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CHAPITRE 2 L’ANALYSE DES PRATIQUES CONTRACTUELLES PAR LA

2. L’apport de la Nouvelle Economie Institutionnelle pour l’analyse des coordinations

2.1. Les imperfections de marchés, sources des coordinations contractuelles

Les filières agroalimentaires tendent à répondre dans un premier temps à l’approvisionnement alimentaire des zones de consommation, puis dans un deuxième temps à des problématiques de plus en plus développées de qualité et de différenciation des produits. L’importance des coordinations hors marché dans ces filières dépend alors fortement du contexte plus ou moins propice au fonctionnement des marchés spot dans ces objectifs.

Selon le paradigme néoclassique du libre marché, la concurrence parfaite du marché spot permet la meilleure allocation des ressources et facteurs de production vers un équilibre optimum. Cependant l’efficacité économique issue de cette théorie néoclassique se fonde sur les hypothèses que : i) les agents sont rationnels et maximisent leur profit parfaitement et instantanément, ii) l’allocation de départ ou l’accès aux facteurs de production est identique pour chaque agent, iii) les conditions de la concurrence parfaite sont respectées (atomicité de l’offre et la demande, libre entrée et sortie des agents sur le marché, homogénéité des produits, transparence de l’information sur les marchés, mobilité des facteurs de production). Il va sans dire que ces conditions sont rarement réunies sur les marchés. Les défaillances ou imperfections de marché apparaissent lorsque les coûts de transaction (notamment les coûts de l’information) et certains coûts de production (notamment coûts de transport dus à des manques d’infrastructures) d’un marché créent une désutilité supérieure à l’utilité gagnée sur ce marché (De Janvy et al, 1991). Peu d’agents voire aucun n’ont alors intérêt à entrer sur ce marché.

L’absence des conditions de marché proposées par la théorie néoclassique est particulièrement marquante dans le secteur agricole de nombreux pays en développement (Stiglitz, 1985). Les défaillances ou imperfections de marché extrêmement répandues plaident, dans de nombreux cas, pour l’intervention publique (Stiglitz, 1979). Or les solutions étatiques sont rarement mobilisées dans les pays en développement54. Aussi, ce sont les coordinations hors marché ou arrangements institutionnels entre acteurs privés qui se développent55.

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Les plans d’ajustement structurel mis en place dans de nombreux pays en développement depuis les vingt dernières années n’ont, semble-t-il, pas tenu compte de ces défaillances de marché. Ils sont à l’origine de nombreuses réformes sur le plan des politiques macro-économiques de ces pays, qui passent notamment par la restriction des politiques budgétaires des Etats avec la réduction des dépenses publiques dans les infrastructures, dans les programmes de crédit et de subventions, dans la régulation des marchés.

Pour les petits producteurs, les innovations organisationnelles (formes contractuelles) pour la coordination des activités doivent permettre de réduire les coûts de transaction (notamment les coûts d’information sur les marchés) et combler certaines imperfections de marché en termes de services agricoles (Cook et Chaddad, 2000 ; Hoff et Stiglitz, 2001).

A l’autre extrémité de la filière, l’augmentation de la demande pour des caractéristiques spécifiques de produits, et pour la régularité des approvisionnements plaide également pour le développement des coordinations hors marché (contrats ou intégration verticale). En effet, même pour les acteurs aval, il n’est pas fiable de s’approvisionner sur le marché spot où l’information est imparfaite.

2.2. Les niveaux d’analyse dans la Nouvelle Economie Institutionnelle

Pour tenir compte des arrangements institutionnels observés dans la réalité, les théories issues de la nouvelle économie institutionnelle (NEI) apparaissent comme un cadre d’analyse pertinent. L’idée fondamentale qui structure cette approche introduite par Coase (1937) est que, quelle que soit l’efficacité des marchés, le recours au prix pour organiser les transactions présente des coûts, appelés coûts de transaction. Lorsque ceux-ci deviennent significatifs, il peut être avantageux d’utiliser d’autres formes d’arrangement que le marché spot comme vecteur de transactions.

Par ailleurs, la NEI suppose d’une part un environnement institutionnel où sont organisées les transactions et d’autre part des dispositifs spécifiques d’arrangements institutionnels.

Williamson (2000) propose une structuration des différents courants qui composent la NEI en quatre niveaux d’analyse (Tableau 6).

Un premier niveau concerne l’enchâssement social, où les normes, les us et coutumes, et la religion sont identifiées. Les institutions à ce niveau sont fortement ancrées dans la société et évoluent très lentement. Le deuxième niveau décrit l’environnement institutionnel qui fait appel plus spécifiquement aux règles formelles. Celles-ci sont principalement issues de l’action politique et évoluent plus rapidement que le niveau précédent. Ces deux niveaux 55

La reconnaissance de ce phénomène a finalement conduit les institutions internationales à revoir les objectifs des politiques de développement et à pointer la nécessité de construire et transformer les institutions pour une croissance économique dans ces pays et notamment dans l’accompagnement du développement des arrangements institutionnels entre les acteurs (Banque mondiale, Rapport du Développement dans le Monde de 2003).

constituant les institutions dans leur ensemble, intègrent la définition des droits de propriété et leur exécution. Il existe un grand nombre de définitions des institutions (formelles et informelles) mais la plus communément admise est celle proposée par North (1990, p. 3): “Institutions are the rules of the game in a society or, more formally, are the humanly devised constraints that shape human interaction ; in consequence they structure incentives in human exchange, whether political, social, or economic”. Dans notre présent travail, les institutions sont traitées comme données.56

Le troisième niveau analyse les arrangements institutionnels ou structures de gouvernance qui émergent dans cet environnement institutionnel pour faire (intégration verticale) ou faire faire (différents types de contrats) une activité de production. Ils sont définis par Williamson (1996, p. 378) tels que : “The institutional matrix in which the integrity of a transaction is decided”. Ce niveau est l’objet d’analyse par la branche de l’économie des coûts de transaction. En décrivant l’environnement institutionnel directement lié aux formes d’arrangements et en tenant compte des caractéristiques de la transaction, ce courant explique les formes dominantes sur les marchés.

Enfin le quatrième niveau d’analyse porte sur l’allocation des ressources, de la valeur et du risque. Il est principalement l’objet des théories néo-classiques et plus particulièrement de la théorie de l’agence.

Tout en tenant compte de l’environnement institutionnel que l’on définit dans ce travail de recherche comme exogène, le cadre d’analyse de cette thèse s’appuie largement sur l’approche de la théorie des coûts de transaction et sur les propositions de la théorie de l’agence pour répondre à nos questions de recherche; soit les deux derniers niveaux définis par Williamson.

56 Même si elles ont effectivement évoluées dans le cadre de notre contexte de recherche avec la mise en place d’une loi de régulation du marché du frais en 1995, elles ne sont pas l’objet même de l’analyse. Nous regardons plus spécifiquement leurs influences sur les arrangements constitués.

Tableau 6 : Les niveaux d’analyse de la Nouvelle Economie Institutionnelle selon Williamson (2000)

Nous allons voir plus en détail l’apport de nos deux approches théoriques pour répondre à notre problématique. Cependant dans un premier temps nous souhaitons présenter les concepts communs à ces approches et mettre en évidence leurs points de distinction par rapport aux théories néo-classiques (distinction forte dans le cas de la théorie des coûts de transaction et plus nuancée dans le cas de la théorie de l’agence), notamment en termes

Niveau 1 Niveau 2 Niveau 3 Niveau 4 Enchâssement social: Institutions informelles, normes, us et coutumes, religion Environnement institutionnel: Règles formelles, droits de propriété, système juridique

Structures de gouvernance: Marché, contrat ou intégration verticale (selon les couts de transaction)

Allocation et emploi des ressources (prix et quantité; ajustement des incitations)

Théorie des couts de transaction Théorie néoclassique /théorie de l’agence Niveaux

d’analyse Objets d’analyse Théories

Théorie sociale Théorie des droits de propriété/ théorie politique positive

d’hypothèses comportementales. Ces hypothèses sont essentielles à la compréhension de l’analyse proposée par ces théories des contrats.

2.3. Les hypothèses comportementales des agents économiques dans la NEI

D’abord, l’individualisme méthodologique au sens où les comportements individuels des agents économiques ont lieu dans un système décentralisé, la rationalité, et la recherche de l’efficience restent au fondement des théories des contrats.

Cependant la rationalité substantielle exposée par les théories néo-classiques (dont est issue la théorie de l’agence) est remise en cause dans la théorie des coûts de transaction. D’après la proposition de Simon (Simon, 1987, 1976), les agents ont une rationalité limitée ou dite procédurale dans la mesure où : (i) les agents n’ont pas la connaissance de toutes les alternatives qui s’offrent à eux (ii) ni la connaissance parfaite de toutes les conséquences issues d’un choix comportemental (iii) ni la connaissance de la fonction d’utilité qu’ils seraient en mesure de maximiser. Les agents font donc des choix pour parvenir à des situations qui leur apparaissent préférables. Or la solution peut être satisfaisante mais pas nécessairement optimale pour résoudre les problèmes de coordination auxquels ils sont confrontés.

La théorie des coûts de transaction qui intègre la rationalité limitée des agents dans ses fondements, s’appuie ensuite sur le principe de sélection naturelle pour proposer l’élimination des arrangements les moins adaptés comparativement. Par ailleurs cette sélection reste faible au sens où les organisations contractuelles peuvent présenter des problèmes de mauvaise adaptation du fait de cette rationalité limitée des agents57 (Williamson, 1993). Dans la théorie des coûts de transaction, la rationalité reste calculatrice sous contrainte cognitive et intègre un caractère adaptatif.

La rationalité limitée dans la théorie des coûts de transaction, fait appel également à la notion d’environnement incertain ou d’incertitude dans la mesure où les agents ne sont pas en mesure de déterminer avec précision l’ensemble des caractéristiques de l’avenir (Williamson,

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Williamson considère que les agents, ne pouvant anticiper toutes les circonstances futures, peuvent effectivement présenter des problèmes de mauvaise adaptation après un événement survenu. Ils s’ajustent ex-post aux changements. L’auteur se réfère alors au concept d’adaptation organisationnelle de Barnard (1938) et d’adaptation autonome d’Hayek (1945). Une organisation ne peut plus être optimale a priori compte tenu de l’incertitude sur les événements futurs et la rationalité des agents.

1975). Seule une probabilité subjective des agents peut alors exister. L’incertitude est un point clé de l’approche par les coûts de transaction.

De fait, pour les économistes de la théorie des coûts de transaction, la « contractualisation est incomplète58mais prévoyante » (Williamson, 1996, p.9) d’une part parce qu’en incertitude radicale il est, de fait, impossible de prévoir des solutions pour des avenirs que l’on ne peut prédire; d’autre part, la rédaction de contrat contingent incluant toutes les solutions pour tous les états du monde peut se révéler extrêmement long et coûteux (Grossman et Hart, 1987 et Hart et Moore, 1988).

La théorie de l’agence fait plus expressément référence à l’environnement risqué. Le risque correspond à une situation ou plusieurs avenirs sont possibles et probabilisables, contrairement à l’incertitude (Knight, 1921 ; Keynes, 1937). Dans un environnement risqué, un contrat contingent doit pouvoir aménager une solution optimale pour chacun des futurs possibles probabilisables. Dans la théorie de l’agence, les contrats sont souvent supposés complets.

Par ailleurs, pour les théoriciens des coûts de transaction, les agents sont neutres au risque. Les interprétations de ces approches dans le choix des formes contractuelles des agents divergent donc fortement sur ce point.

Ces analyses partagent cependant l’idée que l’information est asymétrique entre les agents (Milgrom et Roberts, 1992 ; Williamson, 1993). Ici on abandonne l’hypothèse de libre circulation de l’information de la vision néo-classique. L’information est asymétrique car tous les agents ne disposent pas de « stocks informationnels » identiques. Or, cette asymétrie conduit à la possibilité de comportements opportunistes.

L’opportunisme résulte de la rationalité des agents qui ont intérêt à ne pas respecter les termes du contrat dès lors qu’ils améliorent leur situation personnelle. Il repose sur une révélation incomplète, déformée ou falsifiée de l’information par un agent (Coriat et Weinstein, 1995). On distingue deux formes d’opportunisme. L’opportunisme ex-ante ou anti-sélection qui a lieu avant une transaction où les agents peuvent avoir intérêt à ne pas révéler leurs préférences ou leurs caractéristiques. L’opportunisme ex-post ou aléa moral a lieu pendant l’exécution du contrat. Il apparaît lorsqu’un agent n’est pas incité à respecter les termes du contrat dès lors

58 Un contrat incomplet est défini par Hart (1995) comme un contrat où « the parties would like to add contingent clauses, but are prevented from doing so by the fact that the state of nature cannot be verified or because states are too expensive to describe ex-ante.”

que son comportement n’est pas observable. Le problème d’observabilité peut provenir du manque de compétence de l’observateur, qui n’est pas en mesure de déterminer si l’autre adopte un comportement optimal, ou du coût trop élevé d’une supervision. Outre le problème d’inobservabilité, l’opportunisme émerge également en situation d’indétermination sur le partage de la quasi-rente organisationnelle (Goldberg, 1976 ; Klein et al, 1978).

En effet on admet que la coordination génère un surplus qui n’est pas attribuable à une quelconque partie individuellement (le surplus est d’autant plus élevé que des investissements spécifiques à la transaction sont mis en jeu). Or il n’existe pas de critères objectifs (telle que la productivité marginale de facteurs) qui permettent de partager cette quasi-rente, ainsi chacun tente de se l’approprier faisant émerger le problème de hold-up (Goldberg, 1976 ; Klein et al., 1978 ; Williamson, 1985). Le risque de hold-up pressenti par une des parties conduit ex-ante cette partie à ne pas contracter.

C’est notamment en référence à l’opportunisme potentiel des agents que les deux principales théories que nous utilisons ont été développées. Elles divergent cependant dans leur portée analytique. Dans les sections suivantes nous détaillerons succinctement les propositions apportées par chacune de ces théories.

3. Les propositions des théories des contrats