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Dispositif du joueur formé localement : une mesure protectionniste faute de mieux

PARTIE I : L A NATIONALITE , RESSOURCE STRATEGIQUE DE L ’ ECOSYSTEME SPORTIF

II. Dispositif du joueur formé localement : une mesure protectionniste faute de mieux

C

HAPITRE CONCLUSIF

7

S

PORT ET NATIONALITE

:

FIN ET SUITE

Malgré son omniprésence aussi bien dans le commun de la conversation que dans la littérature scientifique, le mot globalisation connaît encore aujourd’hui des contours définitionnels flous. Cependant, il est assez généralement admis qu’il réfère à un processus de plus en plus intense d’échanges matériels et symboliques. Ceux-ci drainant une interdépendance entre les États accompagnée d’une intégration de plus en plus développée des individus.

I. Sport : de l’utilité d’une lecture traditionnelle pour un écosystème

globalisé

Ce concept de globalisation, appliqué à notre terrain d’étude qu’est le sport, montre que ce dernier a profité à partir du XIXème siècle de conditions favorables pour son développement. Certains chercheurs parlent alors de « sportification » ou de « totalisation du sport » (Sage, 2010, 24). Empruntant les items inhérents à la globalisation (présenté par Loy, 2001) pour les vérifier dans le cadre du sport, l’on s’aperçoit de la réponse positive de celui-ci sur tous les plans :

Tableau 27 : Items de la globalisation appliqués au sport Formes de globalisation Exemples dans le sport

Globalisation politique Agrandissement de la carte des pays organisateurs

et participants aux grands événement sportifs

Globalisation économique

Passage d’un modèle traditionnel

Subvention Spectateurs Sponsors Local (SSSL) à un modèle Médias Magnats Marketing Marché Global

(MMMMG)

Globalisation culturelle Élargissement de la couverture médiatique

Migration globale Mise en place de réseaux internationaux

de transferts de joueurs

Tourisme globale Développement de la mobilité des spectateurs

notamment lors grands évènements sportifs

Sécurité globale Budget sécurité pour les Jeux Olympiques Paris 2024 :

200 millions d’euros

Source : adapté du modèle de Loy (2001) par l’ajout de la case « Exemples dans le sport »

Représentant un marché mondial de 800 milliards, l’écosystème sportif globalisé est composé d’une multitude de parties prenantes. En guise de simplification, Sage (2015) en présente les principales comme faisant partie des trois types de segments composant cette industrie.

Tableau 28: Segmentation de l'industrie du sport globalisée

Source : Sage (2015)

Outre sa grandissante importance économique, le sport est suivi de manière planétaire. Il donne lieu à une « convergence à échelle mondiale pour utiliser le sport sur le plan politique mais pas que, puisque toute personne recherchant de la visibilité peut s’y investir. Et ça marche car cela attire des audiences et reste à l’heure de la démultiplication des canaux d’information un des rares éléments où les gens regardent ensemble, c’est à dire qui arrive à fédérer une communauté notamment nationale », indique Poli (entretien, 2018). Il souligne également que ceci n’est le cas d’aucune autre nature d’événement, sauf par moments les élections présidentielles mais de manière interne et ponctuelle et non internationale et continue. Ce qui nous amène à nous interroger sur le futur de la relation sport-politique sur fond d’une globalisation irréversible.

Les sociétés sont de plus en plus portées sur la globalisation et celle-ci finit par déborder les États-nations. Cela crée des peurs détournées à des fins politiques. Poli (entretien 2018) en explique l’importance comme suit : « Identités locale ou nationale, aujourd’hui les États cherchent à renforcer cette idée de nation. Ceci car c’est de là que les politiques tirent leur légitimité, vu qu’il n’y a pas de gouvernance mondiale. Tout ce qui peut favoriser la nation, en justifier l’existence et donc leur propre rôle, est bon à prendre. » Si cela reste valable dans tout domaine, dans le sport il l’est davantage « parce qu’il y a une mise en scène qui est faite pour ça et qui n’a jamais été remise en question à l’échelle -en tous cas- des grandes compétitions internationales qui mettent au prises les équipes nationales. S’agissant des clubs c’est un peu différent car le rôle du politique est moins important même si certains discours convergent dans ce sens. » Poli (entretien 2018) Sauf qu’il ne faudrait -à notre sens- pas voir cela comme une résurgence promise à un avenir mais plutôt comme une défense de dernier souffle.

Sans tentative prédictive, la lecture de Poli (entretien 2018) est moins tranchée : « si le sport peut mettre en lumière la diversité des nations, cela pourrait aboutir dans l’idéal à une acceptation de celle-ci dans une définition plus englobante de l’État. » Or pour Poli, cette vision est contrecarrée par les de plus en plus résonnants discours populistes sur la –supposée– grandeur perdue des nations. « C’est le contraire qui se passe aujourd’hui dans le monde sur fond de discours de déchéance, contre la mondialisation et les phénomènes d’échanges -notamment migratoires- qu’elle engendre. […] Le climat est plutôt à la nostalgie d’une vision de la nation qui n’a jamais existé qui n’existera de toute façon plus. […] Il y a une plasticité de l’événement sportif qui fait qu’on va l’interpréter d’une manière ou d’une autre et les deux aspects existent. »

Le monde du sport pourrait alors se saisir de ce moment-là et plutôt que d’être à la remorque de l’histoire, s’en faire locomotive. « Si on prend le cas du CIO -et c’est aussi vrai pour les fédérations internationales- sur le plan social et sociétal, il a toujours en retard et son histoire l’a montré. C’est quand même une institution aristocratique très droitière, conservatrice, qui s’est ouverte difficilement aux nouvelles nations, aux femmes, aux sportifs en situations d’handicaps », soutient Clastres (entretien, 2019). L’historien ajoute que sur des questions globales, le CIO pourrait prendre davantage d’initiatives. « Le conservatisme des institutions sportives qui tient à leurs origines historiques, à la fin du XIXème siècle, avec leur approche très masculine, très occidentale, fait qu’ils ne soient pas en phase avec la globalisation du monde » Clastres (entretien, 2019).

Il livre également quelques pistes quant à la réinvention de ces instances sportives à la lumière des enjeux contemporains qui se présentent à elles : « Aujourd’hui, l’une des manières de prendre de l’avance serait d’abandonner la séparation homme-femme, d’abandonner la séparation valide-handisport, d’abandonner aussi la séparation entre les nations ; être alors un véritable acteur de la globalisation dans sa dynamique transnationale. »

Pour étayer cela, Clastres (entretien, 2019) évoque les le fonctionnement des Jeux Olympiques jusqu’à 1908 où « pour la première fois, on a opéré en sélections nationales. Ce qui a obligé à peu près tous les États-nations existants à créer des comités olympiques nationaux qui se sont chargés de faire les sélections. […] C’est la victoire d’une conception nationale du sport sur une autre, transnationale. » Il s’agirait donc pour lui d’opérer un retour vers ce sens mais sous d’autres modalités répondant à une autre mondialisation que celle de la fin du XIXème siècle.

Le résultat serait alors la mise en place de « vraies compétitions mondialisées » où les athlètes ne sont pas sélectionnés sur la base de leur appartenance nationale, que ce soit en sport individuel ou collectif. « Peut-être qu’un jour il va pouvoir abandonner les drapeaux et les maillots parce que les jeunesses du monde attendent ça, dans des logiques de rapprochements, d’échanges, transversales soutenues par les technologies de l’information », ajoute Clastres (entretien, 2019) qui va jusqu’à évoquer cette question comme la condition de survie future des instances sportives : « Le CIO pourrait s’inscrire dans une logique transnationale plus avancée encore. Il y sera poussé en tous cas, et la question de la nationalité va devenir un tel chaos que l’une des solutions de s’en sortir serait de s’en débarrasser. »

La nationalité d’un sportif a un rôle prépondérant dans l’écosystème sportif en cela qu’elles donnent une grille de lecture territoriale aux compétitions internationales. D’essence sportive, cette variable a des ramifications politique, juridique et économique.

Politiquement, sport et nationalité entretiennent des rapports axés sur la représentation nationale. Sur le terrain, cela trouve sa plus haute expression dans les confrontations entre équipes nationales. Celles-ci défendant des couleurs, un drapeau et un hymne, il irait de soi qu’on puisse intuitivement penser que le principal critère d’éligibilité de ses joueurs soit la détention de la nationalité étatique du pays représenté. « L’idéologie ambiante aujourd’hui pousse à favoriser une approche restrictive de la naturalisation qui est celle traditionnelle qu’on retrouve dans le sport, sauf peut-être au tout début de son ère moderne. Ceci dit, il y a

pour la FIFA par exemple, une libéralisation du changement de nationalité […] notamment à la demande de pays africains qui ne sont pas en mesure de développer leur football local et souhaitent profiter du travail de formation effectué par d’autres pays plus en mesure de le faire. » Cela a, pour Poli (entretien 2018), quelques effets positifs : « Ça équilibre les débats, vu que ces équipes africaines ne font pas de meilleurs résultats qu’auparavant mais ça leur donne au moins la possibilité d’avoir un niveau présentable. […] C’est l’histoire de chaque pays et ses options politiques qui guident ces possibilités/choix. »

De manière moins marquée, ce rôle de représentation concerne aussi les compétitions entre clubs. À ce titre, supporters et instances sportives sont enclins à un attachement territorial plus prononcés concernant les joueurs en clubs. Selon le rapport « Préserver l’héritage et l’avenir des sports d’équipe en Europe » produit en 2008 par les fédérations de l’ETS (Association Européenne des Sports Collectifs), les clubs ne doivent pas être « seulement des sociétés commerciales, mais font partie des communautés locales correspondantes et favorisent l’identité nationale. »

Sur le plan économique, « c’est une différenciation de produit entre ce que vendent les clubs et ce que vendent les institutions UEFA-FIFA. Admettons qu’on ait des équipes nationales gérées par des clubs, où les joueurs changeraient de nationalité au gré des opportunités, le marqueur différent qui fait l’intérêt des compétitions entre équipes nationales s’en trouverait dilué. » (Ravenel, entretien 2018)

Sur le plan sportif, un meilleur équilibre de ces considérations identitaires viserait l’équilibre des compétitions notamment entre clubs. À défaut de limitation sur la base de la nationalité des joueurs, les services des meilleurs d’entre ceux-ci pourraient n’être destinés qu’aux clubs les plus riches.

Puisque leur circulation serait complètement libre, les sportifs choisiraient les options les plus avantageuses financièrement dans une logique d’optimisation de leurs carrières. « Les clubs, notamment ceux qui ont les moyens, ne veulent pas s’embarrasser avec des questions de nationalité, considérant que si quelqu’un est bon il faut qu’il puisse jouer, tout frein étant considéré comme une discrimination. Après, les quotas peuvent se justifier aussi, les jeunes locaux ont moins de possibilité de jeu, les riches peuvent acheter des joueurs partout dans le monde. De manière générale les clubs ne s’intéressent pas réellement à la question sauf à rare cas comme l’Athletic Bilbao ou d’autres clubs qui veulent quand même être enracinée dans

leurs territoires et qui en connaissant l’importance commerciale, transposant cela à l’emploi de joueurs locaux. Mais la plupart, se définissant comme des marques globales, s’affranchissent de plus en plus de ces questions-là. » (Poli, entretien 2018)

Ainsi la mise en place de quotas, lorsqu’elle n’est pas contraire au droit notamment communautaire, vise à promouvoir la formation locale misant sur le fait que la provenance des joueurs, puisqu’encore jeunes, serait –de manière générale– locale.

Guillaumé (2013, 22) souligne qu’aujourd’hui le rôle de la nationalité est menacé par deux facteurs : « D’une part, l’objectif de représentation nationale se trouve confronté au problème des naturalisations massives. […] D’autre part, les clauses de nationalité ont été déclarées contraires au droit de l’Union Européenne. » Pendant que le deuxième argument est désormais établi puisque l’arrêt Bosman a été considérablement étendu depuis sa prononciation, nous ne partageons le premier que de façon partielle.

Il est vrai que des naturalisations de complaisance nuisent aussi bien à l’éthique des compétitions sportives qu’à l’image des instances les organisant et pourrait provoquer, à terme, un désengagement du public. « Il peut s’agir de naturalisations frauduleuses lorsqu’elles sont obtenues à la suite d’une manœuvre, c’est-à-dire d’un montage artificiel tel un mariage simulé. Il peut également s’agir de naturalisations simulées, dans l’hypothèse où la nationalité nouvelle est obtenue avec la complicité de l’État d’accueil, sans considération de l’appartenance effective du sportif à la population des citoyens et alors que dans une situation identique un non-sportif n’aurait pas été naturalisé. » (Guillaumé, 2013, 23) Si elle peut parfois être spectaculaire (exemple équipe nationale de Handball du Qatar en 2015), l’incidence effective de ces procédés sur le terrain reste limitée notamment dans le cadre des sports collectifs.

Comme nous avons pu le voir s’agissant du football et du rugby, la sélection des joueurs nés à l’étranger reste stable durant l’histoire du Mondial s’agissant du premier et sans impact sur les résultats dans le cas de la dernière Coupe du monde concernant le deuxième. « Le football est le plus restrictif car l’image du produit équipe nationale est tellement importante qu’il faut maintenir une certaine cohésion par rapport au public. Aussi le football est joué un peu partout, donc le niveau de compétitivité est très élevé, à contrario du rugby par exemple qui idéologiquement était plus conservateur et tend aujourd’hui à plus d’ouverture, notamment pour des raisons commerciales. […] Le choix du rugby pour des politiques de naturalisation est assumé. » (Ravenel, entretien 2018) Le constat est différent pour les sports individuels. Dans

le cas de l’Athlétisme, Gillon et Poli (2006) démontrent que, l’obtention d’une médaille pouvant reposer sur l’exploit individuel d’un seul sportif, la fuite des muscles notamment des pays pauvres vers les pays riches est plus importante.

Il conviendrait également de relativiser l’idée d’une globalisation totale où un marché complètement libéral serait en place. Aussi bien pour les équipes nationales que pour les clubs, les sélections de joueurs nés à l’étranger ainsi que les transferts obéissent à une logique à dominante commerciale certes, mais aussi à des considérations historiques et culturels. Une fois ce constat acté, la question qui se pose est celle du devenir de cette question. Le concept de nationalité est un produit de l’histoire récente, qui aujourd’hui est appelé à se réinventer. Appliqué à l’écosystème sportif, il en a constitué jusqu’ici une ressource stratégique pour les principales parties prenantes. Quid de demain ?