• Aucun résultat trouvé

Nécessité d’une posture de précaution

cohérence performative dans l’évaluation des indicateurs de

4. Epistémologie d’une cohérence performative des indicateurs de soutenabilité

4.2. Nécessité d’une posture de précaution

Le principe de précaution fait écho à la posture "catastrophiste éclairée" de Dupuy (2002), favorisant le "scénario du pire". Nous pensons que c’est dans le respect de cette posture que les indicateurs de soutenabilité trouveront leur cohérence performative.

Pour Dupuy (2002), le principal obstacle empêchant les acteurs de penser la possibilité d’une catastrophe frappant les conditions de vie future n’est pas tant l’incertitude que le refus

des acteurs de croire à l’occurrence possible d’une catastrophe. Selon nous, contraindre les

acteurs à acter l’incertitude radicale constitue une échappatoire aux impasses actuelles des débats sur la soutenabilité. Une fois la posture de précaution adoptée, l’important n’est plus de

en raison de cette incertitude.

Cette posture est morale en essence. L’incertitude implique la nécessité d’introduire un principe de pensée et d’action en surplomb de l’information imparfaite et des capacités calculatoires limitées des agents: un principe d’ordre moral. La soutenabilité ne peut être exclusivement conçue au travers d’une perspective ancrée dans la psychologie de l’incertain ou dans la rationalité utilitariste. "Il existe une objectivité, une publicité et une universalité de l’éthique que l’économie normative semble impuissante à fonder (…) L’économie normative (…) aboutit à faire de l’éthique une question de goût» (Dupuy 2002: 112).

Pour être opérationnalisée, la posture de précaution devrait donc être conçue en référence à un cadre épistémologique alternatif, dont le post-positivisme pourrait constituer le fondement.

de perspectives légitimes

Les problèmes de cohérence performative synthétisés en section 2 résident

fondamentalement dans le positivisme inhérent à une approche des indicateurs de soutenabilité

inspirée par la théorie néoclassique. En effet, les quatre incohérences soulevées ont en des limites de l’écosystème et de la biosphère, dont l’humanité dans son ensemble est dépendante: concevoir la soutenabilité comme résultante d’un problème d’optimisation intertemporel d’utilité suggère que l’humain contrôle la nature à l’aide de la technologie, par la mise en œuvre de contraintes appropriées; recourir à la croissance pour résoudre les problèmes de pauvreté suppose que l’innovation technologique permette une croissance économique

qui caractérise les conditions de vie futures et des enjeux éthiques et démocratiques que de telles options impliquent pour le devenir des sociétés, une fois appliqués à des indicateurs de soutenabilité.

que la soutenabilité, Funtowicz et Ravetz ont développé le concept de "science post-normale"

(post-normal science (PNS), Funtowicz et Ravetz 1991, 1993a, 1993b). Le concept anglais

de normal science, traduit en français par "science positiviste", fait référence à l’héritage de

Kuhn. L’approche post-positiviste entend explicitement s’élever comme paradigme alternatif au positivisme de la normal science: "The term ‘post-normal’ provides a contrast to two sorts of ‘normality’. One is the picture of research science as ‘normally’ consisting of puzzle solving within the framework of an unquestioned and unquestionable ‘paradigm’, in the theory of Kuhn (1962). Another is the assumption that the policy context is still ‘normal’, in that such routine puzzle solving by experts provides an adequate knowledge base for decision-making. The

great lesson of recent years is that this assumption no longer holds." (Funtowicz et Ravetz,

2008: §15)

Dans une perspective post-positiviste, rien n’assure que les sciences viennent un jour à bout de l’incertitude. Une fois acceptée cette idée, le motif

PNS comme une "conception of the management of complex science-related issues. It focuses

practice: uncertainty, value loading, and a plurality of legitimate perspectives." (Funtowicz and

Ravetz 2008: §1)

La prise en considération explicite de ces trois aspects de la résolution de problèmes, l’incertitude, la dimension axiologique et la pluralité de perspectives légitimes, comporte à nos yeux au moins trois qualités susceptibles de faire de la PNS un cadre épistémologique approprié à l’élaboration d’indicateurs cohérents performativement.

Premièrement, ces trois aspects s’inscrivent dans le sillage de la posture de précaution, dont la principale prescription est d’agir, tout en sachant que l’on ne sait pas. Puisque les choix en situation d’incertitude non-probabilisable sont forgés sur une rationalité limitée, il s’agit de répondre à l’impératif moral de l’action par précaution. Un tel impératif étant potentiellement reconnaitre la pluralité des perspectives légitimes.

Deuxièmement, ces trois aspects de résolution de problème font écho aux enjeux posés par les nouveaux indicateurs au-delà du PIB. D’abord, l’incertitude qui caractérise les impacts recherche d’indicateurs de soutenabilité. Ensuite, la dimension axiologique des indicateurs pluralité

des perspectives légitimes constitue la raison d’être majeure des nombreux mouvements

prônent la démocratisation des procédures d’élaboration des indicateurs, potentiels dispositifs disciplinaires et/ou outils de domination.

Troisièmement, par la reconnaissance des enjeux de valeurs comme partie intégrante de tout processus de recherche, la PNS permet d’introduire pleinement, dans l’analyse des

indicateurs, la de leurs concepteurs. Comme les indicateurs portent intrinsèquement

concepteur: "when a problem is recognised as post-normal, even the routine research exercises take on a new character, for the value-loadings and uncertainties are no longer managed

automatically or unselfconsciously." (Funtowicz and Ravetz 2008: §19, nous soulignons).

d’interprétation et des incohérences rencontrées au cours de nos analyses de l’ENA et de

leur adéquation à un système complexe. Cette adéquation est essentielle dans l’élaboration d’indicateurs susceptibles de participer de cette complexité.

le cadre de référence au sein duquel est pensée la soutenabilité, au-delà d’une perspective utilitariste ou d’une psychologie de l’incertain. Adopter une posture post-positiviste telle que la PNS, comme le requiert à nos yeux la cohérence performative des indicateurs, implique de s’affranchir de l’amoralisme benthamien qui sous-tend l’approche utilitariste de l’économie

dominante6 et selon lequel est bien ce qui procure du bonheur aux individus, est mal ce qui leur

procure du malheur. Dans l’élaboration d’indicateurs, ceci implique de questionner l’évaluation contingente. Inspirée de l’amoralisme utilitariste, l’évaluation contingente consiste à créer

a priori par un marché. Dans cette

perspective, les comportements ne doivent être guidés par aucun principe moral supérieur Dans le sillage de la posture de précaution, l’appel lancé par la PNS à une gestion intelligente de l’incertitude implique de concevoir les indicateurs de soutenabilité au regard d’un principe susceptible de poser ce qui est juste et ce qui ne l’est pas, au-delà des de l’information et des préférences des individus.

qui pourraient, le cas échéant, contraindre les acteurs à agir de telle sorte que leur utilité soit réduite, au nom d’un principe supérieur. Dans le cas de la soutenabilité, un tel principe pourrait être appelé «respect du vivant».