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1. Le stress hydrique, moteur principal de la REUT

Sur Terre, l’eau douce ne représente que 2,5 % de la quantité totale d’eau. Cette faible fraction est constituée aux deux tiers de glace, à un tiers d’eau souterraine et à seulement 0,3 % d’eau de surface (lacs, rivières…) facilement accessible. C’est cette eau qui assure une grande partie du maintien de la vie sur Terre (PNUE, 2010). De plus, cette ressource en eau est inégalement répartie géographiquement : les précipitations annuelles sont par exemple très importantes au nord de l’Amérique du Sud alors qu’elles sont très faibles au nord du continent africain (Oki & Kanae, 2006). Cette ressource est impactée par les activités humaines : l’agriculture représente environ 70 % de la demande mondiale en eau, suivie par l’industrie (20 % de la demande mondiale) et les usages urbains (10 %) (GWI, 2013).

On parle de pénurie d’eau ou de stress hydrique quand la demande en eau dépasse les ressources disponibles (PNUE, 2010). Ce phénomène dépend également de la demande en eau sur le territoire étudié. Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) estime que les ressources en eau sont suffisantes si la quantité disponible par personne et par an est supérieure ou égale à 1700 m3. Une

quantité inférieure à 1000 m3 par habitant et par an correspond à une situation de

stress hydrique (Figure 1). Le stress hydrique peut avoir des conséquences importantes au niveau économique, de la santé publique, etc… et il entraîne des conflits d’usage importants (agriculture contre tourisme par exemple) comme cela a été observé pendant l’été 2015 en Californie (Nagourney et al., 2015). Certaines zones géographiques sont particulièrement touchées au niveau mondial, mais des problématiques locales existent également, du fait de spécificités géographiques (îles) et/ou démographiques (augmentation importante de la population pendant l’été dans les zones touristiques) (Figure 2). D’ici 2025, plus de la moitié de la population mondiale vivra dans des régions soumises au stress hydrique (OMS, 2016).

Les situations de stress hydrique sont souvent dues à des causes physiques, mais d’autres facteurs peuvent également être impliqués. Le manque de moyens pour accéder à la ressource (souterraine notamment) peut entraîner de telles situations. C’est le cas par exemple en Afrique centrale, qui dispose d’un important gisement d’eau souterraine, mais qui est très peu exploité (PNUE, 2005b). L’eau est également un enjeu géopolitique : c’est le cas du bassin de l’Euphrate. La Turquie en amont représente 28 % de la surface du bassin et 88 % du débit initial du fleuve. En aval,

l’Irak représente 40 % de la surface du bassin, mais le débit résiduel est quasi-nul du fait des prélèvements en amont (PNUE, 2004).

Figure 1 : Ressources d’eau douce nécessaires pour assurer le maintien de la vie humaine, en mètre cube par personne et par an (PNUE, 2010)

Figure 2 : Probabilité d'apparition de pénuries d'eau (moins de 1700 m3 par personne et

par an) dans le monde en 2030 (GWI, 2013)

Plus globalement le bassin méditerranéen est un bon exemple de l’inégalité de la répartition des ressources en eau : sur l’ensemble de la pluviométrie de cette zone, 71 % concerne la rive nord de la Méditerranée, contre seulement 13 % pour la rive sud et 16 % pour la rive est (PNUE, 2004). Dans ce contexte, la réutilisation des eaux usées est un enjeu fort et de plus en plus pris en compte dans les scénarios d’approvisionnement

en eau. Ces scénarios prospectifs doivent également considérer l’impact du changement climatique. En prenant une hypothèse de stabilisation des émissions de CO2 d’ici 2100,

la pluviométrie annuelle pourrait significativement baisser dans des régions déjà caractérisées par une faible pluviométrie : 100 mm de pluie en moins (par rapport à la situation actuelle) à l’horizon 2050 pour la région de Montpellier par exemple (DRIAS, 2015). Même si les ressources superficielles et souterraines sont plutôt abondantes, des situations de tensions peuvent survenir notamment pendant les périodes estivales avec une augmentation significative de la population liée au tourisme.

2. Autres moteurs

D’un point de vue environnemental, la réutilisation des eaux usées traitées a de nombreux avantages. Dans le cas de zones naturelles sensibles (comme les écosystèmes côtiers et marins), l’intérêt principal est de diminuer les volumes rejetés dans le milieu récepteur (MEDWWRWG, 2007a; US EPA, 1998). L’intérêt est à la fois écologique (biodiversité) et économique (protection d’activités sensibles comme la conchyliculture ou la baignade) (BRL Ingénierie, 2011). De plus, l’exploitation de cette nouvelle ressource permet de diminuer la pression sur les masses d’eau douce superficielles, qui ont souvent une grande valeur environnementale (zones humides par exemple). Cette diminution de la pression se fait soit indirectement par l’utilisation des EUT à la place d’une autre ressource, soit directement par le transfert d’une eau de bonne qualité vers le milieu d’intérêt. Dans ce dernier cas, la recharge ou le maintien en qualité des réserves d’eau (de surface ou souterraines) pour la potabilisation est souvent aussi un enjeu (MEDWWRWG, 2007a; US EPA, 1998).

Les eaux usées traitées sont une ressource économiquement intéressante, car constante en qualité et en quantité. Cela permet donc de mieux gérer les périodes de pénurie d’eau, mais aussi de stabiliser les productions agricoles et industrielles, avec tous les bénéfices sociaux qui en résultent (MEDWWRWG, 2007a). Dans certains cas, la REUT peut être plus intéressante que la mobilisation d’une nouvelle ressource. Ainsi , les grands projets de transfert d’eau d’un bassin à l’autre sont souvent remis en cause par les opinions publiques qui s’interrogent sur la pertinence économique et environnementale de tels projets (Jiménez-Cisneros, 2014; Singh, 2010). De plus, les eaux usées véhiculent d’autres éléments qui peuvent être mobilisés, comme la chaleur ou les nutriments (Jiménez-Cisneros, 2014; MEDWWRWG, 2007a). Par exemple, la ville de Boise (Idaho, USA) combine la REUT avec la récupération de chaleur et la récupération ciblée du phosphore à l’aide de struvite (Pramanik et al., 2012). Ainsi, les

eaux usées sont maintenant perçues comme une ressource par les instances internationales (ONU, 2017), ce qui n’a pas toujours été le cas.

L’approche hygiéniste mise en œuvre depuis le début du 20ème siècle suite aux

épidémies d’origine hydrique comme le choléra à Paris entre 1830 et 1870 (Servais et al., 2009) a conduit à un sentiment de rejet des eaux usées par les populations dans les pays développés. L’enjeu pour ces populations est donc de passer d’une perception négative (danger) à une perception positive (ressource). Cette perception est en train d’évoluer avec la prise de conscience de l’ensemble des enjeux environnementaux et économiques. Les dernières enquêtes publiques sur le sujet tendent à montrer que ce changement est en bonne voie (Figure 3). Dans les pays en développement, la problématique est plutôt inverse : il s’agit de maîtriser la qualité des eaux usées pour éviter leur réutilisation non contrôlée, ce qui a des impacts négatifs sur la santé des travailleurs et des consommateurs (Jiménez-Cisneros & Asano, 2008).

Figure 3 : a) Acceptabilité de la consommation de fruits et de légumes qui ont été arrosés avec des eaux usées traitées dans le but de participer aux efforts en faveur de la préservation des ressources en eau en France (Commissariat général au développement durable, 2014) ; et b) synthèse des résultats d’une enquête sur la réutilisation des eaux usées traitées pour différents usages en France (Lazarova & Brissaud, 2007; SOFRES, 2006)

Enfin, les avancées technologiques concernant le traitement des eaux usées sont également un facteur à prendre en compte (Lazarova & Brissaud, 2007). Le développement des bioréacteurs à membranes immergées permet par exemple d’atteindre des performances épuratoires élevées avec des consommations énergétiques faibles, même si une maintenance plus élevée est nécessaire par rapport aux traitements classiques par boues activées (Tare, 2011). De la même façon, l’optimisation des réacteurs de désinfection UV permet de réduire l’empreinte carbone

de ce procédé au niveau de la fabrication et du fonctionnement (Linden & Rosenfeldt, 2011). Ainsi la robustesse globale d’une filière de traitement peut être améliorée par la multiplication des barrières à un coût raisonnable.