septembre jusqu'en octobre-novembre, selon les variétés, parfois mars certaines années. À Asrir, outre les variétés précoces, les premières à être récoltées en septembre sont tihamout,

boufqous et khalt ; ensuite un mois plus tard viendront boughar et klem, enfin bouzoukar et jihel, les dernières2.

On embauche des ouvriers pour la cueillette. Au début des années quatre-vingt-dix, la famille Oukhouya employait quatorze personnes, par trois équipes de quatre : un coupeur et trois femmes, plus deux personnes pour transporter la récolte avec une charrette. Le cueilleur spécialiste grimpe sur le tronc du palmier, les bases de palmes, kernaf (ar.), taqernift (berb.), servant de marches, jusqu’à pouvoir saisir la hampe d’un régime avec son grand couteau (tamzhirt, machette pour les dattes), il coupe les bouquets de dattes et les fait descendre avec une corde sur des bâches étalées au sol, afin que les dattes ne soient pas mélangées à la terre ; il termine en cueillant une à une celles qui sont mûres. Les femmes, en bas, coupent les rameaux et les placent dans les corbeilles. Elles montent rarement aux arbres, ou alors pas très haut, deux mètres maximum.

La récolte des dattes est partagée en cinq, un cinquième revient au gardien, le khamès. 1 Entretien avec Ahmed Bès-Bès de l'ORMVA de Zagora, le 13 mai 2009.

2 Propos de Issam Oukhouya, le 18 septembre 2009 à Asrir.

Fig. 19: bouquets de dattes mures Fig. 20: la base des palmes, échelons

Actuellement, il y a de moins en moins de spécialistes ; les propriétaires, également pour des raisons d'économie, font la récolte eux-mêmes, mais il y a moins de savoir-faire : par exemple le cueilleur secoue les bouquets et jette les dattes au sol sur la bâche.

Sous les dattiers, la terre sera labourée (aujourd'hui au tracteur) par le métayer qui cultive, on la laissera ensuite reposer avant de semer du blé. Cette terre est très riche.

On met les dattes dans des corbeilles, des paniers ou des sacs, puis elles sont transportées avec des ânes et un chariot jusqu’à la maison, là on les trie.

Une partie est gardée pour la consommation familiale, l'autre est mise en cagettes pour être vendue au souq, les déchets serviront de nourriture pour les animaux. À l'intérieur des maisons, les dattes étaient autrefois conservées, empilées et tassées, dans de grandes jarres en terre cuite, khabia ; puis on les entrepose dans un petit réservoir en béton dans un coin de la maison, recouvertes d'une bâche en plastique et de branches de palmes ; dernière étape de l’ustensile de conservation, on utilise aujourd'hui un grand récipient en plastique avec couvercle, acheté au souq.

La commercialisation

La vente directe se fait au souq, deux fois par semaine.

Les cagettes légères en bois sont l’unité de mesure pour vendre les dattes. On ne pèse pas. Une cagette pleine approche cinq kilos, le prix varie de soixante à deux cents dirham selon la variété. On utilise aussi des paniers de tailles différentes comme instruments de mesure et de transport. Cagettes et paniers sont vendus au souq.

Outre la vente directe au souq, le travail des intermédiaires consiste à acheter, à partir de juillet pour les variétés précoces, et stocker la récolte en attendant de l'écouler vers les grandes villes du nord du Maroc au moment du ramadan : « Les frigos sont pleins en attendant le ramadan1. » Cette exportation vers le nord du pays reste en effet l'essentiel des ventes, même si l''éloignement est un frein majeur à la commercialisation. Ainsi en 2008, sur les 20377 tonnes récoltées, 90% ont été vendues dans les villes du nord, majoritairement à Marrakech, 7,8% ont nourri les animaux, seulement 3,2 % a servi à la consommation locale des habitants2.

1 Entretien au CMVA d'Asrir, le 4 juin 2009. 2 Entretien au CMVA d'Asrir, le 4 juin 2009.

Fig. 25: négociation du prix Fig. 24: vente des dattes au souq de Zagora

À la fin des années soixante-dix, une coopérative de commercialisation des dattes, Nakhl, a été créée à Zagora. Les agriculteurs pouvaient y apporter leur récolte, les dattes étaient mises en cartons avec le label "dattes de Zagora". Cette usine a fonctionné pendant une quinzaine d'années, puis a connu de grandes difficultés : les premières années son fonctionnement a été handicapé par la sécheresse, les dattes y étaient chères et la concurrence des agriculteurs est forte, ils vendent moins cher, du fait qu'il n'y ni emballage ni main d'œuvre ; mais aussi la gestion n'a pas été rigoureuse, elle se faisait par l'intermédiaire de l'OUDI, Office de Développement Industriel, c'est-à-dire l'Etat, « donc ça ne marche pas, on se met de l'argent dans les poches1 ». Un essai de redémarrage est en cours, avec plusieurs intervenants, dont la Région et une société de Casablanca ; certains agriculteurs ont pu passer avec l'usine un contrat pour des dattes biologiques qui sont exportées en Grande-Bretagne ainsi que de la pâte de fruit industrielle. Cette tentative de spécialisation avec des produits spécifiques peut élargir les débouchés.

Cependant, la méthode traditionnelle et ancestrale de commercialisation, les dattes étant emballées par chaque propriétaire dans leur cagettes et vendues au souq, reste privilégiée par les producteurs.

En outre, du fait de la sécheresse qui a sévi depuis 1998, il y a eu, certaines années, importation de l'étranger, ce qui a faussé le marché. En 2002 des dattes ont été importées d’Irak, d’Iran et même d’Inde, le Ministère de l’Agriculture ayant décrété qu’il n’y avait pas assez de dattes dans le Drā et le Tafilelt2. Les dattes importées se vendaient au souq moins cher que celles de la vallée, il a donc fallu baisser le prix de cinquante pour cent, les agriculteurs n'ont pu vendre correctement le peu qu'ils avaient. « On a été surpris, on était dans les préparatifs de la récolte, on pensait bien vendre, et tout a été cassé … Avec qui parler ? on a liquidé tout ce qu’on avait et on attend le temps, la pluie pour que les palmiers ne meurent pas, repartent. Des commerçants ont un problème beaucoup plus grand, ils ont acheté des grandes quantités et les ont mises au frigo, mais n’ont pas vendu à cause de l’importation3. » Devant cet effet pervers, les fonctionnaires sont restés impuissants : « C’est un grand problème, nous sommes entre le marteau et l’enclume4. »

Malgré ces décisions venues d'en haut, sans consultation des intéressés, aucune contestation collective n'a eu lieu. Des solutions individuelles ont été trouvées, certains hommes se sont exilés dans les villes du Nord pour trouver du travail, quitte à revenir ensuite : « Onn’est pas

1 Entretien au CMVA d'Asrir, le 4 juin 2009.

2 Renseignements donnés par les employés du Ministère de l’agriculture locaux en 2003. 3 Entretien avec Youssef Oukhouya le 12 décembre 2002 à Asrir.

regroupés, les gens ne s’entendent pas, chacun pour soi1 ». Effectivement, la déliquescence des structures traditionnelles ne favorise pas la défense collective et l’expression des problèmes à faire remonter aux autorités.

Les années suivantes, plus humides, ont en revanche connu une bonne production, il y a même eu de très bonnes récoltes. En effet quand il n'a pas d'eau, le palmier ne donne pas de dattes, mais ses longues racines lui permettent de survivre ; il peut vivre un siècle si la nappe est à cinq ou six mètres de profondeur.