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CHAPITRE I : RECENSION D’ÉCRITS

CHAPITRE 3 : ANALYSE DES RÉSULTATS

3.2 Les motivations justifiant les pratiques sexuelles rémunérées

3.2.1 Des motivations extrinsèques

3.2.1.1 L’argent

L’argent constitue la principale motivation justifiant les pratiques sexuelles rémunérées auxquelles les participantes à l’étude se livrent. Nous retrouvons cet élément dans le récit de chacune d’elles. Son importance ne saurait donc être négligée. Le besoin d’argent constitue un facteur ayant influencé à la fois l’initiation des femmes aux pratiques sexuelles rémunérées, leur maintien dans cet univers, et leur retour après un arrêt. Sans cet aspect financier, il serait intéressant de voir si les femmes choisiraient tout de même d’exercer ces pratiques, simplement par passion et intérêt.

On a aussi pu constater, en considérant la trajectoire des femmes rencontrées, que l’argent est étroitement lié à d’autres éléments motivant leurs pratiques sexuelles rémunérées, soit principalement la consommation de substances psychoactives. Il devient dès lors difficile de considérer l’argent sans tenir compte de son interrelation avec d’autres éléments.

En fait, le récit des femmes nous apprend que l’argent sert à différentes fins pour elles, qu’il s’agisse de répondre à leurs besoins de base, comme dans le cas de Diane qui confie que lorsqu’elle s’est retrouvée à la rue, suite à la rupture avec son conjoint, sans aucune éducation ni expérience de travail, elle a rencontré des gens qui lui ont fait connaître ce moyen lui permettant d’assurer ses besoins de subsistance de base :

Premièrement, quand je suis partie, j’étais dans la rue et j’ai rencontré certaines personnes qui m’ont amenée à ça. /…/ Pour moi, ça pas été un travail, ça été de la survie, c’est ça la différence. Je suis partie, j’avais rien et y a fallu que je me démerde et c’est ce chemin-là que ça m’a amenée. (Diane)

L’argent permet aussi à plusieurs femmes de soutenir une dépendance aux substances psychoactives, comme nous le verrons en détail plus loin, ou d’arrondir les fins de mois et se payer du luxe, comme pour Marie-Anne et Jade :

C’était une manière d’avoir de l’argent sûr, et si j’avais des difficultés financières assez importantes, je savais que, rapidement, je pouvais me faire des gros montants, mais sans être trop exposée. (Marie-Anne)

Je travaillais entre mes cours et je travaillais vraiment intense, pis j’avais envie de travailler comme elle (parlant d’une fille dans son baccalauréat), elle a l’air « d’enjoyer » la vie, faire ben de l’argent pis pas travailler beaucoup d’heures. Elle travaillait genre deux soirs par semaine. J’ai décidé que j’allais chercher une job payante. J’avais vraiment besoin de « cash ». Je venais de déménager et j’avais plein de trucs à payer. /…/ C’est toujours un moyen vers lequel je retourne, c’est payant. C’est toujours une solution parfaite pour moi, genre au lieu d’économiser, je me dis : « boff, je vais aller faire ça pis je vais me payer ce que je veux ». (Jade)

Emilie aussi montre clairement son appréciation de cette possibilité :

C’est sûr, c’étaient des belles conditions. Des fois, le monsieur appelait pour une escorte pour se rendre au motel, t’arrivais et c’était une belle suite avec bain-tourbillon avec champagne… C’était des affaires que je ne m’aurais jamais payées, c’était comme « wow » ! Quand il me parlait de l’Ouest canadien, il me disait :« tu vas voir les magasins là-bas, les marques de fou, on va être dans un hôtel de luxe, la piscine, le gym pis toute ! Tu vas capoter ! C’est un méchant beau voyage ! » Si moé j’fais ça demain matin, ça me coûte cher

cher ! Là, j’ai ça gratuit, ça te donne le goût en maudit. /…/ Hey ! Tu te prends pour une princesse là, pourrie gâtée !

L’enthousiasme d’Amy, qui y voit aussi de bons côtés, est pour sa part plus réservé. Elle mentionne la contrepartie négative qui peut s’y associer :

Quand j’ai eu 18 ans, j’ai commencé à voyager. Ça m’a amenée à voyager… euh… c’est à peu près le seul moment où j’ai voyagé de toute façon. C’est ce qui m’a permis de voyager à l’intérieur du Canada, sinon j’ai jamais voyagé. Mais y’a eu plein de conséquences… (petit

rire)… En tout cas des grosses conséquences.

Ainsi, toutes les femmes de l’échantillon ont souligné à quelques reprises, avec plus ou moins d’emphase, que l’argent constituerait le principal avantage lié aux pratiques sexuelles rémunérées. Tellement, qu’il paraît sembler difficile à plusieurs d’entre elles de cesser de façon définitive, sans laisser la porte ouverte à un retour en cas de besoins liés au manque d’argent, comme en témoignent Diane et Anne :

avoir de l’argent, à consommer beaucoup et à faire une vie avec beaucoup de matériel. Je suis une fille qui a eu beaucoup d’argent. J’ai toujours fait de l’argent à planche, pour avoir tout ce que je voulais. /…/ Ça m’a aidée à consommer et à ne pas me priver de rien. (Diane) J’ai essayé autre chose, comme vendre des fleurs dans les bars. Mais, c’est pas aussi payant. (Anne)

Dans le même ordre d’idée, Amy comme Emilie expliquent comment l’argent tiré des pratiques sexuelles rémunérées motive l’intérêt d’y avoir recours quand le besoin s’en fait sentir :

À certaines périodes, je pratiquais pu ça, mais ça arrivait une fois ou deux où j’avais des gros manques d’argent, je me donnais la possibilité… En tout cas, c’est de cette façon-là que je gagnais de l’argent facilement, c’est bien évident, c’est trop facile ! (Amy)

J’étais comme dans le « beat » là, j’avais peut-être fait mille piastres en trois jours ! J’avais le goût de continuer moé là ! /…/ peut-être qu’un moment donné je vais manquer un peu d’argent, je vais aller là ! (Emilie)

Enfin, dans le cas d’Anne, l’argent qu’elle reçoit pour les services sexuels qu’elle rend paraît avoir un impact positif sur son estime d’elle-même puisqu’elle l’associe à une valeur qui lui est accordée :

L’argent domine tout. /…/ C’est comme si l’argent m’accorde une valeur. Il me paye !

3.2.1.2 Une dépendance à l’alcool, aux drogues ou au jeu

Les dépendances, principalement liées à l’alcool et aux drogues, parfois au jeu, ont pris beaucoup de place dans le vécu de plusieurs participantes et, par le fait même, dans leur récit. Comme nous le verrons pour certaines, la dépendance était présente avant l’initiation aux pratiques sexuelles rémunérées et elle a fortement incité ces femmes à se tourner vers cette occasion de faire de l’argent, alors que, pour d’autres, la dépendance est apparue après que les pratiques sexuelles aient débuté. Souvent, on voit se dessiner un cercle vicieux de l’un à l’autre; l’argent devient alors un facteur déterminant du maintien des pratiques. Emilie et Jade sont les seules femmes de l’échantillon qui soutiennent n’avoir pas consommé durant le temps qu’a duré leurs pratiques. À l’inverse, Sara avoue qu’elle était continuellement sous l’effet des drogues dans sa vie, notamment lorsqu’elles se livraient à des activités sexuelles contre rémunération, un état qui lui coûtait cher, de plusieurs façons :

J’étais toujours gelée quand je faisais ça. Après ça, je dormais pu. J’ai déjà passé treize jours sans dormir ! / …/ L’argent vite faite c’est un avantage, mais ça part aussi vite par exemple. Je pouvais pas rester à jeun, faque ça coûtait cher. (Sara)

Il en est de même pour Anne, pour qui la consommation était déjà présente avant qu’elle commence à se livrer à des activités sexuelles rémunérées et s’est maintenue, même accentuée par la suite :

J’ai fait une overdose après mon premier client. /…/ La drogue a pris beaucoup d’importance après, même si j’en avais déjà fait beaucoup avant /…/ J’ai fait une deuxième overdose. Je consommais beaucoup de drogues pis beaucoup de boisson aussi. /…/ J’étais cocaïnomane et j’ai fait trois overdoses en tout. /…/ Ensuite, je suis passée à la seringue. Ça été le déclin. Dans les ruelles pis toutes…

Amy, quant à elle, décrit l’influence que ses pratiques ont eue sur l’augmentation de ses dépenses en drogues, illustrant du même coup, l’installation du cercle vicieux mentionné plus tôt :

C’est bien évident que ça m’a développé une dépendance à la drogue pis tout ça, veut veut pas… Parce que moi, j’ai jamais été capable de faire ça « straight », ça c’est sûr. /…/ Parce qu’on dépense beaucoup d’argent, c’est de l’argent gagné facilement. Mais quand t’es obligée de consommer, ça fini que l’argent y passe là !

Dans le cas de Marie-Anne, le contexte préexistant est celui du jeu. Pour elle, l’argent gagné par les pratiques sexuelles est devenu nécessaire pour continuer à jouer. À nouveau, un cercle vicieux se dessine, où cette fois le jeu et les pratiques s’entremêlent :

La première fois que j’en ai fait, j’ai fait un client, je me suis sauvée parce qu’en fait je n’étais pas à l’aise et c’était pour mieux retourner jouer après. /…/ Au départ, les problèmes de jeu n’étaient pas de gros montants comme ça été par la suite. Je me suis retrouvée à pas avoir le choix de faire de l’escorte pour me sortir de… ben enfin de ne pas trouver autre chose. /…/ Des fois c’était aussi sur le coup, parce que j’avais un période de jeu compulsif. Une soirée, je perdais six cents piastres, donc en revenant de ma soirée ou le lendemain, j’en faisais

(des clients). /…/ Si c’était pas de l’agence, j’appelais quelqu’un que je connaissais et je lui

demandais : « Ça te tentes-tu qu’on se voit pis on s’arrangeait quelque chose pour avoir une rentrée d’argent qui pouvait compenser ma dérape. /…/ Je consommais du speed ou de la cocaïne, donc j’avais beaucoup de difficultés financières, ce qui me convainquait, et ensuite j’essayais de ne pas y repenser tout simplement.

L’aspect de la dépendance, que ce soit à l’alcool, aux drogues ou au jeu, contribue de différentes façons à la compréhension du phénomène à l’étude. La section sur les facteurs de risque menant à la pratique d’activités sexuelles rémunérées, que nous verrons ultérieurement, permettra d’en avoir une compréhension plus précise.