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Une nationalité sportive autonome : pour accompagner la marche de l’histoire

PARTIE I : L A NATIONALITE , RESSOURCE STRATEGIQUE DE L ’ ECOSYSTEME SPORTIF

III. Une nationalité sportive autonome : pour accompagner la marche de l’histoire

Là encore, même si la présence et l’utilisation de joueurs non-nationaux diffèrent d’une équipe nationale à une autre, leur impact sur l’équilibre compétitif n’est pas avéré. Dès lors, l’éventualité d’une nationalité sportive complètement affranchie de la nationalité étatique pourrait émerger. Nous en proposons quelques linéaments idéels et modalités pratiques ici.

III. Une nationalité sportive autonome :

pour accompagner la marche de l’histoire

En s’appuyant sur les conclusions précédentes et en perspectives des évolutions récentes et des pratiques multiples observées, l’idée est d’envisager un système applicable aussi bien aux sports individuels que collectifs et pouvant convenir aux pratiques économiquement très développées dans leur sphère professionnelle qu’à celles où les enjeux financiers sont moins présents.

III.A. Une nationalité sportive autonome : à l’épreuve du droit européen

Comme abordé précédemment, le sport comme activité économique fait partie du champ de compétence du droit communautaire. Les règles d’éligibilité ayant donné corps à une kyrielle de jurisprudences, le caractère récent des règles relatives à une nationalité sportive autonome fait que la CJCE n’a pas encore été appelée à statuer sur la question.

Dépassant la nationalité légale, les principaux critères d’une nationalité sportive peuvent être multiple. Parmi eux, un en particulier pourrait s’avérer, dans un premier temps, problématique au regard du droit européen. Il s’agit du lieu de naissance qui aurait « pour effet de s’appliquer au détriment des ressortissant étrangers, puisque les nationaux sont le plus souvent nés sur le territoire de l’Etat de leur nationalité. » (Goetschy, 2007) Cela constituerait donc une discrimination directe qui s’additionnerait à une autre, indirecte, due au lieu de naissance des parents ou des grands parents.

Cela étant, la généalogie des arrêts décisifs opposant l’ordre sportif à l’ordre communautaire sur la nationalité renseigne sur le fait ce dernier ne s’oppose pas à des règlementations excluant les joueurs étrangers de certaines rencontres pour des motifs non économiques. Ces derniers doivent tenir aux caractère et cadre spécifique de ces rencontres et ne porter que sur le sport en tant que tel, comme il en est des matches entre équipes nationales de différents pays. L’exception sportive pour les discriminations -directes et indirectes- peut donc ici être de mise.

III.B. Une nationalité sportive autonome : proposition d’un règlement universel

Notre première partie a été l’occasion de mettre en relief l’importance de la nationalité dans le sport aujourd’hui et de revenir sur les enjeux et règles qui lui sont relatifs. Dans un souci de participation active au débat, les différences, forces et faiblesses identifiés dans les règles actuelles ou passées, confrontées à la doctrine juridique, nous conduisent à élaborer un règlement qui pourrait constituer une piste de réflexion quant à l’évolution de cette question. Il répond à un triple objectif :

- Garantie de l’équité du traitement des sportifs et mise en avant de leurs intérêts.

- Respect de l’authenticité du lien entre l’athlète et sa fédération nationale et donc « son » pays.

- Régulation des mobilités pour protéger l’équité des compétitions et réguler la mobilité des athlètes.

À défaut de bloquer la possible accélération de la « fuite des muscles » de pays défavorisés vers d’autres plus à même de les attirer notamment par des arguments financiers, l’instauration de compensations financières pourrait avoir lieu à l’adresse des fédérations ayant subi la perte de leurs athlètes. Dans le même temps, elle préserve les droits fondamentaux des sportifs quant à la défense de leurs intérêts personnels.

Disposant d’un temps de carrière court, les sportifs doivent opérer des choix optimaux. Les motivations diffèrent d’un athlète à un autre et chaque cas reste personnel. Les règlementations peuvent varier selon la discipline concernée. Cela peut passer par une demande de naturalisation pour intégrer les rangs d’une équipe nationale de meilleure renommée que celles dont les sportifs concernés sont originaires, ou de rebondir dans une autre sélection nationale moins exigeante. Comme le constate Poli (2006), le sujet connaît un glissement marchand ces vingt dernières années dans le sport, la principale conséquence observée étant la fuite de muscles des pays pauvres vers des pays riches.

Face à ce qui pourrait être perçu comme des dérives et afin de mieux réguler le marché, une ouverture plus libérale pourrait être envisagée. À défaut de juguler le phénomène des « transferts » entre pays y compris au détriment de l’intérêt individuel des athlètes, l’idée serait d’accompagner le phénomène en y adjoignant un système de compensation. La proposition consisterait en la mise en place d’indemnités de formation que recevraient les fédérations nationales d’origine des athlètes ayant opté pour un autre pays de représentation que celui qui les a formés.

Le système s’inspirerait du modèle d’indemnités versées aux clubs formateurs, instauré par la FIFA en 2001. Sur le court terme, cette solution ne permettra probablement pas de juguler le phénomène des migrations sportives et pourrait même le booster par un processus de légitimation. Mais elle constituerait néanmoins, sur le long terme, une ressource financière pour les fédérations des pays les moins favorisés, qui pourrait être à même de les aider à mieux convaincre leurs athlètes futurs de ne pas partir.

Ce système entre fédérations se retrouve dans celui des transferts en football pour les joueurs de moins de 23 ans. Dans ce cas, les clubs par lesquels le joueur est passé à partir de l’âge de 12 ans se voit accorder une indemnité proportionnelle au montant du transfert. Ainsi, lors du transfert de Paul Pogba de la Juventus de Turin vers Manchester United pour un montant de 120M€, les clubs de Roissy et Torcy se sont vu accorder près de 300k€ (soit 0,25% du transfert pour une saison après les 12 ans du joueur) chacun, au titre de cette règle.

Proposition d’une nationalité sportive harmonisée et universelle

Pour des raisons de lisibilité, cet exercice ne prend pas en compte les cas spéciaux. Aussi, les propositions qui y sont formulées ont pour but l’unification et non l’unicité en ce sens où bien que visant l’harmonisation des règles de toutes les fédérations internationales, elles restent modulables en fonction des spécificités de chaque sport. Enfin, chaque point de ce règlement est présenté en réponse à la question qui le sous-tend. Ainsi, les règlements sportifs sur les questions de nationalité pourraient comprendre trois grandes questions clés :

- Quelle est la nationalité sportive d’un athlète ?

1 • La nationalité sportive d’un athlète est celle de l’équipe nationale de sa sélection. Elle lui

est attribuée lors de sa première sélection. Elle est définitive et exclusive de toute autre. - Sous quels critères ?

2 • L’athlète peut jouer pour l’équipe nationale de tout pays où

2.1. Il est né, ou ;

2.2. L’un de ses parents ou grands-parents est né, ou ;

2.3. Il a résidé un nombre d’années immédiates et consécutives, qui reste à déterminer au prorata de la durée moyenne d’une carrière dans le sport concerné.

- Un transfert d’affiliation est-il envisageable ?

équipe nationale d’un pays où il n’a pas été formé, pour au moins trois ans, avant ses 18 ans, sa fédération d’accueil devra verser à sa fédération d’origine des frais de formation, à déterminer au prorata de leur coût dans le sport concerné.

La question de la détermination du montant dû pour chaque sport fera l’objet de discussions comme cela avait été le cas pour les indemnités de formation dans le football pour les joueurs pris en charge par les clubs entre 16 et 20 ans, mais le principe reste à retenir. En officialisant la pratique dans tous les sports, le système proposé entérine le principe d’une compensation financière sur le modèle des transferts dans le football. Ce faisant, il ne contredit pas les règles universelles de nationalité et les droits des personnes concernées se trouvent maintenus.

Sans se passer de la grille de lecture reposant sur les confrontations sportives entre des équipes représentant des États-nations, les fédérations internationales gagneraient en autonomie à l’instauration d’une conception de la nationalité propre, sur des critères harmonisés. Une telle décision stratégique dépasse le cadre sportif. Elle permettrait l’existence d’une règle universelle valable partout dans le monde : un droit de la nationalité sportive international et unifié.

Comme conclusion à ce chapitre, on peut dire que les institutions sportives, construites sur des bases nationales, restent aujourd’hui prisonnières de celles-ci. Concernant les équipes nationales, aussi bien pour des raisons éthiques que commerciales notamment la vente de droits de retransmission télévisuelle par effet d’identification des spectateurs, une confrontation entre pays serait difficilement remise en question. Par contre, les critères d’éligibilité des sportifs y prenants part pourraient, eux, être réinventés par le mouvement sportif.

En proposant une forme de régulation générale pour tous les sports et tous les pays, l’ordre sportif aurait l’occasion de se placer dans une logique de spécificité de certains aspects de ses activités et de conserver, dans un cadre certes restreint mais hautement symbolique, une légitimité de régulation assez grande pour autoriser, sinon une exception sportive, un aménagement aux règles générales.

À un moment où la mobilité physique et psychologique est plus importante que jamais, le sport, sur le plan économique, est l’un des rares secteurs marchands qui ne confirme pas, à l’ère de la globalisation, la propension de la nationalité à l’effacement. Sur le plan politique, face à la montée des crispations identitaires ici et là, il pourrait être davantage moteur de l’histoire.

Cela passerait notamment par le fait de faire litière du recours à la nationalité légale comme critère de sélection des athlètes. Une nationalité sportive autonome verrait alors le jour. Elle serait unifiée, harmonisée, mais aussi plus fidèle aux réalités du terrain et plus attentive aux intérêts des athlètes. Par-là même, elle constituerait pour le mouvement sportif le fer de lance de l’affirmation d’une autonomie depuis si longtemps revendiquée.

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HAPITRE

6 :

L

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ENTRE RAYONNEMENT INTERNATIONAL ET ANCRAGE TERRITORIAL

Les transferts des joueurs de football forment aujourd’hui un marché mondialisé où ils représentent eux-mêmes le produit, entre l’offre du club vendeur et la demande de celui acheteur. Ce système produit des migrations. Celles-ci « se mondialisent dans leurs horizons, leurs flux et les circulations induites : nouvelles logiques, formes inédites de mobilités et de rapports transnationaux, nouveaux contenus humains et culturels. Toutes sortes d’enjeux s’entremêlent dans la mondialisation migratoire. » (Simon, 1995)

Les migrations de joueurs ne datent pas d’hier. Cependant, leur valeur et volume, conjugués sur le marché des transferts, n’ont jamais été aussi importants. Ils obéissent, aujourd’hui, à une logique marchande. Le principal besoin y est celui des clubs qui « ont besoin de joueurs hautement qualifiés et de jeunes joueurs très prometteurs pour pérenniser leurs résultats sportifs et économiques. » (Piraudeau, 2018) Le cadre, libéral, reste réglementé par les instances sportives et publiques, et se déploie sur deux périodes d’activités appelées « Mercato d’été » et « Mercato d’hiver ». L’on y observe des stratégies de la part des clubs axées sur un principe en particulier : une séparation de plus en plus grandissante entre les lieux de production et les lieux d’utilisation.

I. Les transferts de footballeurs :