Introduction Générale
1.2 L'ADN télomérique
1.2.4 Le motif télomérique
En résumé, nous avons vu que l'ADN télomérique au sein de la majo-rité des espèces est constitué d'une région double brin avec une extension simple brin en 3'. La longueur de l'ADN télomérique varie selon les espèces (Wellinger and Sen, 1997). Les séquences télomériques sont composées de ré-pétitions d'un motif en tandem, qui varie également selon les espèces (Table 1.1). Pour expliquer cette diversité dans les séquences télomériques on ad-met l'hypothèse de l'existence d'un motif télomérique ancestral duquel les autres motifs télomériques découleraient par la résultante de modications de séquences de la matrice ARN de la télomérase. Parmi les arguments qui défendent cette hypothèse on peut citer l'existence de forte similarité entre les diérents motifs. En eet on retrouve dans la très grande majorité des motifs une sur-représentation des thymines et guanines, ainsi qu'une absence quasi-totale de cytosine. Les exceptions présentant des cytosines dans le mo-tif télomérique sont les télomères des levures ou encore ceux des nématodes qui présentent un dimère de guanines suivi d'une cytosine (TTAGGC). Une autre caractéristique conservée dans la majorité des motifs est la présence de guanines consécutives au sein de la séquence. On retrouve un nombre de guanines consécutives allant de G2 pour les nématodes jusqu'à G6 chez Saccharomyces cerevisiae. Il est admis de retenir comme motif télomérique ancestral la séquence TTAGGG en raison de sa sur-représentation au sein des espèces.
Organismes Séquences répétées Abréviations Protozoaires
Tetrahymena thermophila TTGGGG T2G4
Oxytricha nova TTTTGGGG T4G4
Euplotes crassus TTTTGGGG T4G4
Trypanosoma brucei TTAGGG T2AG3
Plantes
Arabidopsis thaliana TTTAGGG T3AG3
Chalamydomonas TTTTAGGG T4AG3
Nématodes
Ascaris lumbricoides TTAGGC T2AG2C
Caenorhabitis elegans TTAGGC T2AG2C
Vertébrés
Homo sapiens TTAGGG T2AG3
Mus musculus TTAGGG T2AG3
Gallus gallus TTAGGG T2AG3
Ovis aries TTAGGG T2AG3
Insectes
Bombyx mori TTAGGG T2AG3
Champignons
Neurospora crassa TTAGGG T2AG3
Candida albicans ACGGATGTCTAACTTCTTGGTGT
Kluyveromyces lactis ACGGCTTTGATTAGGTATGTGGTGT
Saccharomyces cerevisiae T(G)2−3(TG)1−6
Schizosaccharomyces pombe TTAC(A)G2−3
Table 1.1 Exemples de séquences télomériques
1.3 La télomérase
La télomérase est une enzyme impliquée dans le maintien de la longueur de l'extrémité simple brin des chromosomes. La télomérase est un complexe ribo-nucléoprotéique constitué d'une sous-unité catalytique, TERT (Telome-rase reverse transcriptase) et d'un ARN qui porte la matrice pour la synthèse des répétitions télomériques, TERC (Telomerase RNA component) (Figure 1.5), et de diverses protéines nécessaires à sa biogenèse et régulation. La sous-unité TERT possède un domaine catalytique reverse transcriptase (RT), assurant la synthèse du brin G, un domaine N-terminal (TEN) liant l'ADN télomérique et un domaine de liaison à TERC (TRBD). La sous-unité TERC
humaine (ou hTR), composée de 451 nucléotides, hautement structurée (pré-sence de nombreuses régions en tige-boucle et en pseudon÷ud), possède du coté 5', près du pseudoneud(PK, pour pseudo-knot), la matrice (t, pour tem-plate), qui permet la synthèse de la répétition télomérique. Chez les mammi-fères la séquence de la matrice est 3'-CAAUCCCAAUC-5'.
Figure 1.5 Les domaines structuraux et fonctionnels de la télo-mérase. (En haut) Les domaines de la sous-unité TERT, (En bas) La structure secondaire de la sous-unité hTR (ou TERC) (Nguyen et al., 2018)
La région t/PK est essentielle à l'activité in vitro de la télomérase. Les régions tige-boucle localisées du côté 3' de l'ARN vont permettre d'ancrer un certain nombre de protéines essentielles pour l'assemblage et l'activité in vivo de la télomérase. Une étude réalisée par de Nguyen et al. en 2018 a résolu par cryo-microscopie électronique la structure de la télomérase humaine liée à son substrat (Figure 1.6) (Nguyen et al., 2018) Le complexe est composé de deux lobes dans lesquels l'ARN hTER fait oce d'échafaudage pour diérentes protéines. L'un des lobes constitue le c÷ur catalytique et contient le domaine t/PK de TERC et les domaines TEN et RT de TERT. L'autre lobe contient la région 5' de TERC et les diérentes protéines intervenant dans la biogenèse
et la régulation de la télomérase.
Figure 1.6 Structure Cryo-EM de la télomérase humaine liée à son substrat. a. Schéma de la disposition des sous-unités. b Reconstructions par cryo-microscopie électronique pour la région H/ACA à 8,2 A et le noyau catalytique à 7,7 A. Les sous-unités utilisent un code couleur comme indiqué (Nguyen et al., 2018).
C. Greider et E. Blackburn ont été les premières à proposer un modèle de maintien de la taille des télomères par la télomérase (Blackburn, 1992). Dans ce modèle, la télomérase se sert de son ARN TERC comme matrice pour ajouter les nucléotides à l'extrémité des chromosomes. Le mécanisme consiste en trois étapes (Autexier and Lue, 2006) :
I- Étape d'association télomères-télomérase et liaison de la matrice ARN à l'extrémité 3' simple brin de l'ADN télomérique par complémentarité de séquence (Figure 1.7.a).
II- Étape d'élongation par transcription inverse de la matrice ARN et addi-tion de nucléotides à l'extrémité 3' de l'ADN télomérique(Figure 1.7.b). III- Étape de translocation : une fois la transcription inverse de la séquence matrice ARN achevée, une translocation du complexe de la télomérase a lieu pour permettre un autre cycle de synthèse (Etape II) (Figure 1.7.c-d).
Figure 1.7 Cycle d'élongation par la télomérase. (Autexier and Lue, 2006)
Ce mécanisme permet à la télomérase d'ajouter plusieurs répétitions té-lomériques, en faisant une protéine processive. Toutefois, si la télomérase présente une processivité importante in vitro, il n'en est pas de même in vivo. Il a été montré que des protéines telles que TPP1 (Wang et al., 2007; Rajavel et al., 2014; Xu et al., 2019) ou encore TIN2 (ho Kim et al., 1999; Chiang et al., 2004; Frank et al., 2015) augmentent la processivité de la télomérase, suggérant que ces protéines puissent jouer le rôle de facteur de
processivité pour la télomérase lors d'élongation du télomère. Il est important de noter que l'activité de la télomérase peut être inhibée notamment si cette dernière n'a pas accès à son substrat. La présence de la protéine de liaison à l'ADN simple brin télomérique POT1 (section 1.5.2), capable de séquestrer l'extrémité 3' du G-overhang, peut par conséquent participer à l'inhibition de la télomérase (Zaug et al., 2005; Xu et al., 2019). De même l'extension simple brin télomérique constituée de guanines successives, en raison de la répétition du motif télomérique, est capable d'adopter une structure appelée G4, dont la présence empêche la télomérase d'accéder à son substrat (Zhou et al., 2016; Tan and Lan, 2020).