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Les tentatives de classification des mots

LA LANGUE VIETNAMIENNE

IV. Les tentatives de classification des mots

1. Classification formelle

L’unité à laquelle on se réfère habituellement pour décrire le vietnamien est le mot. Mais force est de constater que le mot en vietnamien est difficile à définir. D’une manière générale, le mot en vietnamien peut comporter une, deux ou trois, voire quatre syllabes ; chaque syllabe correspond, sur le plan de l’écriture, à un « mot graphique1 ». Exemples :

- Le mot xe « véhicule » comporte une seule syllabe [sε] et s’écrit donc en un seul « mot graphique » (xe).

- Le mot phi cơ (avion) comprend deux syllabes [fi-kø] et s’écrit donc en deux « mots graphiques » (phi cơ) séparés par un espace.

Cette description ne saurait résumer une réalité complexe du « mot » en vietnamien, ce qui soulève d’importants problèmes d’identification. NGUYỄN Phú Phong2

propose la définition suivante du mot en vietnamien : « Le mot est la plus petite unité qui puisse

remplir une fonction syntagmatique dans l’énoncé ». Selon l’auteur, dans la langue vietnamienne – une langue isolante où tous les mots de la langue sont invariables, chaque syllabe n’a pas la même valeur sémantique : certaines syllabes sont porteuses de sens et constituent à elles seules des morphèmes, d’autres sont dépourvues de sens. La grande majorité des syllabes sont des morphèmes.

L’auteur a également établi une classification formelle des mots en quatre catégories :

a. Mots simples monomorphémiques monosyllabiques : Ce sont des mots correspondant à un seul morphème constitué d’une seule syllabe : ba « père » ou « trois », ca « chanter », đi « marcher », « aller » ou « venir », etc.

b. Mots simples monomorphémiques polysyllabiques : D’une part, ce sont des emprunts aux langues étrangères, originalement monomorphémiques et transcrits phonétiquement en vietnamien (traits d’union entre les syllabes pour les mots d’emprunt) : ti-vi « téléviseur », mi-li-mét « millimètre », cà-phê « café », etc. D’autre part, se rangent aussi dans cette catégorie des mots de redoublement1 ou réduplications, constitués de deux syllabes insignifiantes à l’état isolé : bộp chộp « maladroit », « sans réflexion », tất tả « à la hâte », etc. c. Mots simples polymorphémiques polysyllabiques : Ce sont aussi des mots de

redoublement, constitués d’un morphème - qui sert de base - et d’un redoublé - vide de sens, reprenant cette base : chật chội « très étroit », xanh xao « pâle »,

ngủ nghê « dormir », etc.

d. Mots composés polymorphémiques polysyllabiques : Ce sont des mots dont les constituants sont tous doués de sens : phát thanh « radio » (phát « émettre » et

thanh « son »), giày dép « chaussures et chaussons en général » (giày

« chaussure » et dép « chausson »), hoa quả « fruits et légumes en général » (hoa « fleur » et quả « fruit »), etc.

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Les mots de redoublement peuvent être composés à partir de trois types de redoublements :

- Par redoublement entier de la syllabe : la syllabe de la base est entièrement redoublée. Ce redoublement atténue le sens : buồn « triste »  buồn buồn « un peu triste », vàng « jaune » 

vàng vàng « légèrement jaune ». Pour des raisons d’euphonie, l’élément redoublé peut ne pas

conserver le ton de la base, par exemple đỏ « rouge »  đo đỏ « légèrement rouge ».

- Par allitération : les deux syllabes constituant le mot ont en commun le son de la consonne initiale. Cette allitération renforce le sens de la syllabe de la base : buồn bã « très triste », lớn lao « très grand ».

- Par assonance : les deux syllabes constituant le mot ont en commun le sens de la voyelle. Cette assonance renforce le sens de la syllabe de la base : bỡ ngỡ « dépaysé », cằn nhằn « grogner ».

Cette définition a le mérite de rendre compte d’une subdivision à la fois formelle et sémantique du mot en vietnamien. Cependant, dans le cas des mots polymorphémiques, considérer une syllabe vide de sens comme un morphème serait inexact puisque le morphème est la plus petite unité ayant un sens. À notre avis, la classification formelle du mot serait difficile si l’on se passait de la « syllabe ». En effet, les linguistes vietnamiens, pour définir le mot dans leur langue, se servent de la notion tiếng, qui correspond à une syllabe prononcée, qu’elle soit douée ou vide de sens.

En ce qui nous concerne, nous estimons qu’un mot peut se composer d’une ou de plusieurs syllabes et former une unité de sens. Une syllabe, quant à elle, peut avoir une unité de sens (elle est donc un morphème) ou être vide de sens (et nous l’appelons « amorphème »). Sur le plan graphique, une syllabe peut être transcrite par un « mot graphique », c’est-à-dire un ensemble de graphèmes compris entre deux blancs. Par conséquent, nous distinguons en vietnamien les mots simples et les mots composés :

a. Le mot simple : comprenant une seule syllabe (monosyllabique) ou plusieurs syllabes (polysyllabique) mais contenant un seul morphème (élément souligné). Exemples : hát « chanter », đi « marcher », ti-vi « téléviseur », mi-li-mét « millimètre », bộp chộp « maladroit, sans réflexion », tất tả « à la hâte », etc. b. Le mot composé : comprenant plus d’une syllabe et contenant plus d’un

morphème (éléments soulignés) :

- Phát thanh « radio » est constitué de phát « émettre » et de thanh « son ».

- Giày dép « ensemble des objets qui chaussent » est constitué de giày « chaussure » et de dép « chausson »

- Hoa quả « fruits et légumes » est constitué de hoa « fleur » et de quả « fruit »

Bien que la prise en compte de la syllabe soit importante dans le classement formel du mot, le nombre de syllabes ne constitue pas un critère de classification fiable, étant donné que certaines syllabes sont porteuses de sens, d’autres pas. En revanche, la distinction du mot simple et du mot composé tient compte du nombre de morphèmes qui constituent le mot.

2. Classification grammaticale

Quant à la classification grammaticale des mots, plusieurs courants coexistent et se contredisent. Dans le doute1, la plupart des linguistes s’accordent sur la possibilité de classer les mots vietnamiens, bien que les classements puissent varier d’un chercheur à l’autre, comme en témoigne LƯU Vân Lăng2

dans son esquisse des principes de classification des mots vietnamiens.

En général, influencés par la grammaire de mots, la plupart des linguistes imitaient et tendaient à reproduire la grammaire du français. A titre d’exemple, sont réunis alors dans la classe des adjectifs /adverbes :

- les qualificatifs : nhỏ « petit », lớn « grand », etc. - les démonstratifs : ấy « -là », này « -ci », etc. - les numéraux : chín « neuf », mười « dix », etc. - les interrogatifs : gì « quoi », nào « quel », etc. - les indéfinis : nấy « tel », nhiều « plusieurs », etc.

Sous l’influence de la grammaire de phrase, les linguistes s’appuyaient ensuite sur les fonctions syntaxiques du mot pour déterminer les classes. Le structuralisme permit plus tard d’utiliser d’autres critères tels que la distribution, la commutabilité, la compatibilité, etc. Enfin, après 1954, les linguistes arrivèrent à combiner plusieurs critères en tenant compte simultanément du sens et de la forme. Ils se référèrent également au contexte, aux possibilités combinatoires des mots dans l'énoncé, à leurs fonctions, ainsi qu'à leurs caractéristiques structurelles et à leur rôle dans le syntagme minimum et dans la phrase, sans négliger pour autant la sémantique.

Les linguistes posent ainsi la notion de changement de classes ; ce point de vue est très répandu. D’une catégorisation fixe des mots en vietnamien, on est passé à une

1 Les points de vue qui s’opposent à l’existence d’une classification des mots vietnamiens reposent sur le

fait que la langue vietnamienne se structurerait selon un mécanisme tout à fait différent de celui des langues occidentales, d’où l’impossibilité de dégager des parties du discours. Le mot, compte tenu de sa fonction dans la phrase, présenterait des propriétés variables. Se rangent dans ce courant Lê Quang Trinh, Nguyễn Hiến Lê, Hồ Hữu Tùng, etc.

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LƯU Vân Lăng, 1998, Ngôn ngữ học và tiếng Việt (La linguistique et le vietnamien), NXB Khoa học Xã hội (éd. Sciences sociales), Hanoi, 464 pages.

classification plus flexible, reposant sur la fonction des mots dans la phrase et dans le contexte. Il en résulte qu'un mot peut assurer des fonctions différentes selon le contexte dans lequel il se trouve et accepter ainsi des déterminations diverses qui l'autorisent à entrer dans plusieurs classes grammaticales.

Il convient de rappeler que les mots, quelles que soient leur nature et leur fonction, sont toujours invariables, d’où l’absence de marques morphologiques de genre et de nombre (pour les substantifs et les adjectifs) et de temps (pour les verbes). En ce sens, on ne peut pas parler de conjugaison proprement dite en vietnamien ; la temporalité verbale ayant recours à d’autres moyens linguistiques.