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CHAPITRE 4 – FINANCEMENT ET REPRÉSENTATION COLLECTIVE : IMPACTS SUR

4.1 La contribution des organismes de financement : effets de pilotage

Notre travail de recherche fait apparaître le rôle des organismes de financement dans la dynamique du secteur. Ces canaux sont à la fois publics et privés, mais le secteur public en détient la plus large part. Face à l’incertitude du milieu, ces canaux de financement permettent la prise de risques et structurent donc pour partie les conditions d’effectuation du travail par projets. Ces canaux publics de soutiens financiers auprès des artistes en arts numériques sont constitués d’institutions nationales, provinciales et municipales. Le Conseil des Arts du Canada (C.A.C), le Conseil des Arts et des Lettres du Québec (C.A.L.Q) et le Conseil des Arts de Montréal (C.A.M) sont les trois instances publiques de financement des arts.

Par des financements de soutien au fonctionnement d’organismes artistiques, des bourses de création ou des prix de reconnaissance aux artistes, le Conseil des arts du Canada (CAC) a pour mandat de « favoriser et de promouvoir l’étude et la diffusion des arts ainsi que la production d’œuvres d’art » (CAC, 2017). Jusqu’en 2016, le Service des Arts Médiatiques, une des branches du CAC, offrait « une aide financière aux artistes professionnels, aux groupes, aux collectifs et aux organismes canadiens qui utilisent le cinéma, la vidéo, les nouveaux médias et l’audio comme modes d’expression artistique ou qui contribuent à mieux les faire connaître et apprécier des publics du Canada et de l’étranger »9. Or, depuis 2017, le CAC a restructuré sa

grille de financement non plus par discipline mais par type de projets. Ce choix est présenté comme devant rendre plus accessible son offre à des profils d’artistes jusqu’alors sous- représentés (artistes de la relève, artistes autochtones, artistes étrangers en résidence etc.). Pour autant, dans un certain nombre de récits de vie, ce changement stratégique a eu un impact important sur certaines trajectoires artistiques individuelles et donc sur l’ouverture de l’offre de financement à de nouveaux types d’acteurs et à de nouveaux champs. Cette contribution au financement débouche donc sur un véritable pilotage en amont des activités dans la mesure où cela structure les conditions d’organisation et d’effectuation du travail au sein de chaque projet.

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D’après la base de données du CAC, qui répertorie l’ensemble des financements accordés aux artistes, organismes et collectifs d’artistes depuis 1998, nous constatons que parmi les onze artistes (cinq femmes et six hommes) interrogés dans notre échantillon, plus de la moitié a reçu du financement du CAC ces vingt dernières années. Tous travaillent soit en centre d’artistes autogéré (ANNA, CHANTAL, ZOÉ, NELLY, ANABEL), soit dans un collectif d’artistes (MELCHIOR, SKELETOR, ROBERT). Seuls les artistes travaillant à titre individuel ou en organisme artistique à but non lucratif (ONBL) n’ont pas reçu de financement du CAC. Là encore, on doit constater que les financements publics sont destinés aux artistes intégrés à des dispositifs institutionnels. En réponse à leur exclusion, certains artistes à titre individuel (MELCHIOR, SKELETOR, ROBERT) ou organisationnel (SIDDHARTHA) se constituent en acteurs institutionnels (collectifs d’artistes ou organismes artistiques à but non lucratifs).

D’après les témoignages recueillis sur le terrain, le passage d’un « financement par disciplines » à un « financement par projets » fait polémique au sein de la communauté des arts numériques. Ainsi, selon ZOÉ, « le Canada a une vision très communautaire, axée sur le service et sur les membres donc ils augmentent tous les centres qui ont une clientèle (par exemple le CAA2, ce sont des femme). » (ZOÉ). Pour NELLY, artiste et coordonnatrice de CAA2, c’est au contraire une opportunité : « Y’a 10 ans, le type de projets que je menais, je galérais à faire comprendre ce que c’était. Je n’arrivais à rentrer dans aucune catégorie, à faire comprendre les objectifs de mon travail, de ce que je faisais. Or, depuis la modification de la grille des programmes de financement des conseils des arts influencée par le Plan Culturel Numérique, ça a comme joué en ma faveur dans la mesure où maintenant y’a comme un contexte réceptif face à ce que je propose. Ce dont je parlais il y a plus ou moins 10 ans (numérique, mobilité etc.), c’était plus ou moins concret quand j’en parlais dans mes candidatures, maintenant j’en parle même plus tellement ça parait comme une évidence » (NELLY).

En 2017, le Fonds Stratégie Numérique a versé 6 millions de dollars à 45 projets d’artistes, de groupes et d’organismes artistiques canadiens pour développer et appuyer des « initiatives numériques » qui correspondent à ses valeurs : « miser sur la collaboration, le partenariat et le réseautage ; garder un esprit ouvert et partager les connaissances, les résultats,

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les idées et les leçons apprises ; expérimenter, prendre des risques et assurer un développement itératif »10.

Ces trois axes semblent refléter la réalité hybride des artistes et des organismes, de plus en plus amenés à collaborer avec le milieu des affaires, de l’éducation et de la santé. Cet argument est d’ailleurs repris par MELCHIOR, pour qui cette hybridation des pratiques sonne comme une injonction à considérer l’art comme une entreprise néolibérale, laquelle serait agencée comme un triptyque articulé autour de trois pôles : art as a business, art as care et art

as an elite : « Je constate qu’il y a comme deux pôles aujourd’hui : "art as business" et "art as a service" ; d’un côté c’est l’art comme un choix entrepreneurial associé à l’industrie du

divertissement, avec une sorte de confusion des genres, pis de l’autre côté t’as toute une espèce d’art du care où on transforme les artistes en travailleurs sociaux ; […] le continuum ferait un triangle où la pointe serait l’art des élites » et de conclure que « y’a quelque chose d’hyper agaçant parce que je ne me sens pas du tout à l’aise dans aucune de ces sphères-là ». Industrie du divertissement, travail social et art de l’élite, voici les trois champs dans lesquels un artiste se sent aujourd’hui assigné au détriment de son travail de création.

Dans le cadre de notre recherche, il est apparu que plusieurs interlocuteurs s’étaient inscrits et avaient bénéficié des différents dispositifs offerts par le CAC. Celui-ci a créé en 2017 trois fonds stratégiques afin de faciliter l’accès aux marchés pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire, l’acquisition d’équipement en arts médiatiques, et enfin l’orientation vers de nouvelles stratégies numériques par les artistes et organismes artistiques. Quoiqu’ouverts à toutes les disciplines artistiques, ces deux derniers fonds concernent plus particulièrement les artistes et organismes en arts numériques. Le Fond Stratégie Numérique a été créé pour « les artistes, les groupes et les organismes artistiques qui veulent accroître leur engagement pratique à l’égard des solutions et des technologies numériques » (Patrimoine Canadien, 2017a). On doit ici relever que le FSN est particulièrement soucieux de l’articulation entre innovations techniques et technologiques, en évolution constante, et production de biens

10 Source : http://conseildesarts.ca/financement/fonds-strategiques/fonds-strategie-numerique [Page Consultée le

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culturels qui conditionnent en large partie les conditions d’organisation et d’effectuation du travail des artistes en arts numériques.

On dispose de peu d’informations détaillées sur le financement par province et par discipline artistique. D’après un rapport publié par le Conseil des Arts du Canada en 2013, 44,9 millions de dollars ont été accordés aux artistes et organismes québécois pour l’année 2012- 2013 et cette aide du CAC aux organismes et artistes québécois a concerné toutes les disciplines artistiques (CAC, 2013). Pour l’année 2016-2017, « les dépenses réelles concernant les subventions, les paiements aux auteurs et les prix s’élèvent à 196,8 millions » dont 14 804 $ aux artistes et organismes en arts numériques (CAC, 2017). Si ce chiffre peut paraître faible, du fait du caractère de niche du secteur étudié, il n’en présente pas moins pour les artistes concernés un facteur de reconnaissance et d’intégration dans leur monde de l’art du fait de la labellisation intervenue.

Pour autant, malgré l’importance des financements publics dans certaines activités et le poids de l’organisation par projet impulsés par la commande publique, on ne peut considérer les pouvoirs publics comme étant un employeur non-classique. S’ils assurent des grandes fonctions stratégiques via un certain nombre de demandes ou d’appels d’offre, ils ne participent en aucune manière à la mise en œuvre concrète des activités des centres et des milieux artistiques. Ils portent une demande politique et institutionnelle, qui peut parfois correspondre à des grands objectifs politiques (développement des territoires, soutien aux régions, autochtonie, etc.) et, par les budgets dégagés, créent un marché. Même dans les stratégies publiques du développement et de l’innovation numérique, les conseils des arts apportent un soutien indirect via des financements ciblés sans pour autant être un donneur d’ordre.

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4.2 Instances de représentation collective et individuelle :