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Les mouvements de population dans la vallée du Drā et l'arrivée des Ayt Ātta

D'après les sources avérées, il semble donc qu'à l'origine les seuls occupants de la vallée du

Drā étaient ceux qu'on appelle encore les Drāoua, population comprenant des Haratines et

quelques Hrar, esclaves affranchis.

Soumis aux razzias incessantes des grands nomades chameliers arabes, ils ont eu recours à l'aide de protecteurs. Du fait de la rivalité entre les deux rives du fleuve pour le pouvoir politique, les habitants de la rive droite ont d'abord fait appel pour les soutenir, aux Arabes nomades Ouled Yahia, descendants des Maāquil venus du Sahara occidental. Ceux de la rive gauche ont fait appel dans un premier temps aux arabes Roha des Aït M’Hamed, autres descendants des Maāquil, venus du Tafilalt à l'est (Rachidia). Finalement, par la suite les habitants des qsour des deux rives, toutes ethnies confondues, ont fait appel aux berbères Ayt

Ātta du jbel Saghro. Les Ayt Ātta étaient en effet une tribu encore homogène et suffisamment

forte, réputée comme la plus grande puissance guerrière de la région.

Ce recours par les qsouriens aux nomades pastoraux de la montagne proche pour assurer leur protection s'est manifesté dès le début du XVIIème siècle, car ces sédentaires étaient diminués politiquement du fait de l'affaiblissement de leurs structures tribales et de l'absence d'alliance entre les villages,

Les Ayt Ātta, berbères nomades du jbel Saghro venaient déjà dans la vallée acheter des dattes, ils avaient ainsi tissé des liens avec les Drāoua. Et c'est tout naturellement que ceux-ci ont fait appel à eux pour les défendre contre leurs attaquants les Beni M’Hammed, les Ouled Yahia ou les 'Aarib, grands nomades sahariens.

Pour demander la protection, r'aaya1, des palmeraies, les notables des qsour se sont rendus au

jbel Saghro, à Ighrem Amazdar siège administratif et judiciaire des Ayt Ātta, les termes de

l'échange furent établis ; il y eut accord. Des familles ou fractions Ayt Ātta furent tirées au sort pour se rendre dans les qsour afin d'en assurer la garde. La quasi totalité des oasis de la partie aval de la vallée du Drā, Ternata, Fezouata, M'hamid et K'tawa. fut concernée par cette organisation de la défense des sédentaires.

A l'issue de rudes combats, les nomades pilleurs furent soumis par les Ayt Ātta et rattachés à telle ou telle de leurs fractions, ainsi les Beni M’Hammed à celle Ayt Ounebgui des Ayt

Khebbach.

Les contrats de protection

Ce système de protection, est né de l'incapacité du pouvoir central à protéger les populations d'une région qu'il ne contrôlait pas. En effet, le Maroc était partagé en deux zones où l'exercice du pouvoir était différent ; au Nord, le makhzen, le gouvernement central groupé autour du roi, exerçait un pouvoir quasi total en particulier sur les grandes villes ; le Sud était

el bled es-siba, le pays de la dissidence, qui a ponctué toute l'histoire du Maroc : les tribus

faisaient la loi, s'attaquaient entre elles et attaquaient les grandes villes du Nord. Comme l'écrit le géographe Ahmed Taoufik Zainabi, « ce système de protection est l'une des caractéristiques les plus originales de cette partie du Sud-est marocain qui faisait partie du

bled es-siba2».

Ces accords de protection ont donné lieu à des contrats entre qsouriens et nomades, précis et élaborés, stipulant droits et devoirs de chaque partie, généralement écrits.

En ce qui concerne l'habitat, les nomades pastoraux berbères devaient s'installer sous leurs tentes dans la palmeraie, avec interdiction d'y construire un habitat en dur. Une même fraction assurait la protection d'un village ; les différents clans de la fraction Ayt Ātta s'installaient à tour de rôle pour six mois, puis regagnaient le parcours pastoral sur le jbel Saghro. La première évolution du mode de vie des Ayt Ātta fut donc le passage du nomadisme pastoral à une installation provisoire, mais toujours sous tentes.

Ces contrats de protection ont été explicités par le capitaine Paul Azam dans son étude sur l'oasis de K'tawa, palmeraie au sud de celle de Ternata, alors qu'il y était en poste en tant qu'officier. La protection, r'aaya (ar.), tayssa (berb.), était demandée par les notables du village : « Lamenace de plus en plus précise des nomades Beni Mhamed et Ghenanma décide

1 De « râï » qui signifie originellement faire paître le petit bétail, « râay », pl. »râyan », signifie le pasteur. Lefébure 1971 p. 27, note 2.

le cheikh à faire appel aux tribus de la montagne. Il monte à cheval et se rend chez les Aït Atta1». Nous verrons plus loin qu'il en a été de même pour Asrir. Les protecteurs sont les

r'aayan2; la protection fait l'objet d'une cérémonie d'allégeance, la debiha, et de l'établissement d'un contrat écrit dont les clauses peuvent être différentes d'un village à l'autre, avec une base identique d'échange : protection contre droit de pacage «Ce qui est général c'est que, tout en surveillant le pays, les r'aayan font paître leur petit bétail sur le territoire des sédentaires qu'ils protègent. [En échange, ils doivent] assurer l'intégrité du territoire, la liberté d'irrigation et la surveillance des récoltes »3. Pour remplir ce devoir, ils s'installent dans la palmeraie sous leurs tentes. En plus du droit de faire pâturer leurs troupeaux, ils reçoivent une partie de la récolte ; la part était généralement la même dans tous les contrats : « 1/14 des dattes, de la luzerne et des cultures maraîchères ; 1/30 de l'orge et du blé ; 1/18 du maïs ; 1/18 aussi de l'orge coupé en vert ou une certaine quantité de paille4».

Jusqu'à la fin du XIXème siècle les Ayt Ātta restèrent fidèles à une mobilité permanente et à l'élevage, pour éviter que ne soient perdus les avantages comme les redevances perçues dans les oasis et pour qu'eux-mêmes ne se transforment pas à leur tour en cible pour les grands nomades sahariens. Par la suite, désirant s'installer dans la plaine, « les protecteurs ont reçu, en toute propriété, une part des terrains et des biens du village, généralement le quart, en s'installant soit dans une place forte séparée, soit dans le qsar lui-même . Cette clause a joué dans les [villages] particulièrement menacés où la protection obligeait à des luttes plus sévères5». Ce fut le cas à Asrir.

Le processus de sédentarisation s'est ainsi renforcé au XIXème siècle avec le choix de certaines familles de venir librement habiter les qsour qui se trouvaient déjà sous la protection des leurs. Le mouvement fut massif au XXème siècle, accentué par la colonisation d'une part et le passage d'une société traditionnelle à un mode de production capitaliste d'autre part. En effet, à partir de 1934, date de la défaite berbère devant l'occupant français au jbel Saghro, la domination française et ses structures administratives contraignantes soumettant les déplacements à autorisation pour traverser les nouvelles limites provinciales, a engendré la disparition des troupeaux. La sédentarisation devenue inévitable s'est faite de trois façons6 : une partie des Ayt Ātta possédaient déjà des biens fonciers dans les oasis depuis le XVIème

siècle ; ceux qui assuraient la protection des palmeraies se sont installés sur place (c'est le cas de plusieurs familles d'Asrir) ; d'autres, enfin, se sont fixés sur un domaine pastoral, 1 Azam 1946b, p.7.

2 Voir note précédemment. 3 Azam 1946b, p. 28. 4 Azam 1946b, p. 29. 5 Azam 1946b, p. 29. 6 Zainabi 1989, p.56-57.

l'utilisation habituelle du puits et du parcours étant utilisée comme argument justifiant la propriété du domaine. Actuellement de très rares troupeaux ovins et caprins subsistent sur le

jbel Saghro, tandis qu'aux portes du désert on ne rencontre que très peu de rassemblements de

chameaux. Il est à noter que la sédentarisation des Ayt Ātta s'est faite en milieu rural et non dans les villes.