• Aucun résultat trouvé

La globalisation du sport et ses incidences multi-scalaires : un tournant néo-libéral

PARTIE I : L A NATIONALITE , RESSOURCE STRATEGIQUE DE L ’ ECOSYSTEME SPORTIF

II. La globalisation du sport et ses incidences multi-scalaires : un tournant néo-libéral

L’autonomie du sport constitue depuis fort longtemps un sujet de littérature important et abondant, notamment autour de sa gouvernance mondiale. Si l’exception sportive a émergé aux États-Unis dans le cadre très spécifique des exemptions possibles aux lois anti-trust, le débat s’est diffusé en Europe à partir des années 1970 au point de susciter une réflexion large aussi bien dans ses aspects juridiques et pratiques de mise en œuvre que dans sa doctrine afférente. Revendiquée au fil du temps par de multiples instances, c’est le mouvement olympique qui en a marqué le point de départ.

I.A. Le mouvement olympique, à l’origine d’un débat particulier devenu général

Pour Chappelet (2019), le concept d’autonomie du mouvement sportif apparaît pour la première fois dans la Charte Olympique en 1949. Il s’agissait, alors, pour le CIO, à l’heure de l’entrée de l’Union soviétique dans le mouvement olympique, de souligner la nécessité de l’autonomie des Comités Nationaux Olympiques (CNO) d’être autonomes afin qu’il les reconnaisse.

Trente années plus tard, c’est le Conseil de l’Europe qui met l’emphase sur l’autonomie du sport dans la Charte européenne du sport pour tous, devenue depuis la Charte européenne du sport : « Les organisations sportives bénévoles établissent des mécanismes de décision autonomes dans le cadre de la loi. » (Art. 3.3, COE 1992)

Cette propension à l’autonomie du mouvement sportif allait être renforcée en 1984, avec la création du Tribunal Arbitral du Sport (TAS). Le but était de parer à la menace d’interférence provenant d’autres ordres juridiques. Les prémices de celle-ci ont commencé en 1974, avec les affaires Walrave & Koch et Dona, dont Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) s’est saisie, considérant le litige en question d’ordre plutôt économique que sportif, faisant ainsi partie de son champ de compétences. Face à cela, progressivement après sa fondation, le TAS allait être reconnu par « toutes les fédérations sportives internationales […] dans leurs statuts comme leur organe de recours suprême. » (Chappelet, 2019)

Cela n’a pour autant pas empêché l’avènement de l’arrêt Bosman en 1995, faisant guise de chamboule-tout dans l’écosystème sportif, ni de l’arrêt Malaja, en 2003, qui en est considéré comme une extension. En réponse, Chappelet (2019) indique que « le mouvement sportif décide de faire du lobbying à Bruxelles » qui aura, pour résultat, l’adoption en 2000 par le Conseil de l’Union Européenne d’une « déclaration relative aux caractéristiques spécifiques du sport et à ses fonctions sociales en Europe, devant être prises en compte dans la mise en œuvre des politiques communes », dite « Déclaration de Nice. » Le sport et ses spécificités prises en compte, devient alors une compétence de l’Union Européenne, sans pour autant que le vocable « autonomie » ne soit utilisé dans les textes.

C’est le CIO qui l’introduit en organisant, à la suite de l’arrêt Meca-Medina (2006), deux séminaires (2006 et 2008) sur ce thème. Il conclut que le principe d’autonomie du sport doit avoir comme salaire une gouvernance correcte de ses organisations. Qu’est qu’alors une bonne gouvernance ? Chamerois (entretien 2019) a « du mal à y répondre ». Pourquoi ?

« Une gouvernance, son mode, peut-être démocratique/dictatoriale centralisé/délégataire. Une bonne gouvernance, j’ai du mal à dire ce que ce serait. Si je prends le cas du CIO, c’est une gouvernance assez intéressante puisque le CIO est élu par des membres Ceux-ci sont cooptés par d’autres membres à près de 60%. Il y a des quotas sur les fédérations internationales, les CNO et les athlètes. Cette centaine de personnes et le président prennent des décisions pour 206 CNO, 35 fédérations, des dizaines de milliers d’athlètes… est-ce que c’est une bonne gouvernance d’un point de vue démocratique ? Peut-être pas. Est-ce que c’est une bonne gouvernance si l’on prend l’état du CIO, ses revenus, sa pérennité, sa longévité ? Oui, certainement. D’autres structures connaissent une gouvernance plus directe, plus décentralisée mais moins efficace. Donc une bonne et une mauvaise gouvernance, je ne sais pas exactement ce que cela veut dire. Mais généralement, le mode de gouvernance d’une fédération, d’une structure, va se mesurer dans le temps : au nombre de ses présidents, au succès de son sport… Pour répondre clairement à cette question : je ne pense pas qu’il y ait une bonne ou une mauvaise gouvernance » (Chamerois, entretien 2019).

Chappelet (entretien, 2019) y substitue le terme de « meilleure gouvernance » et propose cinquante indicateurs pour la mesurer, selon les dimensions suivantes : Transparence – Démocratie – Checks and balances - Développement et solidarité ; « Ils ont été développés dans le cadre de l’Association of Summer Olympic International Federations qui les appliquent

désormais. La force de ce modèle est qu’il a été appliqué et continue à l’être pour voir l’évolution annuelle des notes des instances qui le prennent en considération. Le défi aujourd’hui est celui de la gouvernance des CNO et des Fédérations Nationales qui dépendent beaucoup des pays dont une douzaine sont considérés comme étant importants pour les Jeux notamment du point de vue des droits de retransmission télévisuelle. »

Enfin, en 2016, un rapport de la Commission Européenne portant sur la spécificité du sport vient, vingt ans après l’arrêt Bosman, faire le point sur la jurisprudence communautaire quant à l’autonomie du sport, notamment sur des questions liées à la nationalité, qui étaient au départ de la confrontation de l’ordre sportif avec notamment l’ordre européen.

I.B. Autonomie du sport : une définition institutionnelle qui reste à trouver

Si une acception claire et acceptée du concept d’autonomie manque à l’appel dans les textes des organisations intergouvernementales comme l’UE et le Conseil de l’Europe, Chappelet (2010) propose une définition divisée en cinq items : « L’autonomie du sport est, dans le cadre du droit national, européen et international, la possibilité pour les organisations sportives non gouvernementales sans but lucratif :

1- Établir, modifier et interpréter librement des règles adaptées à leur sport sans influence politique ou économique indue.

2- Choisir démocratiquement leurs dirigeants sans interférences d’États ou de tiers. 3- Obtenir des fonds publics ou de tiers adéquats sans obligations disproportionnées. 4- Réaliser avec ces fonds des objectifs et activités choisies sans contraintes externes fortes. 5- Élaborer, en négociation avec les pouvoirs publics, les normes légitimes et proportionnées

à la réalisation de ces objectifs. »

Le cadre d’exercice ici défini est celui du droit international, européen ou national. À partir de là, les règles sportives doivent être proportionnelles et justifiées par rapport à leurs objectifs et ne peuvent contrevenir aux principes fondamentaux du droit ni aller contre le droit commun, par exemple, dans l’Union Européenne, la libre circulation des personnes, des biens et des services. Les trois domaines d’application de cette autonomie sont les suivants (Chappelet (2019) :

1- Statuts de l’organisation sportive : celle-ci « jouit d’une autonomie forte seulement limitée par la loi de l’association ou de toute autre forme juridique choisie dans le pays de son siège ».

2- Règles du jeu : « les organisations sportives bénéficient dans le cadre de leurs structures pyramidales, qui assure le respect des règles de jeu communes, d’une autonomie quasi-totale pour autant qu’elle ne trouble pas l’ordre public. »

3- Règles des compétitions sportives contrôlées par l’organisation : « l’autonomie est contingente à la nature de l’événement. Plus il a une dimension économique, plus ses règles sont contraintes par le droit commun applicable, notamment européen. »

S’est alors constituée l’ordre sportif, souvent identifié dans la littérature sous l’appellation Lex Sportiva et qui constitue un sujet de controverse.

Le sport : une activité doublement réglementée dans et en dehors des terrains

D’ordinaire, l’existence d’une activité précède à sa réglementation. Jestaz (1990, 3) note que, dans le Code Civil, « la plupart des activités visées au travers des articles préexistaient à la règle juridique dont elles ont d'ailleurs provoqué la naissance par tâtonnements juridiques. » Ceci n’est pas le cas du sport, puisque la règle y est un préalable essentiel à la pratique. On trouve ici l’origine d’un « ordre juridique sportif », dans une formulation annoncée par Sforza dès 1933, car « depuis l’origine – que l’on peut situer à la fin du XIXème siècle – les organisations sportives internationales présentent leur autonomie comme une de leurs caractéristiques essentielles. » (Miège, 2017, 3)

Avant de se pencher sur l’exemple du sport, il serait judicieux d’éclairer d’abord ce qu’est en général un ordre juridique. De celui-ci, Mayer (2003) distingue deux conceptions ;

- La première, normativiste, mise en avant par Kelsen (1962, 43), définit l’ordre juridique comme un « système de normes dont l’unité repose sur le fait que leur validité à toutes a le même fondement. »

- La seconde, institutionnelle, proposée par Romano (1975, 7), décrit l’ordre juridique comme n’étant plus « un ensemble statique de normes posées les unes à côté des autres et attendant d’être mise en œuvre, mais une entité dotée d’une force susceptible d’être mise en action. » L’ordre juridique défendu par Romano « ne se confond pas uniquement avec l’ordre juridique étatique. Il est, au contraire, multiple, vivant, animé. » (Lefebvre-Rangeon, 2014, 13)

Cette deuxième conception fait émerger les conditions de la reconnaissance d’un pluralisme juridique, au sujet duquel Virally (1960, 99) affirme : « la multiplicité des ordres juridiques est un fait trop visible pour que nul ne songe à le contester. » Dans le même sillage, en 1918, Romano présentait le droit comme un ensemble d’ordres juridiques, qu’il décrit comme « les rapports d'autorité et de force qui créent, modifient, appliquent les normes juridiques, sans s'identifier à elles ». Ainsi, dans une conception holiste, l'ordre juridique est « totalité dépassant la somme des normes et contenant encore bien d'autres choses que des normes » (Romano, 1975, 7).

Il nous revient d’établir les caractéristiques respectives et retracer les croisements entre les deux différents ordres étatiques que nous étudions : l’ordre juridique étatique et l’ordre juridique sportif. Ensuite, nous reviendrons sur les conditions de leur compétition. Cette analyse s'appuiera principalement sur la théorie de Romano (1960, 160) et notamment sur la notion de relevance, dont les conditions d’existence sont les suivantes : « Pour qu’il y ait relevance juridique, il faut que l’existence, le contenu ou l’efficacité d’un ordre soit conforme aux conditions mises par un autre ordre : cet ordre ne vaut pour cet autre ordre juridique qu’à un titre défini par ce dernier. » C’est-à-dire que la valeur juridique d'un ordre est suspendue à sa reconnaissance par un autre et des effets juridiques que celui-ci entraîne sur celui-là.

II. Ordres juridiques sportif et communautaire :