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NAISSANCE ET ÉMANCIPATION DU CONSOMMATEUR MASCULIN Pendant plus de 200 ans, l’acquisition de bien domestique était perçue comme

L’EXPÉRIENCE D’ACHAT D’UN CONSOMMATEUR MASCULIN

3.6. LE CONSOMMATEUR MASCULIN

3.6.1. NAISSANCE ET ÉMANCIPATION DU CONSOMMATEUR MASCULIN Pendant plus de 200 ans, l’acquisition de bien domestique était perçue comme

une activité féminine (Witkowski, 1999; Miller, 1998; Lunt et Livingstone, 1992;

de préserver leur ‘masculinité’ (Bakewell et Mitchell, 2004). Une étude, menée par Oakley en 1976, avait même souligné que certains hommes refusaient d’aller dans certains magasins ou de porter des sacs de courses à cause de leur crainte d’être perçus comme efféminés. Otnes et McGrath ont dressé en 2001 un tableau des valeurs associées à la masculinité dans 23 pays différents (figure IV) et les traits recensés ne comprennent pas le magasinage.

Figure IV : Les traits interculturels associés à la masculinité Source : Otnes et McGrath (2001, p.135)

Appartenant à la sphère privée et familiale, cette activité était ainsi réservée au domaine féminin. En effet, lors de l’apprentissage des genres et de la formation de l’identité personnelle à l’enfance, le magasinage était donc désigné comme une activité revenant aux épouses et aux mères de famille. Lors de l’ouverture des premiers grands magasins au début du 20e siècle la majorité des clients était donc des femmes et ce sont elles qui ont influencé les changements d’image des classes sociales du début du siècle (Nava, 1997). En 1976, David et Brannon écrivent : « un ‘vrai homme’ ne devrait jamais,

jamais ressembler à une femme ou afficher des caractéristiques féminines fortement stéréotypées » (p.45). Ce qu’une femme achetait et la façon dont elle l’agençait étaient des indications de son identité, à l’inverse l’identité propre d’un homme passait par son accomplissement au travail, son statut et sa capacité à ramener de l’argent au foyer (Bocock, 1993).

Le manque d’intérêt des hommes pour le magasinage pouvait s’expliquer d’une part, par le fait que les femmes étaient responsables des achats du quotidien (De Grazia et Furlough, 1996), mais avec les changements et pressions sociales, les rôles et les perceptions entre les genres ont changé par rapport aux générations antérieures (Dholakia, Pedersen et Hikmet, 1995; Dholakia, 1999). Campbell (1997) dénonçait les implications concernant l’association du magasinage à la féminité. En effet, il expliquait que les hommes étaient confrontés au choix suivant : soit ils évitaient de magasiner et ainsi prévenaient toute possibilité d’égratigner leur image masculine, soit ils

s’engageaient et courraient le risque d’être perçus comme efféminés. La première option a longtemps été celle choisie par la majorité des hommes, reléguant ainsi la tâche et même le choix de leur propre vêtement à leurs épouses. En conservant cette perception féminine du magasinage, les hommes se donnaient une raison rationnelle les

empêchant de magasiner sans compromettre leur identité masculine (Campbell, 1997). Cette perception négative en résultant, ils ne pouvaient apprécier l’expérience et en tirer une quelconque source de plaisir.

Historiquement, les hommes ont toujours été le genre dominant dans notre société (Walzer, 2002), mais les femmes ont depuis peu à peu transformé leur statut en revendiquant de participer à des activités typiquement réservées aux hommes. Ces changements ont ainsi peu à peu contribué à modifier les normes concernant les genres (Bakewell, Mitchell et Rothwell, 2006). En effet, les femmes ramènent désormais elles aussi l’argent à la maison, normalisant ainsi l’égalité dans les tâches domestiques. Bakewell et Mitchell (2004) et Dholakia, Pedersen et Hikmet (1995) concluent que les hommes d’aujourd’hui sont plus impliqués dans le magasinage que les générations précédentes. Dans le même ordre d’idée, Konrad et al. (2000) ont remarqué que les

tâches domestiques sont désormais plus fréquemment divisées entre les conjoints. Ainsi, la place des hommes dans le monde du travail, dans leurs relations et dans leur implication au sein de la famille change; de tels changements amènent des

modifications dans leurs approches et leurs comportements face au magasinage.

Par conséquent, avant le développement de l’urbanisation, l’augmentation des femmes dans le monde du travail et la régulation des naissances, les anciennes frontières entre hommes et femmes marginalisaient l’acte de magasinage chez les hommes. Cependant, depuis la normalisation de l’égalité entre les hommes et les femmes, l’arrivée des nouvelles technologies et depuis que certains traits physiques masculins, comme la force physique, ne sont plus liés au succès des hommes, la limite entre les genres s’est assouplie. « Tu es un homme pas seulement parce que tu sais chasser ou te battre, mais parce que tu peux contrôler la nature à travers l’utilisation d’outils et de machines » (Lubar, 1998, p.15). Cette vision de l’homme qui ‘produit’ et la femme qui ‘achète’ est donc désormais dépassée (Sturrock and Pioch, 1998; Dholakia 1999, Bakewell et al., 2006). Le magasinage est devenu une activité acceptable pour les hommes, car il contribue à la poursuite et la définition de leurs identités propres.

Ainsi, dès le début des années 1990 Reekie (1992) a observé qu’il est possible pour un homme d’avoir un comportement de consommateur et de maintenir son identité masculine. Selon une étude de Thompson et Pleck (1987) menée sur des centaines d’hommes, le facteur le plus important en terme de masculinité est le succès et

l’accomplissement. Firat (1993) a par ailleurs remarqué que depuis que le magasinage est devenu un besoin fondamental dans la construction de l’identité dans notre société post-moderne, car il est un signe extérieur de la réussite personnelle, il est devenu acceptable et normal pour un homme de magasiner. En effet, autant les hommes que les femmes tendent à capitaliser leur succès sur des marques élitistes pour

communiquer leur statut et leur réussite personnels. Les hommes, plus particulièrement, apprécient les emballages et autres éléments visuels véhiculant des noms de magasins de prestige (Otnes et McGrath, 2001).

Ce phénomène serait en plein essor depuis 15 à 20 ans, période qui coïncide également avec l’éclatement des ménages. « Avant, les hommes ramenaient l’argent au foyer et s’occupaient des grosses dépenses comme la maison ou la voiture. Ce sont les femmes qui assumaient les dépenses domestiques et qui achetaient les vêtements pour tous les membres de la famille. Avec l’augmentation du nombre de séparations, ils ont étaient forcés de reprendre le pouvoir sur leurs achats » affirme Dominic Tremblay, directeur de l’agence de publicité Tuxedo (Morin, 2013). Parallèlement, Mort (1988) identifie un changement marquant chez les jeunes hommes dès le début des années 1980, ils utilisent des vêtements, accessoires ou se coiffent de manière

esthétique plutôt que fonctionnelle. Une évidence significative indiquant une évolution de la consommation des hommes est l’apparition dans les années 1990 du terme

‘métrosexuel’ (Simpson, 1994). Ces derniers étaient les premiers assez confiants dans leur masculinité pour bouleverser les stéréotypes liés aux rôles traditionnels de chaque sexe. Cependant, aujourd’hui une majorité de baby-boomers restent encore frileux face à la mode, les générations suivantes, ayant grandi dans cette nouvelle réalité et avec une notion d’autonomie dans l’air du temps, adoptent des comportements différents, car le look occupe une place importante pour eux (Morin, 2013).

On comprend ainsi que les limites entre les genres s’estompent depuis une vingtaine d’années, les perceptions sont progressivement en train de changer et les hommes se voient attribuer le ‘droit’ de magasiner et d’apprécier cette activité sans remettre en considération leur masculinité. Ils consomment même de plus en plus de produits traditionnellement réservés aux femmes (Dodson, 2006) et surtout apprécient dorénavant consommer pour eux même. Il reste néanmoins primordial de saisir qu’ils ont des buts et aspirations différents des femmes lorsqu’ils magasinent afin de leur permettre de se sentir à l’aise et d’apprécier l’expérience.

Malheureusement, malgré ces nombreux bouleversements et changements, peu de recherches existent dans la littérature sur la masculinité en relation avec la

consommation. En effet, les femmes sont toujours le centre d’intérêt principal des études sur le sujet et le peu de recherches existantes s’intéresse principalement aux

produits à connotation masculine, comme les voitures, l’outillage ou l’alcool (Belk et Costa, 1998). Il est clair que les hommes réagissent aux changements des genres et des rôles sociaux des dernières décennies, en changeant leur façon de consommer, mais peu de recherches ont été portées sur l’attitude des hommes face à ces

changements (McNeill et Douglas, 2011) et encore moins sur l’impact des facteurs environnementaux sur l’appréciation de l’expérience d’achat de ces nouveaux consommateurs masculins modernes.

3.6.2. LA PERCEPTION DU MAGASINAGE ET LES ATTENTES DE L’HOMME