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LA LANGUE VIETNAMIENNE

GREVISSE 1 définit la phrase comme l’unité de communication linguistique, celle-ci ne

III. La nature du prédicat

Dans les années 50, sous l’influence de la grammaire des langues européennes, le prédicat en vietnamien est identifié au verbe. Cependant, nous pouvons constater que le rôle prédicatif n’est pas exclusivement dévolu au verbe. Un nom ou un adjectif peuvent également l’assumer. Par exemple :

tưới « arroser » Hôm qua « hier » trong vườn « dans le jardin » Kim hoa « fleurs » E E a arrosé Kim fleurs des hier jardin Ø dans le

Cây đa cao ba thước

Cây đa cao ba thước

« Banian » « haut » « trois » « mètre »

Le banian est haut de trois mètres / Le banian mesure trois mètres de haut.

Nhà Kim màu trắng.

Nhà Kim màu trắng

« Maison » Kim « couleur » « blanc » La maison de Kim est de couleur blanche.

Par ailleurs, selon le point de vue de différents linguistes vietnamiens dont le nôtre, il existe encore un autre type de prédicat, qui, sur le plan syntaxique, est constitué d’un syntagme nominal et qui correspond à un prédicat avec có « avoir ». Les deux exemples ci-dessous illustrent cette catégorie de prédicat nominal :

Cái bàn này (có) chân đã gãy.

Cái bàn này (có) chân đã gãy

class. « table » démonst. (« avoir ») « pied » Marqueur de

temporalité « cassé » Cette table a un / des pied(s) cassé(s).

Le / Les pied(s) de cette table est / sont cassé(s).

Tấm hình này (có) màu đẹp.

Tấm hình này (có) màu đẹp

class. « photo » démonst. (« avoir ») « couleur » « beau » Cette photo a une belle couleur.

La couleur de cette photo est belle.

Intéressons-nous aux deux classifications des prédicats proposées selon leur nature dans l’énoncé.

3. Distinction tripartite

D’après LÊ Văn Lý et HOÀNG Tuệ1, le prédicat d’une phrase vietnamienne est constitué de la manière suivante :

Les auteurs distinguent donc ici trois modèles de prédicat. Si un verbe et un adjectif peuvent assumer par eux-mêmes la fonction prédicative, un nom n’a accès à ce rôle que par l’intermédiaire de la copule là :

Tôi ngủ. Tôi ngủ « Je » « dormir » Je dors Nhà đẹp. Nhà đẹp « Maison » « beau » La maison est belle

Tôi là sinh viên.

Tôi là sinh viên

« Je » copule « étudiant » Je suis étudiant. Syntagme prédicatif Copule là + syntagme nominal Verbe Adjectif

4. Distinction binaire

Selon NGUYỄN Phú Phong1, le prédicat peut être verbal ou non verbal. Il partage d’abord le point de vue de LÊ Văn Lý et de HOÀNG Tuệ en considérant que si le syntagme prédicatif est nominal, il sera lié au sujet par une copule (là par exemple) ou sans copule. NGUYỄN Phú Phong2 prend une position partiellement différente en assimilant à un prédicat verbal le prédicat représenté par un élément analysé habituellement comme un adjectif3. L’auteur remplace le modèle tripartite par une structure bipartite.

En ce sens, le syntagme adjectival prédicatif est considéré comme un syntagme verbal. Celui-ci se scinde donc en deux types de verbes. Ainsi, l’élément đẹp « beau », par exemple, dans une structure du type nhà đẹp « la maison est belle », c’est-à-dire lorsqu’il joue le rôle de prédicat, n’est plus analysé comme un adjectif mais comme un verbe d’état. Ce modèle pose que ce qui est ordinairement un adjectif n’est rien d’autre qu’une sous-classe de verbes quand il est prédicat.

Dans cette perspective, NGUYỄN Phú Phong distingue d’abord les verbes d’action et les verbes d’état, ces derniers regroupant en fait des éléments auxquels est conféré un statut prédicatif, mais qui dans d’autres contextes fonctionnent comme des adjectifs.

1 NGUYỄN Phú Phong, 1983, Le vietnamien fondamental, 1er livre, Paris, éd. Klincksieck, pp. 120-122. 2 NGUYỄN Phú Phong, 1976, Le syntagme verbal en vietnamien, France, Ecole des Hautes études en

sciences sociales et Mouton & Co, p. 82.

3

Pour simplifier, nous reprendrons la formulation de NGUYỄN Phú Phong et nous parlerons de syntagme adjectival prédicatif.

Syntagme prédicatif

Copule là + syntagme nominal Verbe

D’après lui, pour la distinction de ces deux types de verbes, l’insertion du préverbe1

rất « très » constitue un test fiable car le verbe d’action ne l’accepte pas, comme

l’illustrent les exemples ci-dessous avec ngủ « dormir » (verbe d’action) et đẹp « beau » (verbe d’état) :

Kim ngủ. *Kim rất ngủ.

Kim ngủ Kim rất ngủ

Kim « dormir » Kim « très » « dormir »

Kim dort. * Kim très dort.

Kim đẹp. Kim rất đẹp.

Kim đẹp Kim rất đẹp

Kim « beau » Kim « très » « beau »

Kim est belle. Kim est très belle.

NGUYỄN Phú Phong pense donc que la distinction entre le verbe d’action et le verbe

d’état est révélée par la possibilité d’employer ou non rất « très », considéré par l’auteur comme un préverbe. Les verbes d’état ne constituent qu’une sous-classe de verbes et non une classe à part entière de même importance que celle des verbes d’action.

5. Synthèse

D’abord, nous remettons en cause le point de vue traditionnel selon lequel le prédicat est uniquement de nature verbale. Ce point de vue trop réduit ne recouvre pas la totalité de la réalité syntaxique vietnamienne car on peut facilement trouver des contre- exemples de phrases, qui ont pour prédicat des éléments non verbaux :

Nhà Minh rất đẹp.

Nhà Minh rất đẹp

« Maison » Minh « très » « beau » La maison de Minh est très jolie.

Nhà Minh ngói đỏ.

Nhà Minh ngói đỏ

« Maison » Minh « tuile » « rouge » La maison de Minh a des tuiles rouges.

Ensuite, le modèle prédicatif de LÊ Văn Lý - HOÀNG Tuệ et celui de NGUYỄN Phú

Phong suppose que le prédicat nominal nécessite une copule, alors que les prédicats

verbal et adjectival n’en exigent pas. Autrement dit, un nom accède à la fonction prédicative qu’en présence d’une copule. Nous partageons partiellement cet avis, car la réalité est beaucoup plus variée que cette simple règle. D’une part, le prédicat nominal sans copule en vietnamien est tout à fait possible, comme le montrent les exemples ci- dessous :

Kim hai mươi tuổi. Thầy giáo tên Minh.

Kim hai mươi tuổi Thầy giáo tên Minh

Kim « vingt » « âge » « Professeur » « nom » Minh

Kim a vingt ans. Le professeur s’appelle Minh.

D’autre part, tout comme le syntagme nominal qui a recours à la copule là pour être prédicat, il arrive dans certains énoncés que le locuteur utilise l’élément thì devant le prédicat de nature verbale ou adjectivale. La présence de l’élément thì a pour effet d’insister sur l’action exprimée par le verbe ou sur le caractère qualificatif supporté par le verbe d’état, comme dans les deux exemples ci-dessous :

Kim thì làm việc. Minh thì ngủ.

Kim thì làm việc Minh thì ngủ

Kim copule « travailler » Minh copule « dormir »

Kim travaille. Minh dort.

Nhà thì đẹp.

Nhà thì đẹp

« Maison copule « beau » La maison est belle.

Trời thì lạnh.

Vậy mà Kim ra đường

Trời thì lạnh

« Ciel » (copule) « froid »

Il fait froid Or Kim sort.

Nous n’adhérons pas non plus au point de vue de NGUYỄN Phú Phong qui consiste à assimiler les adjectifs aux verbes d’état. Les adjectifs constituent une classe à part entière et possèdent des caractéristiques propres. Ils peuvent avoir des compatibilités communes avec les verbes (avec des adverbes par exemple) mais aussi des compatibilités spécifiques (avec des noms par exemple). Deuxièmement, le rôle prédicatif n’est pas exclusif du verbe, ce qui nous pousse à ne pas retenir le statut de verbe d’état attribué à un adjectif lorsqu’il devient prédicat. Et enfin, la désignation « verbe d’état » risque d’occasionner des confusions avec une catégorie de verbes qui expriment l’état ou la façon d’être du sujet, qu’on appelle aussi verbes statiques ou verbes attributifs en français (à part être, nous pouvons citer aussi se trouver, consister,

avoir l’air, devenir, etc.). Bref, les éléments qui sont habituellement des adjectifs

fonctionnent comme des verbes dans le rôle prédicatif mais dans d’autres contextes, ils gardent leur statut d’adjectif.