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DE LA DIFFICULTÉ D’ÊTRE SO

C) Étrangers à soi-même

3) Nationalité et identité

Le principe de l’État-Nation à largement contribué à diffuser dans toute l’Europe l’idée de concordance entre l’identité culturelle d’un peuple et son organisation étatique. Dans les pays occidentaux, la nationalité d’une personne correspond le plus souvent à son identité en tant que membre d’une communauté culturelle. La nationalité d’un individu s’acquiert généralement dès la naissance et fonde en partie son identité. En fonction de l’endroit où l’on se trouve, la nationalité que l’on possède détermine la qualité d’étranger ou au contraire, son appartenance à la communauté nationale. La personne qui quittera sa communauté d’origine pour se fixer ailleurs, sera dès lors confrontée au problème de l’intégration qui est en grande partie formalisé par l’acquisition d’une nouvelle nationalité. Toute personne d’origine étrangère va se trouver partagée entre son étrangeté qui l’identifie à son pays d’origine, et son désir d’accéder, ou non, à la qualité de membre de la nouvelle communauté nationale. L’individu en question va alors devoir se situer par rapport à ce principe de nationalité et adapter son identité aux exigences et aux caractéristiques de sa culture d’accueil. A travers l’adoption ou l’attribution de la nationalité, il est possible d’analyser les rapports existants entre l’étranger et sa nouvelle communauté. Ces relations sont à deux sens : l’attitude de l’étranger par rapport à la société, et celle de la communauté nationale à son égard. La qualité de membre lui sera-t-elle refusée à cause de son étrangeté, où il y aura-t-il au contraire adoption malgré cette différence identitaire ? Pour Romain Gary, cette question se posa en ce qui concerne son activité d’écrivain, le choix de nationalité qu’il fit, et les doutes qui apparurent quand même du fait de sa situation.

Gary écrivain français ?

Dans le cas des artistes d’origine étrangère, l’accession à la notoriété sert souvent de passeport pour l’intégration dans la communauté nationale. L’histoire ne manque pas d’exemples d’artistes immigrés ayant fait l’objet d’une véritable récupération par leur pays hôte, une fois établie leur célébrité nationale ou internationale. En France comme à l’étranger, toutes les histoires littéraires ou notices biographiques présentent Romain Gary comme un écrivain français288. Or Gary obtint sa naturalisation en 1935 alors qu’il n’avait pas encore

288 Un écrivain français doit-il obligatoirement s’exprimer dans cette langue ? Dans ce cas-là, on devrait alors uniquement parler d’écrivain francophone. Gary était plus que cela. L’usage de la langue française se doublait chez lui d’une véritable identification à la culture française. Par ailleurs, même si une petite partie de son œuvre

commencé sa carrière d’écrivain. Faut-il à ce moment-là considérer Romain Gary comme un écrivain français uniquement à cause de cette naturalisation qui faisait de lui juridiquement un citoyen français, ou parce que son œuvre et son écriture présentent un caractère de francité ?

Gary décrit ses premières tentatives littéraires lorsqu’il était jeune adolescent en disant :

”Car il va sans dire que je n’écrivais pas en russe ou en polonais. J’écrivais en français. Nous n’étions à Varsovie que de passage, mon pays m’attendait, il n’était pas question de me dérober. J’admirais beaucoup Pouchkine, qui écrivait en russe, et Mickiewicz, qui écrivait en polonais, mais je n’avais jamais très bien compris pourquoi ils n’avaient pas composé leurs chefs-d’œuvre en français”.289

Cette façon de voir les choses est caractéristique de l’attitude de Gary par rapport à la France et à la francité. Le rapport qu’il entretient avec elle est né de l’écriture et de la création littéraire. C’est une relation essentiellement culturelle dont les éléments débordent du stricte cadre de l’Hexagone. Cette attraction que la France et la civilisation française exerçaient sur des personnes d’origine étrangère avait en effet quelque chose d’indéniablement européen, dans le sens où elle correspondait au principe de dépassement des frontières et de célébration d’une culture dans laquelle des personnes de toute l’Europe se retrouvaient depuis le XVIIIe siècle, et plus particulièrement depuis la période des Lumières. Elle est également universelle puisqu’elle s’étend à d’autres continents, tout en correspondant par son histoire et les valeurs qu’elle contient à un principe européen. L’intégration de Gary à la communauté française passa donc par la langue. Parce que le français n’était pas à proprement parlé sa langue maternelle, ou plutôt parce qu’il était seulement sa deuxième langue maternelle -les autres étant le russe voire le polonais-, sa reconnaissance en tant qu'écrivain par les instances françaises de légitimation culturelle ne fut pas si facile. C’est ainsi qu’en 1956 lors de l’attribution du Prix Goncourt pour Les racines du ciel, une partie de la critique se gaussa des quelques ”perles” et tournures maladroites que comportait l’édition originale. D’aucuns virent même dans le ”polyglotisme” de Gary, un signe de son incapacité à bien maîtriser le français290. Dans un

fut d’abord écrite en anglais (The ski bum, The talent scout...), il assurait toujours personnellement la relecture de la traduction en français de ces livres, lorsqu’il ne pouvait pas l’assurer lui-même. Il faut de ce fait plutôt parler pour ces ouvrages d’une écriture parallèle entre le français et l’anglais.

289 La promesse de l’aube, p.141.

290 Le critique Kléber Haedens ironisa sur les sept langues que connaissait Gary parmi lesquelles ”il ne vient à l’idée de personne de compter le français”. Cf. dans l’Édition commentée en annexe I, p. xxx, le paragraphe consacré aux Racines du ciel et à cette affaire.

pays où l’emploi de l’imparfait du subjonctif constitue un signe absolu de distinction littéraire, Romain Gary avec ses expressions imagées faisait figure de paysan du Danube. La suite de son œuvre montra, s’il le fallait, qu’il n’avait aucune leçon à recevoir de quelques prétendus puristes de la langue française291. Gary qui se considérait avant tout comme un écrivain français souffrit cependant de cette non-reconnaissance.

”Il semble que je devienne définitivement un auteur international et, en ce qui concerne la France, un auteur apatride. (...) Je crois en réalité que ni le critique français, ni le public n’aime, ne goûte l’humour tel que je le pratique et qui est essentiellement anglo-saxon ou russe, dans la tradition de Gogol et des Marx Brothers. Peut-être vaut-il mieux d’ailleurs que j’écrive en anglais”.292

Les aspects slaves de son identité se révélaient être un obstacle pour une assimilation totale aux habitudes culturelles de l’hexagone. Une part d’étrangeté restait dans son écriture. Elle n’était au fond que l’expression de ses autres facettes identitaires. Héritières d’autres traditions culturelles, celles-ci démarquaient Gary du reste des écrivains français, mais assuraient en même temps son succès hors de France. Par le mélange des traditions littéraires qu’il avait assimilées, l’écriture de Gary est avant tout européenne, combien même l’influence du roman nord-américain y est parfois également perceptible. Joseph Kessel dont le parcours rappelle beaucoup celui de Gary, ne se trompait pas lorsqu’il déclarait :

”L’art de Romain Gary est pareil à celui d’un grand Américain de son temps, John Steinbeck. Mais la sensibilité, la mélancolie, le son de pureté désespérée sont de notre continent et du côté où le soleil se lève”.293

Pour Gary, le pluralisme de ses références culturelles n’était nullement inconciliable avec l’appartenance à la grande famille de la francité. Répondant un jour à la question ”Vous considérez-vous aujourd’hui comme un écrivain totalement français ?”, il répondit :

291 Gary ne comptait pas que des détracteurs. En témoigne la proposition d’entrer à l’Académie Française au fauteuil de Joseph Kessel que lui auraient faite quelques amis en 1980. D’après Dominique Bona, Romain Gary,

op. cit. p. 383.

292 Lettre du 7 novembre 1952 à Michel Gallimard. Source: Correspondance d’édition Romain Gary, archives Gallimard. Dans l’interview qu’il accorda à la revue Biblio en mars 1967, Gary rajoute: ”J’ai l’impression que je serai toujours pour les français un écrivain ”outsider”, comme Conrad en Angleterre. Toute langue a une structure mentale propre”. La structure mentale de la langue française est apparemment rétive aux tournures adoptées du russe ou du polonais que Gary essaya d’introduire dans ses romans.

”Écoutez, je suis d’origine russe, ma mère était juive, j’ai vécu sept ans en Russie, huit ans en Pologne. Mes premiers efforts littéraires ont été la traduction de Pouchkine en polonais. En France j’ai eu le premier prix de français, puis je me suis engagé dans la Royal Air Force et me suis réveillé dans le langue anglaise. Alors il y a une chanson de Maurice Chevalier: ”et tout ça, ça fait d’excellents français”...” 294

Parmi les fondements européens de son œuvre, apparaît l’expression d’une sensibilité française. Elle relève d’un choix, celui de la culture française comme héritière d’une certaine forme de culture européenne et d’une réelle volonté d’ancrage dans sa nouvelle communauté295.

D’où le culte de cette France particulière qui transcende les livres de Gary; ce qui pourrait passer pour du patriotisme cocardier, n’étant en fait que la manifestation d’une croyance profondément ancrée dans ce que représentait, pour lui, sa patrie d’adoption. Bertrand Poirot Delpech fait remarquer à juste titre, au sujet des Cerfs-volants :

”Un tel patriotisme de nos jours fait figure de bizarrerie. On ne le rencontre plus guère que chez les écrivains qui ont élu leur patrie au lieu d’y naître malgré eux”.296

La reconnaissance vint tardivement au lendemain de sa mort. Elle fut en revanche unanime. A droite comme à gauche, il est enfin célébré comme un écrivain authentiquement français. Dans la semaine qui suivit sa disparition, Jean Daniel du Nouvel Observateur titra par exemple son éditorial ”Gary l’émigré, un modèle d’intégration”, soutenant qu’il avait accédé à la francité par voie royale du gaullisme authentique, celui de la résistance, ce que la France pouvait sécréter de plus noble; tandis que dans Le Figaro Magazine, l’académicien Jean d’Ormesson écrivait pour sa part qu’il n’y avait pas plus français que ce romancier slave...297 Avec son histoire et

294 D’après Romain Gary: le bonheur n’est pas un problème, propos recueillis par F. Mothe. Sud Ouest, le 9 février 1975. On remarque au passage le peu de fiabilité des indications que donnait parfois Gary dans ses interviews. Si l’on en croit sa déclaration, il aurait quitté la Russie en 1921 (1914 + 7 ans), et serait arrivé en France en 1929 (1921 + 8 ans). Or nous savons avec certitude qu’il est arrivé à Nice en 1927...

295 Pour bien comprendre ce sentiment dont l’analyse pourrait sembler à posteriori trop hexagonocentriste, il faut rappeler la fascination qu’exerçait la France, patrie des droits de l’Homme, sur les populations juives encore peu intégrées d’Europe centrale et orientale. A cause de l’amour immodéré qu’elle nourrissait pour le pays qu’elle avait choisi, Nina Kacewa sera un jour qualifiée avec raison de ”franco-maniaque”. D’après Jérôme Garcin,

Romain de France. L’événement du jeudi, 14-20 mars 1987. 296 In Le Monde, 9 mai 1980.

297 Seul le très extrémiste et crypto-antisémite Rivarol apporte une note discordante dans ce concert de reconnaissance posthume. Le 11 décembre 1980, il souligne complaisamment les origines étrangères de Gary, comme celles de Jean Daniel qui vient de faire son éloge. Le 18 décembre dans un article relatant son enterrement, Gary y est même qualifié de ”métèque”. Source: argus de la presse Gallimard.

son itinéraire peu commun, Romain Gary venait conforter l’image d’une France terre d’accueil et assimilatrice particulièrement bien illustrée par la littérature 298. Comme Jean-Jacques

Rousseau, Julien Green, Eugène Ionesco, Emile Cioran, et Samuel Beckett par exemple; ou Joseph Kessel, Nathalie Sarraute ou Henri Troyat pour ne citer que les écrivains d’origine russe, Romain Gary avait su dépasser sa culture d’origine pour devenir partie intégrante de la littérature française.

Du bon choix de la nationalité

La nationalité est dans la plupart des cas une donnée héritée. On est français parce que né de parents français ou parce que né sur le sol de France. Romain Gary, lui, a choisi sa nationalité, la communauté dans laquelle il voulait vivre et à laquelle il voulait appartenir. Ce choix fut double : prendre la nationalité française ou ne pas la demander, mais également choix possible entre différentes nationalités. La possibilité d’opter entre différentes nationalités se présenta en effet plusieurs fois dans sa vie. Il aurait pu tout d’abord poursuivre sa première intégration et devenir polonais. Cela ne correspondait cependant pas aux souhaits de sa mère299. Deux autres possibilités non négligeables s’offraient par contre aux Kacew lorsqu’ils décidèrent de quitter définitivement la Pologne. Entre 1922 et 1927, 370.000 Juifs, surtout polonais émigrèrent en Palestine. On peut se demander pourquoi les Kacew n’ont pas suivi cet exemple. D’autre part, comme de très nombreux candidats à l’immigration, ils auraient pu faire une demande pour s’installer aux États-Unis, ce pays neuf qui offrait la possibilité d’une nouvelle existence aux européens fuyant la pauvreté ou les conditions de vie précaires de leur pays d’origine. Mais depuis mai 1921, une nouvelle loi était venue restreindre l’immigration outre Atlantique avec l’introduction de quotas ethniques300. A partir de cette date, la France devint le principal pays

298 ”On peut devenir français comme on se fait baptiser. On entre dans la nation française comme on entre dans une communauté religieuse constituée non par le sang mais par l’esprit. Il n’y a qu’en France qu’il est possible à un Roumain, à un Américain, à un Russe de devenir des écrivains éminents”. Friedrich Sieburg, Dieu est-il

français ? Paris: 1930. p. 76-78. Cité par Ralph Schor, in L’opinion française et les étrangers. Paris: Publications

de la Sorbonne, 1985, p. 533. Notons qu’en avril 1994, l’académie française comptait six académiciens d’origine étrangère, en sus de Julien Green et de Léopold Sedar Senghor qui possèdent une double nationalité.

299 L’antisémitisme latent de la société polonaise de cette époque joua certainement un rôle dans sa décision. Gary, malgré l’attachement qu’il proclama toujours envers ce pays, était parfaitement conscient de cette constante de l’histoire polonaise, comme en témoigne la scène relatée dans La promesse de l’aube, p. 318 et suivantes. Précisons par ailleurs qu’à partir de 1927 -l’année d’arrivée des Kacew en France- le maréchal Pilsudski refusa l’immigration aux plus jeunes afin de limiter la perte des forces vives polonaises. Cf. Y. Lequin, La mosaïque

France, op. cit., p. 401.

300 Lorsque Romain Gary commença à découvrir les aspects négatifs de la démocratie américaine, il s’aperçut notamment de la faiblesse du caractère multiculturel de la société. Le fameux creuset américain n’en n’était pas un à ses yeux, puisqu’il existe encore et toujours un problème racial. Cela vient certainement de la politique américaine d’immigration qui, au contraire de la France, a toujours été liée dans les textes, dans les pratiques et

d’immigration du monde avec un taux d’accroissement de sa population étrangère de 515 pour 1000, contre 492 pour les États-Unis en 1930301. Si elle a certainement joué un rôle dans le

choix d’une destination, l’évolution des différentes politiques d’immigration et des conditions administratives n’expliquent cependant pas uniquement cette décision de s’établir en France. La réputation de la France, terre promise de la liberté était très forte chez les Juifs d’Europe centrale. Le fameux proverbe ”Leben wie Gott in Frankreich” trouvait un grand écho parmi ces populations fascinées par la devise de la République, ”Liberté, Égalité, Fraternité”, phénomène que confirme en tous points le récit que Romain Gary livre à ses lecteurs dans La promesse de l’aube 302. Étant donné que les goûts et les espérances de Nina Kacewa portaient plus sur les

possibilités de faire de son fils un écrivain fameux qu’un nouveau Rockfeller ou un sioniste convaincu, le choix de la France s’imposait de lui-même.

Une fois leur autorisation d’immigrer accordée, les Kacew s’installèrent sur la côte d’Azur à Nice, dans un des départements français qui comptait le plus fort pourcentage d’étrangers : plus de 15 % en 1931. Les italiens y sont largement majoritaires puisqu’ils ne représentèrent jamais moins de 70% de la population étrangère303. Il existait toutefois une importante communauté russe traditionnellement bien implantée qui disposait même d’une cathédrale, inaugurée en 1912, et de multiples associations304. Les Russes constituaient une communauté

particulière au sein de la communauté des étrangers. Moins de 100.000 Russes se réfugièrent en France après la révolution bolchevique, mais ils jouèrent quand même un rôle important dans la vie culturelle du pays. Les artistes russes jouissaient d’une telle popularité, que l’on a pu parler de mode et d’un véritable sentiment de russophilie parmi la population française :

même dans les structures mentales, au problème racial et à la question de l’ethnicité. Cf. à ce sujet G. Noiriel,

Français et étrangers. in Pierre Nora (sd), Les lieux de la mémoire: Les France. Volume 1, Conflits et partages.

Paris: Gallimard, Bibliothèque illustrée des histoires, 1992.

301 D’après G. Noiriel, Français et étrangers, op. cit., p. 275. En 1926, la France comptait 40,7 millions d’habitants, dont 2 .498.230 étrangers, soit 6,1 % de la population. Il y avait alors 309.000 Polonais, soit 12,3 % de la population étrangère, contre 67.200 Russes (2,6%). Cinq ans après, en 1931, les Polonais étaient 507.800 (17,2 %) et les Russes 71.900 (2,4 %). D’après R. Schor, L’opinion publique française et les étrangers, op. cit., p. 41. Les Kacew étaient certainement comptabilisés comme polonais étant donné qu’ils arrivaient de Varsovie. Ils appartenaient donc en théorie à une des communautés les plus fortement représentée sur le plan national, mais qui n’était que peu implantée dans la région où ils vivaient.

302 Voir également ce que disait Marc Chagall sur l’apparente absence de barrières sociales, in R. Schor,

L’opinion française et les étrangers, op. cit., p. 201.

303 R. Schor, L’opinion publique française et les étrangers, op. cit., p. 42.

304 En 1936, 3697 russes résidaient dans le département des Alpes Maritimes, soit 5,2 % de la population totae des russes établis en France (52% étant établis dans le seul département de la Seine). Cf. Isabelle Repiton,

L’opinion français et les émigrés russes, 1920-1939, à travers la littérature française de l’entre-deux guerres.

Mémoire de DEA, IEP de Paris, 1986. p.39. Isabelle Repiton signale également que la crise des années trente toucha gravement la colonie russe de Nice et des Alpes Maritimes dont l’organisation eut du mal à survivre aux revers de fortune de ses membres bienfaiteurs. Ibidem, p. 41.

Stravinski, Chaliapine, Lifar, Kniaseff et Diaghilev triomphaient dans la musique, le chant et la danse, tandis qu’Ivan Mosjoukine et Tourjanski connaissaient une certaine gloire cinématographique. Mais Romain et sa mère n’avaient rien de commun avec ce milieu de célébrités, si ce n’est un lien de famille hypothétique avec Mosjoukine. Ils étaient comme la grande majorité de la communauté : pauvres ou appauvris. Ralph Schor fait remarquer que c’était devenu un lieu commun que de considérer les Russes comme des ”épaves”, victimes du plus étonnant des revers de fortune305. Les conditions de vie difficiles qui furent celles des Kacew à Nice au début ne les distinguaient pas de la grande majorité des autres Russes blancs. Leur judaïté était un plus grand facteur de différence, tout comme le fait que, au moins en ce qui concerne Gary, il se soit toujours présenté comme polonais et non comme russe. Cette particularité les excluait de la communauté et des avantages qu’elle pouvait fournir, mais elle facilitait en même temps leur intégration dans la société française en évitant le phénomène de ghettoïsation. L’intégration des Kacew allait donc se faire sur le plan strictement individuel,