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CHAPITRE 2 L’ANALYSE DES PRATIQUES CONTRACTUELLES PAR LA

4. Motivation théorique de notre recherche

Les fondements et les propositions des théories des contrats de la NEI nous semblent un cadre d’analyse pertinent pour étudier les coordinations amont et aval mis en place par les intermédiaires dans la restructuration des marchés agroalimentaires des pays émergents.

Notre cadre d’étude empirique nous pousse par ailleurs à approfondir certains points, notamment le problème de hold-up et de l’aléa moral dans les contrats informels en environnement incertain (incertitude forte sur les marchés agricoles, et asymétrie d’information) mais également la question de la coexistence des formes de gouvernance et leur analyse relative.

4.1. Le problème du hold-up en environnement incertain

Tout d’abord, les théories des contrats présentent des limites pour expliquer l’exécution des contrats informels dans certains contextes. Parmi les mécanismes d’exécution, les auteurs font souvent appel à des mécanismes de réputation et d’ostracisme dans des réseaux. Cependant ces derniers dépendent de la taille de la communauté concernée (Milgrom et al., 1990) et de la densité des liens au sein de celle-ci (Granovetter, 1994). De plus ces mécanismes ne sont pas toujours valables : d’une part, les agents économiques peuvent appartenir à des réseaux sociaux très différents (Brousseau, 2001); et d’autre part l’engagement public de la réputation d’un agent économique peut être de faible niveau lorsqu’il est difficile de prouver de manière incontestable aux yeux des tiers, la réalité et le caractère unilatéral du comportement non coopératif de l’autre (MacLeod, 2006).

Par ailleurs, les mécanismes auto-exécutoires décrits dans la littérature sont difficiles à mettre en place. Ceci est d’autant plus vrai lorsque les contrats impliquent l’investissement d’une seule partie dans des actifs spécifiques à la transaction. En effet, le résultat est beaucoup plus incertain car la rente organisationnelle croissante active les comportements opportunistes. Pour expliquer l’existence d’investissements spécifiques en environnement incertain sans contrats formels, de récents débats dans la littérature théorique des contrats ont complexifié les solutions apportées par ces approches, notamment en y intégrant une approche dynamique.

Premièrement les actifs spécifiques doivent être considérés comme des choix endogènes, et non exogènes comme dans la plupart des études empiriques qui testent les propositions de la théorie des coûts de transaction61. Ensuite certains auteurs s’écartent des propositions de simultanéité en proposant que la décision d’investissement en actifs spécifiques puisse également être séquentielle (Watson, 1999 ; Rauch et Watson, 2003 ; De Fraga, 1999 ; Che et Sakovics, 2004; Pitchford et Snyder, 2004). Ainsi grâce à l’analyse dynamique, ces auteurs amènent de nouvelles solutions pour résoudre les formes extrêmes de risque de hold-up dans la mesure où l’adoption d’une approche dynamique permet d’apprendre sur l’autre co-contractant avant d’engager des ressources spécifiques importantes et modifie la probabilité et les modalités de manifestation de l’opportunisme. Nous souhaitons contribuer à ces récents développements de la théorie des contrats en testant ces propositions pour répondre à notre première question de recherche (Chapitre 3) : en environnement incertain et risqué, comment explique-t-on que certains agents fassent des investissements spécifiques hors contrats62?

4.2. Le problème de l’aléa moral en environnement incertain

La contractualisation en environnement incertain pose également le problème du contrôle de l’aléa moral de l’agent lorsque le principal ne peut observer l’effort de cet agent.

Nous avons vu que la théorie de l’agence s’attache à décrire des schémas de rémunération incitatifs et auto-exécutoires pour limiter cet aléa moral. Ainsi un pan de la littérature en économie du développement s’appuyant sur les théories des contrats, fait état de contrats complexes incitatifs portant sur plusieurs transactions simultanément (dont l’une au moins des transactions donne l’accès à un marché défaillant pour l’agent) appelés contrats-liés (Bardhan, 1989). Ces contrats apparaissent dans la littérature comme des solutions pour pallier les imperfections de marché et pour discipliner l’effort de l’agent sur les termes de l’échange. La sanction pour l’agent si le principal s’aperçoit qu’il a dévié est la perte d’un futur contrat-lié (et donc la perte de l’accès à une des transactions difficilement obtenue par d’autres alternatives). Dans les systèmes auto-exécutoires détaillés par la littérature, le problème de l’observabilité de la déviation n’est pas toujours résolu, notamment lorsque l’incertitude est très élevée comme en agriculture.

61 Williamson conteste d’ailleurs cette approche empirique car selon ses propositions théoriques les choix contractuels et la spécificité des actifs sont déterminés de façon simultanée et dépendante (Saussier et Yvrande-Billon, 2007).

62

En analysant un contrat-lié tripartite original (la tierce partie fait partie intégrante du contrat) plutôt que bipartite (Chapitre 4), nous souhaitons contribuer à l’étude de mécanismes incitatifs dans les contrats informels : en environnement incertain, le contrat tripartite est-il plus incitatif pour gérer le problème d’aléa moral des producteurs? Quels sont les déterminants de l’adoption de ces contrats ?

4.3. L’analyse comparative des formes de gouvernance

Parmi les limites souvent mentionnées sur les théories des contrats de la NEI, la difficulté à mesurer des coûts d’agence ou des coûts de transaction, même parfois d’un point de vue relatif, est souvent soulignée comme une des contraintes majeures du pouvoir explicatif voire prédictif de ces théories (Brousseau, 1993). En effet, elle interroge la capacité des agents à mettre en place des arrangements contractuels en fonction de ces coûts. De nombreux auteurs des théories des contrats se basent sur l’hypothèse forte de principe de concurrence ou de sélection naturelle qui élimine les arrangements les moins efficaces pour ne garder que celui qui réduit au mieux les coûts de transaction. Or la pluralité des modes de coordination est pourtant réelle et a été analysée par différents auteurs au sein des firmes notamment pour des raisons de complémentarité des formes (Bradach et Eccles, 1989 ; Lafontaine et Kaufmann, 1994 ; Brousseau et Codron, 1998), ou par d’autres auteurs dans des environnements institutionnels différents dans la mesure où ils influent différemment sur les modes d’organisation (Ménard et Klein, 2004).

Dans la réalité, on observe également des pluralités de formes de gouvernance indépendantes dans des mêmes contextes transactionnels (Balbach, 1998 ; Mizumoto et Zylbersztajn, 2004; James et Sykuta, 2004), or ceci est encore peu expliqué dans la littérature. Quelques pistes d’analyse apparaissent cependant. Premièrement, on peut penser que l’existence de différentes formes indépendantes pourrait être liée à des complémentarités dans un contexte précis (North, 2005). Deuxièmement, l’existence ou la persistance d’une forme de gouvernance peut-être le résultat de la mise en place de barrières à l’entrée aux autres formes (North, 1990) ou de l’intervention d’une politique gouvernementale (Harris et Wiens, 1980 ; Ménard et Klein, 2004), plutôt que d’un moyen efficace de réduire les coûts de transaction. Dans ce deuxième cas, la sélection naturelle n’opère pas. Nous souhaitons apporter une contribution dans ce sens dans notre troisième question de recherche (Chapitre 5). En se positionnant dans un environnement institutionnel contraignant (obligation légale de certaines formes d’intermédiation), nous amenons d’une part une analyse comparative (peu fréquente dans

la littérature) entre une gouvernance individuelle particulière et une gouvernance collective, pour répondre, d’autre part, aux questions : quelles sont les opportunités et les contraintes de ces différentes formes de gouvernance et les raisons de leur coexistence dans un même contexte transactionnel?

Dans les chapitres de résultats (Chapitres 3, 4 et 5), qui correspondent à la deuxième partie de la thèse, nous redéveloppons chacune de ces questions de recherche au travers d’apports théoriques plus précis issus du cadre d’analyse présenté dans ce chapitre.