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Questions de recherche

1. Analyse du discours

La genèse théorique du mouvement des initiatives de transition est née à Kinsale

(Irlande), en 2005. Rob Hopkins, alors professeur de permaculture5, engage un plan d’action

de descente énergétique avec ses étudiants, en vue d’explorer les pistes possibles de transition vers un futur plus pauvre en énergie. Ce plan, qui couche sur papier les visions prospectives souhaitables concernant les domaines tels que les transports, l’énergie, l’économie, (…) de la les citoyens et les hommes politiques à l’indépendance énergétique et le manque d’implication de la population locale (Hopkins, 2008).

La même année, Rob Hopkins part à Totnes (Royaume-Uni) où il rédige le livre fondateur du mouvement (2008) et établit la première ville en transition. Depuis, des initiatives de transition sont créées partout dans le monde. Leur discours et leur enthousiasme envahissent et 566 initiatives en cours de démarrage6 dans 34 pays, principalement en Europe et aux

Etats-Unis.

Les éléments qui font le succès du mouvement

Le mouvement s’appuie sur une série d’éléments clés qui garantissent selon nous la pérennité du mouvement à court et moyen termes. En voici l’aperçu (De Muynck, 2011a).

a. Les deux enjeux sur lesquels s’appuie le discours de Rob Hopkins sont pertinents – manière soignée et accessible dans un livre fondateur – et dans de nombreux écrits connexes ultérieurs - qui décrit la théorie et les principes de base mais aussi les outils servant le lancement pratique des initiatives.

b. Il rend accessibles des concepts jusque-là peu utilisés (indicateurs de résilience territoriale, relocalisation, plans prospectifs) hors des milieux académiques et associatifs

7.

5 Le mot «permaculture» – contraction des mots « permanent » et «agriculture» – fut inventé par Bill Mollison et David Holmgren au milieu des années 1970 et désignait à l’origine le projet de créer un ensemble de «systèmes intégrés, évolutifs de plantes et espèces […] utiles à l’homme» (Mollison et Holmgren, 1978) qui s’éloignaient de la monoculture pour créer des écosystèmes multi-étages, pérennes et comestibles. L’ambition s’est ensuite élargie à l’idée d’un système culturel soutenable, qui envisage la culture dans sa globalité (Holmgren, 2002, p. xv). (De Muynck, 2011a).

7 Notamment via les douze étapes de la transition, qui doivent pour bien faire être respectées, mais qui peuvent faire l’objet d’adaptation en fonction des réalités des lieux concernés par l’initiative de transition : parmi ces étapes on trouve :

b. Il promeut une démarche « bottom up ». Désormais, le génie citoyen est valorisé. Ce sont les citoyens qui agissent, qui proposent des solutions, qui décident de l’avenir de leur quartier, de leur ville, de leur village. Cette nouveauté tranche fortement avec le Les idées provenant de la collectivité doivent percoler jusqu’aux organes politiques pour que le changement soit effectif – il encourage donc la création de liens avec les autorités locales (Hopkins, 2008).

c. Rob Hopkins encourage également l’utilisation de méthodes de psychologie du changement destinées à engendrer des réactions collectives positives face aux conséquences effrayantes du changement climatique et de la sortie nécessaire d’un mode de vie complètement dépendant du pétrole. Pour ce faire, il fait appel au Transtheoretical Change Model (TTM) (DiClemente, 2006) qui postule que « le processus de changement par lequel un individu entre et sort d’une addiction est le même que tout processus de changement » (DiClemente, 2006 in : Hopkins, 2008), y compris de comportement. Le TTM vise à enrayer la dissonance cognitive pouvant résulter de la confrontation du mode de vie et du changement sociétal annoncé8.

Ce modèle est utilisé conjointement aux modèles FRAMES9 et de l’entretien motivationnel

(Motivational Interviewing) qui fournissent un cadre et un espace d’expression ayant les mêmes objectifs que le TTM en ce qu’ils faciliteraient la mise en pratique des étapes du changement de comportement (De Muynck, 2011a).

d. Il utilise une série d’outils de facilitation et de techniques d’intelligence collective participant a son mot à dire.

e. Il encourage la rédaction de journaux du futur (transition tales), sorte de méthode Couet britannique, qui permet, selon lui, aux citoyens de tracer les contours d’une société dé carbonisée et résiliente et de renforcer l’émulsion d’idées collectives. Les plans d’actions de descente énergétique s’inscrivent également dans l’idée de coucher sur le papier les visions du futur désiré, bien que ces derniers comportent une dimension plus stratégique et surtout plus opérationnelle. Ces plans sont l’aboutissement des douze étapes de la transition édictées dans le manuel.

f. Le mouvement assume une sorte de « retour vers le futur » en ce qu’il promeut la réhabilitation de manières de faire et de vivre qui étaient d’application quelques décennies auparavant, sans toutefois faire l’apologie du passé.

qui inspire, encourage, relie, soutient et entraîne les collectivités qui sont engagées dans le mouvement (Hopkins, 2008). Le transition Network Ltd assure la structuration du mouvement. schémas à utiliser lors des présentations), organise des évènements, des conférences, des place un forum (Transition forum), diffuse les très nombreux livres du mouvement et gère une radio dédiée à la transition (Transition Radio). L’objectif à terme étant de constituer une

la création d’un groupe (1), le grand lancement (4), la réalisation d’actions visibles et concrètes (7), l’initiation à la grande énergétique (12) (Hopkins, 2008).

8 Des réactions primaires comme le déni, la foi en des solutions irréalistes, la peur qui sclérose, le « survivalisme » seraient de la sorte également évitées (Hopkins, 2008).

9 FRAMES : Feedback (rétroaction des risques personnels de continuer dans cette voie), Responsibility (responsabilisation de tous dans le problème actuel), Advice (conseils avisés en vue du changement), Menu of options (renforcement de la capacité de chacun à atteindre l’objectif poursuivi) (Hopkins, 2008).

mouvement.

La comparaison des discours décroissants et de la transition

Le discours de la transition peut être comparé à celui du mouvement de la décroissance (De Muynck, 2011b).

Si la décroissance s’est imposée en France comme l’étendard derrière lequel émergent les critiques radicales du système actuel et au nom de laquelle sont théorisées les alternatives et les nouveaux possibles, c’est le concept de transition qui domine le mouvement écologiste citoyen dans le monde anglo-saxon (De Muynck, 2011b).

Selon Harribey (s.d.), les sources de la décroissance sont nombreuses. On y retrouve notamment la critique de l’économie conventionnelle et les acquis du Rapport Meadows et al. (1972), le contenu de la pensée radicale de l’écologie politique des décennies 1970 et 1980 (André Gorz, Ivan Illich, Cornelius Castoriadis)10 ainsi que les écrits de Nicolas Georgescu-

Roegen, qui avançait que les activités et le développement économiques s’inscrivent dans un univers physique soumis à la loi de l’entropie (dégradation de l’énergie), ce qui rend leur

Les sources du discours de la Transition se trouvent dans la permaculture. Les soubassements théoriques de ce concept sont les crises et les impacts environnementaux de la société industrielle ainsi que la déplétion du pétrole qui amènerait l’humain à vivre selon un mode de vie préindustriel dépendant uniquement des ressources naturelles et des énergies renouvelables. La permaculture imagine la conception d’une société post-pétrolière au moyen d’un cadre philosophique bien établi (De Muynck, 2011b).

Il est aisé de constater des analogies entre les discours du mouvement des initiatives de transition et la pensée décroissante.

En 2006, Serge Latouche écrivait que le mouvement des initiatives de transition était « peut-être la forme de construction par le bas qui se rapproche le plus d’une société décroissante » (Latouche, 2006). Rob Hopkins lui-même a été inspiré par Ivan Illich, maître- à-penser de ce qui allait devenir la décroissance.

Les analogies s’observent au niveau des critiques portées à l’encontre du fonctionnement des sociétés développées. Citons la démesure des modes de vie occidentaux ainsi que des pays ayant assis leur fonctionnement sur le pétrole bon marché ; la nécessité de diminuer nettement les consommations d’énergie ; l’hyper dépendance au pétrole bon marché des sociétés développées et la nécessité de lier le double enjeu du pic pétrolier et du changement climatique ; la critique du paravent technologique et techniciste ; le stress lié au travail à la fois non épanouissant et dicté par le management productiviste ; l’omniprésence de l’économisme ; le libre-échange mondialisé au détriment de la production locale et nationale ; la détérioration des villes et la faible emprise politique des citoyens.

De nombreuses similitudes peuvent être soulignées dans les propositions.

Rob Hopkins estime qu’il est pertinent de s’inspirer de ce que Mike Davis (2008) a appelé « l’écologie en temps de guerre ». Durant cette période, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne notamment, de nombreuses décisions politiques (top down) ont été prises en faveur de la relocalisation de l’agriculture (GASAP, AMAP), de l’écologie urbaine, de la diminution de la consommation et de la préservation des ressources issues du pétrole - ces ressources étant

10 »

du capitalisme (Harribey, s.d.), Jacques Ellul et Bernard Charbonneau ont critiqué le système technicien et industriel tandis qu’Ivan Illich a dénoncé (notamment) la contre-productivité des institutions modernes qui, lorsqu’elles ont dépassé un seuil critique (une situation de monopole), deviennent l’obstacle de leur intention première (De Muynck, 2011b).

destinées prioritairement à l’armée et à la promotion des transports alternatifs (Wilt, 2001; Simms, 2005; Gardiner, 2005 ; Davis, 2008). Ces valeurs de préservation, de récupération, de reconversion, de rationnement sont très comparables à cinq des « huit R » que Serge Latouche (2006) utilise comme formule résumant les idées décroissantes: « réévaluer, re conceptualiser, restructurer, redistribuer, relocaliser, réduire, réutiliser, recycler ». « La décroissance fait du neuf avec du vieux » (Ariès, 2007). En outre, Serge Latouche (2006) cite les années 1960-1970 comme étalon en termes d’empreinte écologique. Les deux mouvements promeuvent la relocalisation et les nouvelles formes d’habiter (co-habitat, Community Land Trust), de se déplacer (promotion des vélos, des voitures partagées,…), de penser les rapports l’enseignement tel qu’il est dispensé ainsi que de redonner aux collectivités locales un pouvoir de décision plus important. La permaculture, paradigme du mouvement des villes en transition est peut-être d’ailleurs le nouveau paradigme que réclament les décroissants.

Certaines divergences apparaissent toutefois.

Le postulat de départ des décroissants est celui de « la perte de sens des limites rendue possible et nécessaire par/pour le passage du capitalisme à l’hyper capitalisme » (Ariès, 2007). Le constat liminaire à la pensée de Rob Hopkins est davantage celui de l’imminence de l’épuisement des ressources et du changement climatique. De plus, une divergence claire apparaît entre le discours altermondialiste et anticapitaliste des décroissants et le discours écologiste neutre des « transitionneurs » (Semal, 2010).

La radicalité du discours décroissant tranche avec le caractère tantôt radical, tantôt consensuel du mouvement des initiatives de transition (Semal, 2010b). La critique de la de Rob Hopkins. Sans doute pour éviter une question politique brûlante et un débat théorique la question ne se pose pas de cette manière : « le mouvement [des initiatives de transition] : sa position serait plutôt de dire que la question ne se pose en ces termes, mais qu’en revanche, il serait intéressant d’envisager » (Semal et Szuba, 2010a). Reste que le souci d’action, de positivité du discours et d’inclusion d’un maximum d’acteurs sociétaux est crucial pour Rob Hopkins.

La question de la politisation du mouvement est également intéressante et ne pas fait l’unanimité, même au sein du mouvement décroissant. Paul Ariès (2007) pense que ces « (…) expérimentations collectives où s’inventent le monde décroissant doivent être articulées à la construction d’un mouvement politique ». Sans cela, elles ne représenteront que « des robinsonnades » qui non seulement « ne changeront rien aux rapports de forces » mais seront « récupérées par les logiques dominantes ». En France, le Parti pour la décroissance a été créé en 2006. En Belgique, le parti Vélorution a été fondé en 2007 et le mouvement politique des objecteurs de croissance a vu le jour en 2009.

Serge Latouche estime que la création de ces partis est prématurée et que les conditions d’expansion d’une société décroissante ne sont pas réunies (2006). Quant à Rob Hopkins, il pense que les douze étapes de la transition, dont l’une promeut la création de liens avec les politique. L’absence de radicalité et de confrontation constitue selon lui un des atouts de son approche.

Par ailleurs, les décroissants théorisent la critique du système en place de façon holistique en pointant des aspects sociaux autant qu’économiques, environnementaux ou même existentiels. Ils avancent la nécessité d’utiliser des indicateurs alternatifs, fustigent la société du travail, visent à renchérir le mésusage (Ariès, 2007), à internaliser les coûts de transports,

à instaurer le revenu maximum autorisé, à abolir l’obsolescence programmée des produits etc. Ainsi, la critique théorique décroissante semble plus complète et plus aboutie que celle du mouvement des initiatives de transition. Toutefois, le mouvement de la décroissance est

également critiqué (Di Méo, 2006 ; Harribey, 2007 ; Zaccaï, 2011)11.