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La nébulosité de la position française : de la nécessité de distinguer entre l’open data et l’accès aux décisions de justice

L’électronique, un facteur de bouleversement dans l’équilibre entre le droit à la vie privée et le principe de transparence de la justice

Section 1. La mise en balance entre le principe de transparence de la justice et le droit à la vie privée des individus : la recherche d’un équilibre

B. La nébulosité de la position française : de la nécessité de distinguer entre l’open data et l’accès aux décisions de justice

La confusion - tant de la part des acteurs privés que publics - a été entretenue par les avis de la Commission d’accès aux documents administratifs (1), relevant un certain malaise pour l’application de l’open data des décisions judiciaires en France. Cela a conduit certains auteurs spécialistes de la question ainsi que les magistrats ayant rendu la dernière décision de la Cour d’appel concernant l’affaire Doctrine à revendiquer une distinction affirmée entre open data et accès aux décisions de justice (2).

1. Une confusion entretenue par les avis de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA)

Avant l’éclatement de l’affaire Doctrine.fr de manière publique, la CADA avait rendu en 2017 un avis131 lorsque le Président du TGI avait refusé de fournir les

décisions de justice à cet éditeur de bases de données. Elle en profite pour rappeler sa compétence à autoriser la réutilisation d’informations publiques :

131 CADA (Commission d’accès aux documents administratifs), avis 20171247, Tribunal de Grande

« En vertu de l’article L. 342-1 du code des relations entre le public et l’administration, la Commission rappelle qu’elle est compétente pour connaître d’une décision défavorable en matière de réutilisation d’informations publiques »132

La CADA donne raison à Doctrine.fr, en vertu des articles 20 et 21 de la Loi pour

une République numérique :

« La Commission émet donc un avis favorable à la réutilisation des minutes civiles sollicitées, dans le respect des règles fixées par les chapitres II à IV du titre II du livre III du code des relations entre le public et l'administration et, en particulier, des règles relatives à la réutilisation des données à caractère personnel »133.

Quelques mois plus tard, dans une séance de décembre 2017 concernant la Direction générale des patrimoines, la CADA rend un avis134 allant dans le même sens

que le précédent : elle se déclare favorable à ce que l’éditeur obtienne l’ensemble des jugements des 3e et 4e chambres civiles du TGI de Paris de 2016, sous format

numérique et papier.

Dans l’avis relatif à l’affaire Doctrine.fr, la CADA s’est opposée clairement à la Garde des sceaux, alors même que cette dernière avait produit des conclusions conduisant à ce que la Commission se déclare incompétente pour se prononcer sur la question. La recommandation de la CADA est en totale contradiction avec la Ministre de la Justice, mais également avec les magistrats de la Cour d’appel de Paris qui rendront, quelques temps plus tard, la décision du 23 juin 2019135.

La solution au litige ne semble pas évidente, surtout lorsque l’on sait, comme nous l’avons vu plus haut, que la Cour d’appel de Paris en décembre 2018 avait donné raison à l’éditeur de Doctrine.fr pour sa demande au TGI de lui communiquer l’intégralité du répertoire des affaires civiles, disponibles au format numérique sur le logiciel interne du TGI, ou au format papier136.

132 Ibid. 133 Ibid.

134 CADA, avis 20174865, Direction générale des patrimoines, séance du 14/12/2017, en ligne :

<https://www.cada.fr/20174865>.

135 Supra note 128. 136 Supra note 124.

Quelques semaines plus tard, c’est au tour de la Cour d’appel de Douai de statuer dans le même esprit137 : le directeur des services des greffe de cette Cour refuse la

délivrance d’une copie d’un arrêt, le demandeur forma alors une requête auprès du premier président pour se faire accorder la délivrance de cette copie de décision. Le magistrat, statuant à titre gracieux, a accepté cette requête, et a donc enjoint au directeur des services du greffe de communiquer l’arrêt demandé.

Cependant, cette décision de la Cour de Douai se différencie de façon significative sur un point important : celle de la quantité des décisions faisant l’objet de la demande de copies et de leur réutilisation. En effet, après l’affaire Doctrine.fr, le ministère de la Justice émet une circulaire138 qui conditionne la diffusion de la jurisprudence à une

analyse d’impact du risque de réidentification des personnes. Cela rend presque impossible la diffusion de masse de ladite jurisprudence, et l’on peut remarquer que cela restreint énormément l’esprit de l’open data de la Loi Lemaire.

2. De la distinction entre l’open data et l’accès aux décisions de justice

L’apport majeur de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 25 juin 2019 réaffirme une distinction pertinente majeure entre deux notions parfois faisant l’objet de confusion : d’un côté, la mise à disposition à titre gratuit sous forme électronique, et, de l’autre, l’accès à une copie d’une décision de justice par un tiers. Cette analyse peut cette fois-ci être conduite à la lecture de la Loi de programmation 2018-2022 de réforme pour la

justice139. La Cour d’appel de Douai, avant la Cour d’appel de Paris, avait mis en

exergue la distinction opérée permettant d’aboutir à la décision de délivrer la copie demandée : « (…) s’agissant d’une demande isolée, il n’existe pas de raison juridique permettant de s’opposer à la communication de la décision sollicitée (…) »140. Elle

avait, en effet, pu profiter des éclaircissements de la circulaire du Ministère de la justice.

137 Cour d'appel de Douai, 21 janvier 2019, 18/06657, en ligne :

<https://www.doctrine.fr/d/CA/Douai/2019/UBE8FAB2BDFC7044E857F>.

138 Note du 19 décembre 2018 relative à la communication de décisions judiciaires et civiles et pénales

aux tiers à l’instance, N°NOR : JUSB1833465N, 31 décembre 2018, en ligne : < http://www.justice.gouv.fr/bo/2018/20181231/JUSB1833465N.pdf>

139 Bertrand Cassar, « La distinction entre l’open data et l’accès aux décisions de justice », Dalloz Actualités, 19 juillet 2019, en ligne : <https://www.dalloz-actualite.fr/flash/distinction-entre-l-open-data-

et-l-acces-aux-decisions-de-justice#.XxApwpMzbOQ>.

140 Cour d'appel de Douai, 21 janvier 2019, 18/06657, en ligne :

Les magistrats, de manière implicite, viennent donc rappeler la différence entre la

diffusion et l’accès à une copie d’une décision de justice, c’est-à-dire entre la

publication et la publicité. Si la demande provient d’une personne à part, qu’elle demande l’accès à une décision en particulier et qu’elle peut, de surcroît, identifier, alors cela entre dans le cadre de la publicité, principe de droit positif constant.

L’on voit que la technique de l’open data est confrontée à la question de la publicité, et que les réponses ne sont pas univoques, et varient d’un extrême à l’autre selon les différents acteurs et leurs différents intérêts.