• Aucun résultat trouvé

PARTIE I : L A NATIONALITE , RESSOURCE STRATEGIQUE DE L ’ ECOSYSTEME SPORTIF

II. Le sport comme outil de relations internationales

Dans la première moitié du siècle dernier, Jean Giraudoux, écrivain et diplomate français assurait : « le sport est la paix ». À son antipode, l’écrivain et journaliste anglais George Orwell disait : « le sport, c’est la guerre sans les armes ». Il s’agit là de deux visions tout à fait divergentes du phénomène sportif ; l’une irénique, le considérant comme moyen de pacification universelle et l’autre, belliqueuse, où il est représenté comme un terrain d’affrontement symbolique.

Entre ces deux positions, le concept théorique, très peu étudié jusque-là, de « diplomatie sportive » mérite d’être mis en relief, afin d’apporter épaisseur et nuances aux débats sur le levier sportif des appareils diplomatiques (Pigman, 2014, 94 – 114).

II.A. Diplomatie : deux approches, un seul dessein

Dans son acception la plus générale, la diplomatie est définie comme étant « la conduite de relations entre États souverains avec une présence dans le monde politique grâce à des agents officiels et de manière pacifique » (Bull, 1977, 156). Dans la littérature, ce concept connaît deux grandes dérivées.

- La première est « polylatérale ». Elle est proposée de Wiesman (2004).

Pour lui, la diplomatie est « la conduite de relations entre, d’une part, une ou des entités officielles (un ou plusieurs États, ou une ONG) et, de l’autre part, au moins, une entité non-officielle, non-Étatique, avec laquelle il existe une perspective de normalisation relationnelle. » Il ajoute que ce processus peut se réaliser au moyen d’échanges de rapports, de communications, de négociations et de représentations, sans que cela n’implique une reconnaissance de souveraineté, ni d’équivalence entre les deux parties.

- La deuxième, dite « multi-parties prenantes », doit sa parenté à Hocking (2006). La diplomatie y est décrite comme « s’intéressant à la création de réseaux entre acteurs étatiques et non-étatiques, dans l’optique de penser la solution d’un objet de litige donné, qui demande des ressources dont aucune des parties concernées ne possède le monopole. » Quelle que soit l’approche retenue, les outils mis à la disposition des acteurs diplomatiques internationaux restent les mêmes. Les caractéristiques de la diplomatie traditionnelles -représenter, promouvoir et mettre en avant les valeurs et intérêts d’une nation- ne changent pas. « Dans ce sens fondamental, les diplomates qui représentent leurs États font partie intégrante de la communauté internationale, et via le corps diplomatique, offrent une unité symbolique du genre humain » (Murray, 2012, 578).

II.B. Diplomatie sportive : les Etats-Unis, précurseurs

Les premiers à avoir rempli ce rôle dans le sport étaient les joueurs de ping-pong américains et chinois, dans un match disputé le 14 avril 1971. Le contexte de cette rencontre est le suivant : « À l’époque, la Chine Populaire et les Etats-Unis étaient en froid diplomatique depuis la création de la Chine communiste en 1949. Les Etats-Unis soutenaient Taïwan, que la Chine Populaire ne reconnaissait pas. La Chine et les Etats-Unis se livraient alors une bataille de propagande, n’hésitant pas à soulever le spectre de l’affrontement nucléaire. » (CSFRS & IRIS, 2013, 5) Après la rupture sino-soviétique de 1961 et au regard de l’hostilité grandissante entre les deux pays communistes, le rapprochement sino-américain entrait progressivement dans les intérêts des deux pays, dont l’URSS était devenue un ennemi commun. « Mais comment faire accepter aux populations un rapprochement avec un pays idéologiquement ennemi ? Il fallait un prétexte, et le sport pouvait l’apporter » (CSFRS & IRIS, 2013, 6).

C’est dans ce cadre que les deux équipes se sont affrontées, avant que les joueurs américains ne soient conviés à une réception officielle. Henri Kissinger (2011), alors secrétaire des affaires étrangères des Etats-Unis écrit à ce propos : « Les jeunes Américains, stupéfaits, se retrouvèrent dans le Grand Palais du peuple en présence de Zhou Enlai, le premier ministre chinois, un honneur que la majorité des ambassadeurs étrangers en poste à Pékin ne s’était jamais vu accorder. Il déclara à cette occasion : ‘‘Vous avez ouvert un nouveau chapitre des relations entre le peuple américain et le peuple chinois. Je suis sûr que le début de votre amitié sera soutenu par la majorité de nos populations.’’ Les athlètes américains restaient sans voix, ce qui amena le Premier ministre chinois à conclure : ‘‘don’t you think so ?’’ qui avait déclenché une salve d’applaudissements. »

Le sport a donc été utilisé comme un outil diplomatique pour rapprocher les deux pays. Boniface (2014, 115) souligne le fait que cette diplomatie parallèle n’engageait pas directement les capitales en cas d’échec, le cas échéant. Elle a permis à la fois d’envoyer des signaux aux opinions publiques nationales et mondiales et de tester un rapprochement pour lui permettre de prendre une plus grande ampleur. Ce chapitre reste « mythique » (Griffin, 2014) dans l’histoire de l’influence internationale par le sport.

Toujours dans un contexte de guerre froide, les USA utilisent les compétitions sportives pour faire valoir leur puissance, le Président Ford (1974) allant jusqu’à déclarer : « Compte tenu de ce que représente le sport, un succès sportif peut servir une nation autant qu’une victoire

militaire ». Les Jeux Olympiques, au regard de leur forte valeur symbolique couplée à une portée médiatique de plus en plus puissante, représentaient alors un terrain de jeu diplomatique particulièrement prisé. « C’est à cette époque que le tableau des médailles olympiques a pris une importance stratégique, les Etats-Unis et l’URSS voulant prouver que leur système respectifs (capitaliste ou communiste) produit les meilleurs athlètes. » (CSFRS & IRIS, 2013, 6). Les décisions de boycottes des Jeux de Moscou 1980 et ceux de Los Angeles 1984 n’ont fait que développer l’étoffe diplomatique du sport, chaque puissance cherchant à étendre sa sphère d’influence pour réduire le spectre des représentations nationales présente en « territoire ennemi ».

À la fin de la guerre froide, le combat idéologique n’est plus d’actualité, mais les Etats Unis ne quittent pas pour autant les arènes d’influence par le sport. Certains programmes sportifs à destination de pays d’Amérique latine et de l’Europe de l’Est sont financés. Ils comportent des subventions ainsi que des échanges d’athlètes. À partir de 2002, cette politique va viser de nouveaux territoires, notamment au Moyen-Orient. Pour cela, l’administration américaine lui a donné un nouvel élan, en créant SportsUnited. Il s’agit d’une structure rattachée au Bureau des affaires éducatives et culturelles, lui-même relevant du Département d’État (chargé des relations internationales). Sa mission est de « transcender les différences culturelles et réunir les gens ensemble [...] pour permettre le dialogue et une meilleure compréhension culturelles. »11 Cette démarche a connu un nouvel élan avec l’arrivée de Hillary Clinton à la tête du secrétariat d’État aux affaires étrangères, car faisant partie de sa logique politique, axée autour du « smart power ». Lors de sa prise de fonction, en janvier 2009, elle indique que sur l’ensemble des instruments coercitifs ou non qui se présentent à elle, « diplomatiques, économiques, militaires, politiques et culturels, il faut choisir le bon outil ou la combinaison la mieux adaptée à chaque situation. Il s’agit d’agencer ‘‘soft power’’ et ‘’hard power’’ dans une stratégie globale de rayonnement. [...] Le sport fera partie de la panoplie destinée à améliorer l’image des Etats-Unis dans le monde. »

À l’instar de l’exemple américain, beaucoup d’autres pays ont eu recours aux opportunités de visibilité et d’affirmation qu’offre le sport, marquant même le passage d’une diplomatie par le sport à une diplomatie du sport. Parmi eux, certains sont confirmés sur la

11

United States Department of State, “What is Sports Diplomacy ?” : http://exchanges.state.gov/ sports/diplomacy.html

scène internationale, comme la Chine, l’Angleterre et la France, pendant que d’autres sont encore, à des degrés différents, en voie d’émergence, comme le Brésil, l’Afrique du Sud et le Qatar.

Ce dernier État a massivement investi le champ sportif, et « s’emploie depuis quelques années à déployer toute une batterie de politiques publiques et de stratégie économique au service d’un ‘‘sport power’’ impressionnant » (Abis, 2013, 117-130), avec une intégration verticale sur toute la chaîne de valeur du sport mondial. Son objectif est de parer à ses faiblesses intrinsèques, et réaliser sa stratégie sur les plans interne et externe, de nation branding. En nous appuyant sur l’exemple de cet émirat, nous allons nous intéresser à ce concept, puis à sa relation avec le sport.