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CHAPITRE I : RECENSION D’ÉCRITS

CHAPITRE 3 : ANALYSE DES RÉSULTATS

3.3 Des facteurs menant à la pratique et perpétuant la pratique d’activités

3.3.1 Des facteurs familiaux

3.3.1.3 Abus de pouvoir, négligence, abandon, abus émotionnels,

Différentes formes d’abus de pouvoir, de négligence, d’abandon, des abus émotionnels et psychologiques qui s’insèrent dans la relation mère-fille et père-fille ressortent comme un élément omniprésent dans la vie de la plupart des participantes. Il paraît évident, à la lecture des récits recueillis, qu’une majorité des participantes à l’étude ont vécu une forme ou l’autre des abus mentionnés, parfois en plus d’agressions sexuelles et physiques, comme nous le verrons. Les impacts de ces abus paraissent tout aussi évidents que pour la violence subie.

3.3.1.3.1 Relation avec la mère

Pour plusieurs participantes, la relation avec la mère apparaît comme étant dysfonctionnelle et dans plusieurs récits, on sent le ressentiment qui s’est installé. Certaines, comme Sara, font directement un lien entre la situation dénoncée et leurs parcours vers la pratique d’activités sexuelles rémunérées :

À cinq ans, ma mère me traitait de salope, me disait que je ferais jamais rien de bon dans la vie, faque, j’y ai cru. Chu devenue danseuse en me disant que : « anyway, j’étais jusse bonne à ça », c’est ce que ma mère me disait. /…/ Pis ma mère était hystérique. Elle savait que je me faisais agresser quand j’étais petite. Elle savait. Je lui ai posé la question plus tard, pis à m’a répondu qu’à savait.

Anne, pour sa part, en mentionnant les circonstances dramatiques du décès de sa mère, évoque brièvement dans la foulée la façon dont elle traitait ses enfants, sans toutefois, dans son cas, faire directement un lien avec son parcours conduisant aux pratiques sexuelles rémunérées :

Ma mère s’est tuée quand j’avais 13 ans. /…/ Ma mère traitait ses enfants de salope.

Emilie souligne de son côté la négligence de sa mère en laissant entendre qu’elle n’a pas su répondre adéquatement à ses besoins. Mais encore là, aucun lien n’est fait avec les pratiques prostitutionnelles qui ont suivi :

Mes grands-parents, c’est comme mes parents. /…/ Ma mère a s’est jamais occupé de moi. C’était tout le temps ma sœur la plus vieille qui s’occupait de moi, pis ma sœur plus vieille avait elles aussi des enfants à s’occuper, dont moi, pis y’avait personne pour m’aider dans mes devoirs ou à l’école. Ma mère a s’en foutait, elle était tout le temps partie ! Ma sœur a s’occupait tout le temps de nous, elle faisait le ménage pis toute. Ma mère fuckée, elle avait six enfants avec cinq pères différents, sur le B.S., a s’est tout le temps arrangée pour avoir trois pensions, trois allocations.

Marie-Anne aussi mentionne la négligence qu’elle a ressentie de la part de sa mère au plan émotionnel et le sentiment d’abandon que cela lui a fait vivre, plus spécialement suite à un abus sexuel qu’elle a subi et que sa mère lui a demandé de taire. L’état dépressif de sa mère est clairement associé par Marie-Anne à la situation décrite. Elle laisse entendre que cette situation a pu influencer sa trajectoire, d’abord vers des activités délictuelles, ensuite vers la pratique d’activités sexuelles rémunérées :

Ma mère était négligente, était cheffe de famille monoparentale. /…/ Quand j’ai été abusée, ma mère était en dépression majeure. /…/ Quand elle a su pour mon abus, elle a été quelques semaines sans manger et sans dormir. /…/ Elle ne voulait pas que je le dise à mon père. /…/ J’ai vécu un traumatisme à ce niveau-là parce que ma mère était en dépression, il y avait peu d’aide psychologique. /…/ Je sentais qu’elle était plus victime que moi là-dedans. Je ne pouvais pas en parler à mon père, donc j’étais porteuse d’un secret. /…/ J’étais vraiment toute seule là-dedans et j’étais déjà une enfant très réservée, dépressive. /…/ J’ai finalement sorti ça en délinquance en commençant à consommer en 5e année. /…/ Donc,

c’est pas de la violence vraiment (qui a influencé son parcours), mais je considère ça comme une forme de négligence et des traumatismes qui n’ont pas été réglés. /…/ C’est sûr, quand je parle de mon enfance, il y a des liens à faire importants, /…/ qui expliquent peut-être un peu de mon expérience que j’ai vécue par la suite. /…/ les chemins que j’ai pu prendre par après. (Elle pleure)

Du côté de Jade, c’est plutôt une forme d’envahissement de la part de sa mère dépendante à son égard suivi d’une forme d’abandon qu’elle lui a fait vivre suite à l’entrée en scène d’un nouveau conjoint qui paraît faire naître l’enchaînement des événements la conduisant vers la banalisation d’une sexualité impliquant plusieurs partenaires :

que je sois avec elle, et à partir du moment où elle a rencontré mon beau-père…euh… a me mettait dehors genre, elle me disait : « va au cinéma ce soir », elle me laissait pas rentrer dans la maison parce qu’elle fourrait mon beau-père. Elle me laissait dehors, chez nous, dans la rue. Pis elle était comme « full » en amour. Chu devenue comme de la moindre importance pour elle. J’ai commencé à « chatter » sur internet avec des gars plus vieux, aller les rejoindre au parc, aller « frencher ». C’est là, que j’ai eu mon premier chum, c’est là que j’ai couché avec un gars pour la première fois, et après avoir couché avec un gars, j’ai couché avec d’autres gars, pis une fois que je l’avais faite c’était comme : « c’pas grave » ! 3.3.1.3.2 Relation avec le père

La relation avec le père que décrivent les participantes à notre étude paraît pour plusieurs avoir été marquée par des abus sexuels qui, nous l’avons vu précédemment, ont invariablement teinté cette relation. Différentes formes de négligence sont pour certaines venues s’ajouter aux abus mentionnés. Plusieurs participantes révèlent en effet avoir vécu des carences au plan émotif et une relation foncièrement instable et insécurisante avec leur père, comme le racontent Émilie et, encore plus directement, Jade et Marie-Anne :

Mon père lui y est drogué pis alcoolique, /…/ y s’est jamais ben ben occupé de moi (Emilie) Mon père y’était « psycho ». Y’a fait de la prison. Je n’ai pas de contact avec lui. Mes parents se sont séparés quand j’avais trois ans, mais mon père, je l’ai jamais vraiment vu. Y’a des gens qui disent que c’est parce que j’ai pas eu de figure paternelle encadrante dans mon adolescence (que son adolescence a été troublée). Mon adolescence a été un peu « wild », mais pas tant que ça. /…/ La plupart des filles dans ce domaine-là, on a toutes des pères fous ou pas là ! C’est peut-être l’explication, pas mal toute ma famille est bizarre. (Jade) Mon père lui en voulait beaucoup (parlant de sa mère) de l’avoir quittée, donc il me parlait contre ma mère tout le temps. Il était religieux, un peu extrémiste. Il disait que ma famille, du côté de ma mère, c’était toutes des démons et ils iraient en enfer avec tout ça. Donc une chance que j’ai eu ma sœur, ça m’a sauvé de la folie /…/ on se validait une et l’autre que c’était pas correct ce qu’on vivait : « O.K., on va passer au travers ». (Elle pleure) (Marie-

Anne)

Christine estime également avoir vécu de la négligence, dans son cas de la part de ses deux parents. Elle constate maintenant les impacts que cette situation lui a occasionnés :

J’ai manqué d’amour, j’ai manqué beaucoup de mon besoin d’être reconnue, mon besoin d’être accueillie tel que je suis, dans ma peine, dans ma colère, dans tout ce qu’on veut. Pis aujourd’hui, c’est encore comme ça. Pis ça, j’ai couru après ça toute ma vie. Je viens de réaliser ça, je l’ai su cette année que ça venait de là, pis j’ai encore de la misère avec ça, à faire la paix avec ça.