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CHAPITRE I : RECENSION D’ÉCRITS

CHAPITRE 3 : ANALYSE DES RÉSULTATS

3.3 Des facteurs menant à la pratique et perpétuant la pratique d’activités

3.3.1 Des facteurs familiaux

3.3.1.1 Abus sexuels intrafamiliaux

Dans les récits que nous livrent les participantes, on peut voir qu’un passé d’abus sexuels dans l’enfance, pour la plupart intrafamiliaux, a eu une influence importante pour une majorité, soit chez sept d’entre elles. Notons que ces sept personnes ont été recrutées par le biais d’un CALACS (Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel). Elles avaient donc toutes décidé, lors de l’entretien, d’amorcer une démarche pour travailler sur les conséquences que les abus sexuels ont eues sur leur vie. Elles étaient à différents endroits dans leur cheminement, c’est-à-dire que certaines d’entre elles étaient encore en attente pour amorcer leur démarche alors que d’autres l’avaient déjà entamée.

des abus préalablement vécus durant l’enfance et comme une forme d’exploitation sexuelle. Cette vision rejoint principalement la vision féministe abolitionniste. Cette position pourrait donc avoir teinté la vision que certaines femmes ont de leur pratique. Cependant, les femmes rencontrées ont, pour la plupart, mentionné avoir peu ou ne pas encore avoir abordé leurs pratiques dans le cadre de leur suivi aux CALACS, ce qui peut amoindrir l’influence du discours abolitionniste sur leurs perceptions.

Pour Sara, la dynamique des abus sexuels qu’elle a subis dans l’enfance ainsi que les messages qu’elle en a retirés ont pour elle clairement influencé sa trajectoire vers la pratique d’activités sexuelles rémunérées, comme en témoigne cet extrait :

J’ai commencé à cinq ans avec le chum de ma mère qui me donnait des bonbons et de l’argent contre des touchers sexuels. / …/ Pour moi, ça a vite voulu dire gars égal « cash ».

Plusieurs participantes abordent d’emblée les abus subis durant l’enfance dans le cours de l’entrevue, les rendant directement responsables de leur parcours vers l’univers prostitutionnel :

Premièrement, j’ai été incestuée par mon père de l’âge de 3 ans à 7 ans. /…/ Ça parti de mon père. Mon père, c’est ce qu’il m’a donné, et c’est ce que j’ai reproduit. (Diane)

Les abus sexuels m’ont amenée là. J’me suis dis : « tant qu’à me faire fourrer sans m’faire embrasser, j’suis aussi bien de me faire payer pour le faire ». /…/ Mon père, c’est lui qui m’a abusé pis y m’a dit : « t’es assis sur une mine d’or », en parlant de sexe. /…/ Quand j’étais jeune, j’ai été abusée par mon père pis mon oncle. /…/ Je me souviens que, dans les bars de danse nue, mon père voulait venir me voir danser. (Anne)

Je sais pas, j’ai voulu tenter l’expérience, voir c’était quoi…Moi je pense que c’est le pouvoir qui m’a influencée, le pouvoir sur les hommes étant donné les abus. /…/ J’ai vécu une agression, un inceste étant jeune, ben à cinq ou six ans… pis ensuite de ça, un viol collectif à treize ans. Pis dans les deux cas, j’ai pas été accueillie (parlant de ses parents) /…/ Dans ma tête d’enfant, ça a été normalisé : c’était moi qui étais pas correcte. Moi, je le savais à cinq ou six ans que c’était pas correct, mais ma mère me dit : « non, non, c’est normal là ». /…/ J’ai été dans le doute toute ma vie moi : qu’est-ce qui est bon, qu’est-ce qui est pas bon, chu tu correcte, chu tu pas correcte. (Christine)

Emilie pour sa part énumère plusieurs facteurs qu’elle juge avoir influencé sa trajectoire, parmi lesquels se trouve l’abus sexuel vécu durant son enfance :

Une agression d’un homme, qui était mon oncle, un père pas présent, un père qui a jamais payé pour toé, une mère qui essaye toujours de faire payer les hommes dans sa vie pour les enfants, tout ça ensemble, ben ça fait une escorte ! Une femme qui veut faire payer les hommes, une femme qui veut dominer les hommes ! Ça de l’allure !

Amy fait également le lien entre ses activités sexuelles rémunérées et les abus sexuels qu’elle a vécus. Même si ces abus, survenus en bas âge, n’ont pas été commis par un membre immédiat de la famille, on peut constater qu’ils s’inscrivent quand même dans la dynamique familiale :

Étant donné que j’avais été abusé jeune, c’est sûr que c’est là que j’ai appris que je pouvais gagner de l’argent là… euh… avec mon apparence. /…/ Mon père, un moment donné, travaillait de nuit. On a un chalet pis y nous envoie Pierre, Jean, Jacques au chalet, pis quand il finit de travailler y revient nous retrouver. Moi, durant ces moments-là, je me faisais abuser. Y nous envoyait avec ses grands amis. /…/ La seule façon qui me faisait accepter tout ça (parlant de ses pratiques), c’est que je me disais : « le temps qui sont là, ben y abuseront pas de petites filles » ! C’est un peu de cette façon-là que j’ai accepté de faire ce métier tsé !

Dans les trois cas qui viennent d’être cités, on voit ressurgir le désir d’exercer un certain pouvoir sur les hommes bénéficiant des services sexuels rendus déjà mentionné lorsqu’il a été question des motivations à s’adonner à des pratiques sexuelles rémunérées.

Dans l’ensemble, les propos de la quasi-totalité des femmes rencontrées permettent d’affirmer que les abus sexuels vécus dans l’enfance, principalement dans un contexte intrafamilial, jouent un rôle important sur la trajectoire des femmes vers la pratique d’activités sexuelles rémunérées. Il apparaît aussi assez clairement que, non seulement l’abus sexuel en lui-même a laissé des traces, mais aussi la façon dont l’enfant a été soutenu, ou non, par sa famille immédiate. Notre échantillon présente toutefois un biais important puisque la plupart des femmes rencontrées, provenant d’un CALACS, révèlent avoir été victimes d’abus sexuels dans l’enfance. Un échantillon provenant d’autres sources ne ferait peut-être pas ressortir cet élément de façon aussi prédominante.