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Nature pédagogique du dispositif de formation a) les options épistémiques de la plate-forme

Étudiant 2 : Avec vos explications de la semaine dernière c'était très clair Si je peux suggérer

V. Intervenir dans un dispositif mixte : la logique universitaire comme déni de l'identité professionnelle des formateurs ?

1. Nature pédagogique du dispositif de formation a) les options épistémiques de la plate-forme

Pour comprendre cet ambiguïté et mieux cerner ce qui motive les réactions négatives des formateurs, il semble important de revenir sur la définition de dispositif hybride, telle qu'étudiée dans la deuxième partie de ce mémoire.

Le dispositif hybride a été défini comme se caractérisant par l'introduction de facteurs innovants et un fonctionnement reposant sur des formes complexes de médiation et de médiatisation. En ce qui concerne ce dernier point, la médiatisation, je me suis appuyé sur un texte de Daniel Peraya pour la rapprocher de l'ingénierie pédagogique. Cet auteur précise en effet que la médiatisation relève de « l'ingénierie de la formation et du design pédagogique, processus [de médiatisation] qui porte sur

deux dimensions du dispositif de la formation : les fonctions et les objets » (Peraya, 2009). Par

objet, il faut entendre les ressources et outils mis à la disposition des étudiants et des intervenants. Le terme fonction quant à lui désigne la possibilité d'actions induites par lesdits objets. Ainsi, lors de la description du dispositif de la Licence en Management des Entreprises en ligne, il a été par exemple précisé que les étudiants étaient confrontés à des quiz qui leur permettent d'auto-évaluer leur compréhension du mag. Le quiz est ici l'objet et l'auto-évaluation la fonction. La fonction

portée par l'objet est une : il paraît en effet difficile d'imaginer de faire autre chose que de l'auto- évaluation avec un quiz d'auto-évaluation49. D'autres objets par contre, peuvent avoir des fonctions

multiples. Nous avons vu ainsi que la webconférence pouvait être utilisée tout aussi bien pour répondre aux questions des étudiants, dans une approche pédagogique assez classique, que pour les faire parler et prendre conscience de leurs savoirs, dans un esprit constructiviste ou socio- constructiviste. Mais on pourrait aussi décider d'utiliser une webconférence pour organiser un regroupement, faire un sondage, un suivi des études, etc.. L'objet porte donc en lui plusieurs fonctions.

Même si l'usage que les formateurs et les étudiants font des objets mis à leur disposition influe directement sur la nature de la médiation (Leclercq, Delache, D'Hallouin, Varga, 200650), il n'en

reste pas moins que les options épistémiques51 adoptées lors de la conception de la plate-forme sont

déterminantes. Celles-ci configurent un « système formel d'apprentissage » (Blandin, 2002) qui va contraindre les relations pédagogiques à tendre vers un modèle d'apprentissage pensé, déterminé. La description faite de la LME a mis en avant un certain nombre d'indices quant aux options épistémiques initialement prises. Nous avons vu que les étudiants sont limités dans leurs capacités d'interagir : ils ne disposent ainsi pas de wiki et ne peuvent communiquer entre eux sans passer par la médiation d'un formateur ou enseignant, ou alors ils sont contraints de le faire avec des outils non liés à la plate-forme52. Mais la configuration des droits sur la plate-forme53 leur est aussi fortement

défavorable. Si il est compréhensible par exemple qu'un étudiant ne puisse programmer une webconférence ou disposer des outils pour l'animer au même titre qu'un formateur, il l'est plus difficilement de le voir dénué de moyens d'annoter directement les ressources en ligne, de communiquer librement avec ses pairs autrement que par le recours au forum « La Cafet' » ou encore de pouvoir profiter d'un système d'alerte générant un courrier électronique l'avertissant chaque fois qu'un message est posté sur un forum l'intéressant54. Il ne peut créer de nouvelles ni

agrémenter un message dans un forum d'une pièce jointe. Il ne peut non plus partager son écran ou téléverser un document au cours d'une webconférence.

A l'opposé, l'enseignant est informé par courrier électronique de chaque mouvement effectué sur le forum qu'il anime. Il peut répondre à la question qui lui est posée en postant des messages avec des pièces jointes et dispose de nombreux droits pour gérer la webconférence (donner ou reprendre la parole, partager un écran, enclencher les options audio ou webcam, etc.) même si dans les faits il ne les utilise pas ou peu. Certains enseignants organisent d'ailleurs des webconférences qualifiées 49 Certains étudiants ont dit utiliser le quiz avant d'étudier le mag, cherchant à définir un premier niveau de connaissance de la matière abordée. Il s'agit cependant toujours d'une auto-évaluation non pas du contenu de la ressource mais des savoirs déjà présents chez l'étudiant.

50 Ces auteurs sont beaucoup plus sceptiques en ce qui concerne la possibilité pour les étudiants de créer leur propres processus de médiation à travers les options de médiatisation portées par le dispositif en ligne : « l'idée que les

étudiants disposant d'un environnement malléable s'en serviront pour configurer leur espace virtuel n'a jamais été vérifiée (faute, peut-être, d'un environnement réellement malléable). »

51 Je prends le mot « épistémique » comme « relatif à la connaissance. » Ici, les options épistémiques du dispositif de la LME constituent le modèle d'acquisition des connaissances que les concepteurs de la plate-forme et des ressources avaient en tête lors de la création de celles-ci.

52 L'un des tous premiers fruits apportés par cette recherche a été de fournir aux nouveaux étudiants (promotion 2011- 2012) un guide de formation décrivant en détail les outils collaboratifs hors plate-forme qu'ils pouvaient utiliser : Skype ©, Google+ ©, Linoit © pour ne citer que trois d'entre eux.

53 La plate-forme reconnaît plusieurs types d'utilisateurs, appelés « clients » : les inscrits (les droits les plus limités, habituellement réservés aux étudiants), les enseignants et tuteurs (qui peuvent accéder à l'ensemble des fonctions liées à l'utilisation des outils d'interaction) et les administrateurs, qui peuvent créer des sessions, ressources, programmer des webconférences, etc..

54 La page d'accueil de la plate-forme n'affiche que les 5 derniers messages postés sur les forums. Si un étudiant ne se connecte pas régulièrement sur sa plate-forme numérique, il peut ne pas voir des informations importantes dès lors que plus de 5 messages sont postés et qu'il ne prend pas le réflexe d'aller fouiller dans les archives des forums pour s'assurer d'être au fait de l'ensemble des communications ayant transité par le site dédié.

d' « asymétriques » : les étudiants communiquent par écrit et les enseignants répondent à l'oral. Mais c'est surtout dans les ressources en ligne, dont il est auteur, que son importance va être fortement mise en avant : c'est lui qui est mis en scène dans la vidéo de quelques minutes qui sert de point d'introduction à la plupart des matières de la licence. Il est filmé de pied en cape, comme s'il était en train de dispenser un cour en amphithéâtre et des incrustations d'écran viennent renforcer les messages qu'il délivre. Le cour en lui-même, le mag, le présente en une page introductive : domaines de spécialisation, éléments biographiques, productions universitaires, photo. Cette présentation est parfois reprise dans les trainings. L'enseignant est d'ailleurs systématiquement crédité quelque soit la ressource présentée.

b) Qualifier l'approche pédagogique de la plate-forme

Le choix de mettre en avant l'enseignant et parallèlement de réduire la possibilité aux étudiants d'interagir à travers la plate-forme trahit la démarche pédagogique qui a prédominé à la conception du dispositif. Un dispositif en ligne peut en effet adopter trois modalités différentes d'approche pédagogique : une approche transmissive qui « considère la connaissance comme une entité externe

aux sujets et à leurs expériences », une approche individualiste qui considère que « la connaissance se construit dans l'interaction de l'apprenant avec l'environnement » et enfin une approche

collaborative pour laquelle « la connaissance est construite au cours des interactions entre des

individus partageant un projet commun »(Charlier, Deschryver, Peraya, 2006)55. La mise en valeur

de l'image de l'enseignant, les ressources en ligne figées (les formats PDF ou Flash prohibant toutes modifications ou annotations au cours de l'année) qui interdisent toute manipulation du savoir et enfin l'étudiant qui reste le parent pauvre de la plate-forme en matière de possibilité d'actions ne permettent pas de douter de la nature transmissive, encore qualifiée d'expositive (Peraya 2007), de l'approche pédagogique du dispositif en ligne de la LME. Or celle-ci n'est pas le fruit d'un hasard et encore moins un choix par défaut. Lors de la description du partenariat liant ELEGIA à l'IAE nous avons vu en effet que ce dernier-ci a été moteur du développement des formations en ligne et que la structure technique qui a pris en charge la réalisation technique de la plate-forme et des ressources, Ingénium, était elle-même fortement liée à l'université : cette association est physiquement située dans les locaux de l'IAE de Caen, son directeur actuel en est l'ancien responsable des formations continues, et les deux organismes sont regroupés dans le Polytechnicum de Normandie. Il est donc tout à fait logique que dispositif mixte ait été conçu pour répondre au modèle pédagogique mais aussi économique de l'IAE, donc d'une université. Le modèle pédagogique présenté par l'IAE est d'ailleurs très loin d'être isolé : un rapport européen précise que la plupart des universités recourant aux nouvelles technologies pour dispenser une formation sous la forme d'un dispositif mixte, adoptent une approche pédagogique transmissive56, plus propre à communiquer un savoir « entité externe » à un grand nombre d'étudiants, de quelques dizaines dans le cas de l'IAE à plusieurs

centaines voire plusieurs milliers57.

55 D'autres typologies ont été définies, qui recoupent plus ou moins celle-ci. J'aurais pu ainsi m'appuyer sur la typologie des modèle d'optimisation de l'activité enseignante (qui se rapproche du modèle transmissif), d'amplification de l'activité cognitive des étudiants (modèle constructiviste, centré sur l'apprenant) et de prise en charge de la gestion des projets et des itinéraires de formation (modèle plus orienté vers les socio-constructivisme. Cf. Barbot, Combès, 2006. Ou encore sur une typologie plus binaire, classant les dispositifs selon qu'ils se centrent sur l'acte d'enseignement ou d'apprentissage ou bien sur l'apprentissage individuel d'un côté et collectif de l'autre (Denis, 2003).

56 Il s'agit du rapport PLS Ramboll Management, Studies in the Context of the E-learning Initiative: Virtual Models of

European Universities, présenté à la Commission Européenne en mars 2004

57 Certaines universités, notamment dans les pays émergents, accueillent un nombre impressionnant d'étudiants. L'université télévisuelle chinoise (Central radio and Television Univeristy) enregistre par exemple chaque année un