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CHAPITRE 5 – TRAVAIL PAR PROJET ET PLURIACTIVITÉ CONTRAINTE : ÉTUDE DE CAS D’UN

5.1 Présentation générale du CAA1

5.1.3 La naissance d’un projet entre les artistes et le CAA1 : une économie relationnelle

D’après nos observations, le CAA1 semble constituer un espace où chaque interaction détient un caractère stratégique. En effet, la réputation du centre est mise à l’épreuve par les acteurs institutionnels qui gravitent autour de lui (représentants des conseils des arts, artistes indépendants, artistes candidats à une collaboration avec le CAA1, etc.). Nous pouvons donc supposer, de prime abord, que le CAA1 peut être le lieu de concurrences interindividuelles, aussi bien des artistes entre eux pour obtenir un projet de résidence que le CAA1 vis-à-vis de la communauté qui doit garder sa réputation pour maintenir sa notoriété et du même coup son

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attractivité. Le CAA1 apparait donc comme un espace social d’intégration professionnelle où chaque rencontre, avec les multiples parties prenantes du monde de l’art dans lequel il s’inscrit, est porteuse de potentialités. Il semble alors intéressant de se demander, d’une part, comment les artistes obtiennent-ils un projet de collaboration avec le CAA1 et, d’autre part, comment s’expriment les différentes formes de collaborations des artistes avec le CAA1 ?

En préambule de toute collaboration entre l’artiste et le centre, le CAA1 adopte deux stratégies. Soit il répond à des appels de projets de médiation culturelle et de création émis par différentes institutions tels que les conseils des arts, les hôpitaux, les écoles, etc. Soit il agit comme producteur et il émet un appel à projet de résidence, de diffusion ou de création qu’il adresse à la communauté artistique. Afin de présenter des artistes qui ont des intérêts liés au mandat du centre, le CAA1 établi un processus de sélection où il reçoit les candidats, établit un comité de sélection, analyse les projets et sélectionne les artistes sur la base de différents critères. Ensuite, une employée du centre envoie les projets qui seront sélectionnés par un jury de pairs, et c’est finalement le comité artistique du CAA1 qui sélectionne les artistes, les diffuse sur différentes programmations et les soutient de façon matérielle, intellectuelle et relationnelle. Selon CHARLOTTE, ces critères reposent la fois sur des éléments formels tels que l’expérience artistique, mais également sur des éléments moins tangibles tels que la réputation :

« Ils ne regarderont pas ton CV s’ils voient que tu n’as pas exposé dans des centres reconnus. Donc si le centre est à l’extérieur de Montréal mais qu’il est reconnu à Montréal bah déjà ton CV va avoir plus de poids que celui à côté qui ne l’a pas fait. Donc quand je suis arrivé au CAA1, ils ont vu que j’avais déjà fait quelques expositions à Saguenay et à Alma, donc dans des centres qui sont reconnus à Montréal. » (CHARLOTTE)

Pour les centres d’artistes, cette stratégie de socialisation constitue l’occasion de tester, d’évaluer les qualités intrinsèques des artistes candidats, comme c’est le cas pour NELLY avec PROJETYPE225. PROJETYPE2 faisait donc intervenir le CAA1, NELLY et un universitaire,

25 NELLY est donc venue voir ZOÉ en lui disant « Voilà, j’ai un projet, j’ai une idée ». Le comité artistique s’est

alors concerté ; sans succès pour NELLY car d’après ZOÉ, « au départ ça ne collait pas vraiment ». Plus tard, NELLY a commencé à être présente aux vernissages organisés par le CAA1 pour mieux connaître le centre mais aussi pour que l’on s’habitue à elle. C’est au cours de la Soirée Composite organisée par le CAA1 que NELLY et ZOÉ ont vu une opportunité dans le PROJETYPE2, un projet pilote en créativité numérique et en médiation culturelle initié par la Ville de Montréal.

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et c’est grâce à la fréquentation récurrente du cercle du CAA1 que NELLY est parvenue à faire connaitre son travail et à créer une opportunité de collaboration26.

Une autre stratégie peut passer par l’échanges de prestations. C’est le cas par exemple de CHARLOTTE, qui a proposé de créer un logo pour le site internet professionnel de ZOÉ, en échange de quoi ZOÉ aiderait CHARLOTTE à rédiger sa demande de bourse. Cet échange de services est également le lieu d’une évaluation continue de la qualité relationnelle et des compétences respectives entre les deux parties. La demande de financement de CHARLOTTE a ensuite été acceptée et a entraîné une collaboration avec le CAA1 pour sa réalisation. Cet exemple illustre que l’expérience antérieure d’un projet commun entre l’artiste et le CAA1 constitue un critère de recrutement potentiel pour un futur projet. En somme, plus la relation s’inscrit dans le temps, plus le CAA1 accumule des informations sur son réseau afin de diminuer l’incertitude et les risques associés à la variabilité des qualités intrinsèques et individuelles des futures collaborations. Ce processus de réduction de l’incertitude est partagé par SIDDHARTHA, coordonnateur artistique à l’OBNL1, ami et collaborateur de la première heure avec le CAA1 :

« Je les ai aidés à faire leur PROJET2 comme individu, comme artiste. Et je leur ai ouvert les portes de OBNL1 pour les aider, pour pouvoir faire le travail et accéder aux machines, aux programmes, etc. Pareil, quand on a fait à l’OBNL1 nos premiers évènements de télé-présence, on a souvent fait des trucs avec le CAA1 donc ils connaissent notre niveau d’expertise, ils savent dans quel domaine on est capable d’intervenir. S’ils veulent développer le projet avec nous, bah ils vont aller chercher des subventions pour payer nos techniciens et les artistes pour faire le projet. » (SIDDHARTHA)

L’appartenance à un centre d’artistes autogéré amène alors les artistes à développer une fidélité et à adopter des conduites d’engagement à la fois pour s’assurer une certaine routine de travail mais également pour pallier le manque de ressources humaines et matérielles du centre.

26 ZOÉ et LOUIS ont donc inclus NELLY et ils ont monté le dossier de candidature en récupérant sa méthodologie

(collecte d’artefacts, repérage des locaux, numérisation, etc.). Ils ont ensuite identifié les partenaires et reformulé l’objectif du projet pour que cela corresponde aux critères de la demande de subventions. Cela a pris quinze jours pour envoyer la candidature au CAM et, un mois après la Soirée Composite, la demande du CAA1 était acceptée.

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Il semble donc que, face à la précarité économique du milieu, cette valorisation réciproque et non monétaire du travail constitue la forme la plus hybride de mutualisation des risques :

« C’est sûr que je vais avoir des engagements par échanges de services auprès du CAA1 car leur soutien a eu un rôle déterminant dans ma carrière » (CHARLOTTE) ; « À chaque fois qu’il y avait un évènement, ZOÉ et LOUIS me les relayaient et ils parlaient de moi à leur réseau. Par exemple, en 2016, CAA1 m’a donné l’opportunité de diffuser mon travail au cours d’une Soirée Composite. » (ANABEL)

Notons enfin que tous les artistes rencontrés sont membres d’au moins un centre ou un collectif en plus de leur adhésion au CAA1. Cette appartenance à plusieurs organismes répond aux différents besoins des artistes et explique, par conséquent, la diversité de services offerts par CAA1 (production, diffusion, location d’espaces, etc.) pour rester attractif. C’est le cas par exemple de CHARLOTTE, qui vient chercher au CAA1 du soutien technique, conceptuel et intellectuel là où elle va chercher des services d’impression dans un autre. Quant aux artistes de notre échantillon qui n’ont pas bénéficié des prestations du CAA1, MELCHIOR et SKELETOR disent ne pas en avoir besoin parce qu’ils effectuent eux-mêmes, à titre de collectif d’artistes, les externalisations dont ils ont besoin pour réaliser leur travail.

5.2 Organisation du travail par projet en centre d'artistes