• Aucun résultat trouvé

IV. Intervenir dans un dispositif mixte : la distance comme dynamique de construction identitaire ?

3. La distance pédagogique

La recherche de qualification de l'organisation de la licence en management des entreprises nous a conduit à aborder rapidement le triangle schématisé par Houssaye. Nous avons vu comment la distance fait glisser l'axe fort du triangle de la relation enseignant-savoir vers la relation apprenant- savoir. Cette nouvelle situation fait du formateur le pôle exclu du triangle en le dissociant d'un savoir qu'il incarnait jusqu'à présent. Le savoir se trouve dorénavant placé sur la plate-forme numérique, accessible de manière autonome et permanente par les étudiants. De plus, cette même distance supprime les repères qui structurent habituellement la relation formative : le formateur ne peut plus s'appuyer ses relations sociales, comme il le fait en présentiel, sur les modes auditifs, visuels ou kinesthésiques (Roupié, 2008), et voit l'unité de lieu et de temps que représentent la salle et le temps de formation voler en éclat (Metzger, 2004). Les formateurs n'ont donc d'autres choix que de faire de la distance, le « fondement de la relation pédagogique » (Jacquinot, 1993). Il devenait alors intéressant de connaître la façon dont ils situent leur rôle dans un dispositif hybride pour mieux cerner les pourtours de cette nouvelle relation pédagogique, et étudier dans quelle mesure l'intervention dans un dispositif en ligne alimente les dynamiques identitaires du formateur. Les déclarations des formateurs quant à leur place dans la licence sont nombreuses et variées. Elles le sont d'autant plus que la formation à distance est pour tous, à l'exception d'un seul d'entre eux, quelque chose de nouveau. Ces déclarations peuvent néanmoins se répartir en deux groupes. On remarque tout d'abord une approche liée à la discipline, cognitive, assez classique chez un formateur qui incarne une expertise. Mais au cours de l'interview le formateur ne s'est bien souvent contenté que d'esquisser cette approche pour mettre l'accent sur le nouveau type de relation qui les unit à leurs étudiants, et qui, serait-on tenté d'écrire, rend caduque la dynamique de Houssaye en rééquilibrant les liens entre les trois pôles du triangle : la relation d'aide.

a) Une expertise professionnelle maintenue

L'expertise professionnelle est très clairement réaffirmée par les formateurs qui inscrivent leur intervention auprès des étudiants dans la continuité de leurs missions où les objectifs sont libellés en termes d'acquisition de connaissances ou de savoir-faire en vue d'un changement dans leurs pratiques professionnelles. Les formateurs retrouvent donc la posture et les outils déployés dans une session classique, aussi bien en présentiel qu'en distanciel : la mise en valeur de l'expérience, le soucis d'assurer la transmission des savoirs et le recours aux techniques d'ingénierie pédagogique classiques :

« On est des ressources... »

« On peut les faire travailler ensemble, par petits groupes » « … des petites exercices, des jeux sur le tableau... »

Le rôle de l'expert apparaît aussi bien au cours des regroupements, dont la première partie de chaque journée constitue une sorte de révision et d'introduction à la matière en ligne et la seconde partie focalisée sur des exercices et des cas pratiques, qu'à distance, à travers le forum ou la webconférence.

Ainsi dans la webconférence dont est tiré l'extrait ci-dessous, on voit bien la place centrale qu'occupe le formateur (« posez moi les questions ») qui, si il ne transmet pas directement le savoir (« les questions suscitées par vos lectures ») est à même de le clarifier et de l'enrichir grâce à son expertise et à son expérience. Il distribue les thèmes de questionnement (« on reviendra sur certains

points »), ouvre les échanges (« Allons-y ») puis recadre les réponses apportées par les étudiants

(« vous avez tous un peu raison (donc tous un peu tort) »). L'orthographe d'origine a été conservée. Formateur : « Bon, je pense que le plus efficace serait donc qu'on s'attache aujourd'hui aux

sources et aux contrats (ce qui fait déjà un bon programme). On va procéder en deux temps, d'abord, posez moi les questions suscitées par vos lectures et ensuite (en fonction de ces questions) on reviendra sur certains points. Allons-y

Étudiant 1 : Un contrat entre artisans relève-t-il du code de commerce ? Étudiant 2 : Pour moi c'est non l'artisant n'est pas une structure commerciale Étudiant 3 : Je dirais oui puisque c'est des pro

Étudiant 1 : Oui mais si l'on réalise régulièrement des prestation, c'est du commerce !

Étudiant 2 : si on regarde la forme juridique l'activité est d'abord centrée sur un travail manuel Formateur : Vous avez tous un peu raison (donc tous un peu tort). Certes, l'activité artisanale est

par principe, en droit, distinguée de l'activité commerciale. »

Cependant l'expertise technique passe dans les propos des formateurs interrogés au second plan. Elle devient le prérequis nécessaire pour leur permettre de se concentrer non plus sur le contenu de la matière à transmettre mais bien sur les processus d'apprentissage (Greffier, 2005) qui va fonder la relation d'aide.

b) La relation d'aide explorée

L'expertise professionnelle ne se présent pas dans les entretiens comme justifiant seule le lien pédagogique. La relation d'aide, dans tout ce qu'elle a de complexe, vient s'interposer entre les étudiants et les formateurs, bousculant les repères bien établis de ces derniers.

Des formateurs s'inscrivant spontanément dans une relation d'aide ?

Les relations d'aide peuvent être définies comme les « relations dans lesquelles l'un au moins des

deux protagonistes cherche à favoriser chez l'autre la croissance, le développement, la maturité, un meilleur fonctionnement et une plus grande capacité d'affronter la vie » (Rogers, 1961). Elle

implique selon Carl Rogers qui l'a théorisée, trois attitudes non directives : l'empathie, l'écoute et le non-jugement. La relation d'aide conduit donc le formateur qui l'applique à se positionner dans un rôle non plus central, mais de côté, et à « accompagner les groupes d'apprenants en les guidant tout

Cet accompagnement est perçu comme d'autant plus nécessaire que les étudiants sont éloignés des formations de type universitaire et que l'introduction de la distance va davantage les fragiliser : tous n'ont pas les mêmes rapports avec l'outil informatique, la même capacité à s'organiser, à bâtir des stratégies d'apprentissage, ou à faire preuve d'autonomie (Belisle, Linard, 1996). Mais tous doivent très rapidement « s'imposer une discipline rigoureuse, consistant, par exemple, à répartir leurs

« tâches » d'apprentissage entre les différents lieux possibles (domicile, bureau, institution de formation pour les regroupements) et entre les différents temps (certains soirs précise pour certains modules, ou le week-end pour la lecture et la semaine pour les exercices et les questions, etc.) »

(Metzger 2004), composer avec les aléas de la vie et gérer un sentiment d'isolement face à la masse de savoirs à appréhender40. Les étudiants de la licence ont très bien exprimé ces difficultés

d'adaptation et d'organisation au cours des interviews :

« j'avais l'impression de me noyer, il fallait que je trouve une solution pour me repérer » « il a fallu faire un choix : tout nous plaisait, mais on a du faire un choix »

« j'avais toujours l'impression d'avoir un temps de retard »

« il y avait des gens qui commençaient à baisser les bras...[...] On a tous eu des ennuis

personnels »

Les formateurs investis dans la licence semblent quant à eux faire écho aux attentes des étudiants en se revendiquant spontanément de cette relation d'accompagnement. J'ai été d'autant plus surpris de ce mouvement convergent qu'aucun prescrit formalisé, comme nous l'avons vu, ne venait encadrer leur activité et que si la nature de l'intervention les présentait comme les « consultants en

entreprise 41», cela n'incluait nullement la mise en œuvre d'une démarche fondée sur la relation

d'aide.

« je veux être un professionnel de l'accompagnement » « mon rôle est de les aider... »

Cette approche centrée sur l'aide, qui vise à « permettre à un apprenant d'évoluer harmonieusement

dans son parcours de formation, de vive celui-ci de manière équilibrée avec ses autres activités, et d'en tirer le profit maximum » (Rodet 2011) va conduire l'intervenant à s'investir sur trois plans

différents, outre le plan cognitif :

i. le plan motivationnel, par lequel le formateur va chercher a agir sur les leviers qui vont donner de la valeur à la formation envisagée et les conforter dans leurs espérances de réussite (Bourgeois, 1998) :

40 « Elles [les obligations familiales, professionnelles ou politiques] impliquent bien souvent des compromis pas

toujours faciles à trouver puis à assumer, l'apprenant devant consacrer ses soirées, ses week-ends ou ses vacances à la révision de ses cours ou consentir à réduire son activité professionnelle et bien souvent sa disponibilité à l'égard de sa famille et de ses amis. » (Gurtner, Zahnd, 2003). Cette recherche de compromis entre les obligations

professionnelles, familiales et la reprise d'étude est une activité extrêmement consommatrice d'énergie. Un étudiant, au cours de l'entretien a été contraint de réaménager son temps de travail après sa formation pour récupérer : « après

la LME, j'ai demandé une réduction de temps car j'avais besoin de souffler. »

41 Cf. la présentation de l'équipe pédagogique sur le site de la LME : http://www.licence-management-des- entreprises.fr/presentation-intervenants-lme/

« Nous, en tant qu'intervenants, on doit rassurer » « C'est à nous de les rechallenger »

ii. le plan socio-affectif, par lequel le formateur va chercher à créer un sentiment d'appartenance à une communauté éducative qui va faire du groupe une ressource pour l'apprentissage à distance (Grosjean, 2006). Le formateur cherchera conséquemment à lutter contre le « sentiment et/ou la matérialité de l'isolement de l'apprenant » (Trespeuch, 2009) :

« Je leur dis : « n'oubliez pas qu'on peut communiquer ! » » « … qu'ils travaillent ensemble ! »

« il faut veiller à ce que personne ne soit isolé... »

iii. le plan métacognitif, par lequel le formateur va chercher à inciter les étudiants à réfléchir sur leurs propres processus d'apprentissage et lui-même à intégrer ces processus dans l'animation de leur formation. Il tendra par ailleurs à pousser l'apprenant à planifier ses activités, son parcours de formation ainsi qu'à favoriser son auto-apprentissage (Trespeuch, 2009) :

« je ne suis pas que sur du contenu opérationnel, mais aussi sur le processus de réflexion » « Il faut savoir décrypter le silence d'une personne, son retrait... »

Un second extrait d'une webconférence, ci-dessous, illustre à son tour le déploiement d'une relation pédagogique sur un champ qui ne relève absolument pas du cognitif mais bien de la relation d'aide. Les liens sociaux que le formateur tisse à distance avec ses étudiants balayent tour à tour les plans motivationnel (« bravo pour le SMART ! » ; « la logique est bonne [étudiant 2]... », métacognitif (« en nous posant ce cas de quoi as-tu besoin toi ») et socio-affectif « .. (le vous s'adresse à tout le

monde »). Là aussi, l'orthographe d'origine a été conservée.

Formateur : « [étudiant 1], en nous posant ce cas de quoi as-tu besoin toi ?