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Conséquences des données sensibles sur le droit à la vie privée

Des solutions particulières pour la protection des renseignements personnels contenus dans les données judiciaires

Section 2. Le droit à l’oubl

B. La qualification de données sensibles au soutien d’une protection accrue

1. Conséquences des données sensibles sur le droit à la vie privée

Les données à caractère personnel dites « sensibles » sont nombreuses dans les documents judiciaires, cela ne fait plus l’objet d’une démonstration supplémentaire. Mais pourtant, la catégorie « donnée sensible » n’est pas forcément consacrée dans les textes de loi.

Le RGPD et la LPRPDE définissent similairement ce qu’est respectivement une donnée à caractère personnel et un renseignement personnel, à travers la notion d’identification.

200 Supra note 39. 201 Ibid.

En France, les données à caractère personnel sensibles sont considérées comme des « informations qui peuvent avoir des incidences particulières critiques sur la vie privée d’une personne si elles étaient révélées »202, et on considère que les décisions de justice

peuvent contenir ces données sensibles. C’est bien pour cela que la pseudonymisation est appliquée avant la diffusion de ces documents. Mais nous avons déjà démontré que malgré cette technique, les informations délicates contenues dans les documents judiciaires ne sont pas forcément efficacement protégées. La solution peut encore se trouver ailleurs.

À la différence du Canada, le RGPD prévoit un statut particulier pour certaines données à caractère personnel, qui sont en fait considérées comme des données sensibles. Ainsi, l’article 9 se nomme « Traitement portant sur des catégories particulières de données à caractère personnel » et son premier alinéa dispose que :

« Le traitement des données à caractère personnel qui révèle l'origine raciale ou ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l'appartenance syndicale, ainsi que le traitement des données génétiques, des données biométriques aux fins d'identifier une personne physique de manière unique, des données concernant la santé ou des données concernant la vie sexuelle ou l'orientation sexuelle d'une personne physique sont interdits » (soulignement rajouté).

Comme l’interprète et l’explique la CNIL, les données particulières énumérées dans l’article 9 constituent des données sensibles, et elles bénéficient alors d’une protection supplémentaire : par principe, le traitement est tout simplement interdit sur ce type de données.

L’exception à cette interdiction est prévue à l’alinéa 2 de l’article 9, que la CNIL synthétise de la manière suivante :

« Il est interdit de recueillir et d'utiliser ces données. Sauf dans certains cas précis et notamment :

Si la personne concernée a donné son consentement exprès (écrit, clair et explicite) ;

Si ces données sont nécessaires dans un but médical ou pour la recherche dans le domaine de la santé ;

Si leur utilisation est justifiée par l'intérêt public et autorisé par la CNIL ;

202 Données et RGPD, « RGPD: Qu’est-ce qu’une donnée sensible? », 19 septembre 2019, en ligne :

Si elles concernent les membres ou adhérents d'une association ou d'une organisation politique, religieuse, philosophique, politique ou syndicale »203

(soulignement rajouté).

Le consentement exprès de la personne concernée par le traitement des données pourra constituer une exception à l’interdiction prévue dans le premier alinéa. Mais les problématiques liées au consentement sont nombreuses…

De plus, au Canada, le consentement peut parfois être seulement implicite. En effet, le troisième principe de l’annexe 1 de la LPRPDE prévoit au point 4.3.6 que :

« En général, l’organisation devrait chercher à obtenir un consentement explicite si les renseignements sont susceptibles d’être considérés comme sensibles. Lorsque les renseignements sont moins sensibles, un consentement implicite serait normalement jugé suffisant. Le consentement peut également être donné par un représentant autorisé (détenteur d’une procuration, tuteur)204.

Pourtant, « moins sensibles » ne signifie pas « non sensibles ». Malgré cela, le consentement peut être donné de manière implicite seulement, alors même que l’on n’exclut pas que les renseignements traités en question recouvrent une certaine sensibilité.

Cependant, dans le projet de Loi n°64 québécois, l’article 13 dispose que : « Nul ne peut communiquer à un tiers les renseignements personnels qu’il détient sur autrui, à moins que la personne concernée n’y consente ou que la présente loi ne le prévoie.

Le consentement doit être manifesté de façon expresse dès qu’il s’agit d’un renseignement personnel sensible »205 (soulignement rajouté).

Ce nouveau texte, bien qu’il soit encore au stade de projet, se rapproche de l’esprit du RGPD : le consentement est renforcé, il doit maintenant être exprès lorsque le renseignement personnel est considéré comme étant sensible. Le consentement implicite continuera d’être acceptable dans certaines situations, mais qui n’impliquent plus des renseignements sensibles.

203 CNIL, « les données sensibles, c’est quoi ? », en ligne : < https://www.cnil.fr/fr/cnil-

direct/question/une-donnee-sensible-cest-quoi>.

204 Supra note 86, Annexe 1, Troisième principe, 4.3.6, en ligne : <http://canlii.ca/t/6c2fl>.

205 Supra note 191, article 13 du projet de Loi, en ligne : <http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-

Au Québec, on considère que des informations personnelles peuvent revêtir un intérêt public, incluant celles contenues dans les décisions de justice. La mise en place de la diffusion sur internet des données judiciaires n’a pas semblé soulevé de problèmes particuliers aux yeux du législateur actuel. Concernant plus spécifiquement les moteurs de recherche, le professeur Trudel considère qu’il est « difficile de justifier, au nom de la vie privée, les mesures relatives à certaines informations dont la circulation est inhérente à la vie sociale » et que pour lui, l’inquiétude est légitime quand un « simple inconfort ressenti par une personne à l’égard d’une information licitement dans l’espace public déclenche un processus qui contraint toute personne qui souhaite le maintien en ligne de cette information à devoir défendre le droit de la rechercher »206. Il reconnaît

cependant que la disparition des efforts à consacrer pour trouver l’information emporte « la disparition d’une protection par défaut pour la vie privée ».

Finalement, le raisonnement qui permet de déterminer si on se trouve dans le domaine de la vie privée ou dans le domaine de l’espace public peut être remis en question ce qui nous amène à la question suivante : peut-on considérer la vie privée comme un bien public ?