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AUTOUR DU MOT « PRATIQUE »

Dans le document Les savoirs de la pratique (Page 115-123)

Cette RubuiouE pnoposEautourd'uNoudEoueLquesmots uneIiaIte pensiveàtraversun ckoîXdEcilATiONSSÎqNiFiCATivESEMPRUNTÉES ÀdESÉpOOUES, dESllEUXETdES hORIZONS dîFfÉ-RENTS.

Les mots ne prennent sens que par rapportà d'autres dont ils sontproches, avec lesquels ilsentretiennent des relations de voisinage ou bien,au contraire,avec les¬

quels ilssontenopposition, etcela selon des effetsde substitutionetdedécalages complexes et conjoints. Ainsi s'intéresser au mot «pratique » conduit inexorable¬

mentà rencontrerletandem théorie/pratiquedanslequelrisque des'engluertoute réflexion car il s'agitd'un lieu commun trèspregnant, notamment dansTes milieux enseignants. Danscecheminementrapideet sélectif, jevoudrais pointerdes signifi¬

cations, des connotationset des implications du terme« pratique » ; etpour cela desrencontres ponctuelles avecson associé,lemot«théorie»,serontnécessaires.

Lebinômethéorie/pratiquesuggèreuneformederelation entrelesavoiretl'action i 1T5 dans laquelle la théorie précéderaitetdéterminerait la pratique. Cette forme serait I même dominante, quasi exclusive: entend-onjamais parlerà l'inverse de relation pratique/théorie? On peut donc se demandersi cette formule, « la relation théo¬

rie/pratique », n'est pas l'indice d'un mythe moderne protéiforme touchant à la place et austatutdu savoir.

Théorie et pratique, de l'incompatibilité à la dépendance

Pour comprendre l'usage contemporain du mot « pratique » et son association ambiguë aumot«théorie », il importe de rappeler quecette dichotomieestl'héri¬

tière d'un dualisme radical. Dans la philosophie platonicienne théoros désigne la contemplation, c'est-à-dire l'observation, dans un repos parfait, du cosmos qui se meutéternellement, de lui-même, sans assistance. Cettecontemplation immobileet désintéressée d'un monde parfaitconstituait la forme de vie (a plus haute et sa

Pages115-122 RECHERCHEet FORMATION 27 - 1998

AUTOUR DU MOT

«

PRATIQUE

»

Cette RubuiouE pnoposEautourd'uNoudEoueLquesmots uneIiaIte pensiveàtraversun ckoîXdEcilATiONSSÎqNiFiCATivESEMPRUNTÉES ÀdESÉpOOUES, dESllEUXETdES hORIZONS dîFfÉ-RENTS.

Les mots ne prennent sens que par rapportà d'autres dont ils sontproches, avec lesquels ilsentretiennent des relations de voisinage ou bien,au contraire,avec les¬

quels ilssontenopposition, etcela selon des effetsde substitutionetdedécalages complexes et conjoints. Ainsi s'intéresser au mot «pratique » conduit inexorable¬

mentà rencontrerletandem théorie/pratiquedanslequelrisque des'engluertoute réflexion car il s'agitd'un lieu commun trèspregnant, notamment dansTes milieux enseignants. Danscecheminementrapideet sélectif, jevoudrais pointerdes signifi¬

cations, des connotationset des implications du terme« pratique » ; etpour cela desrencontres ponctuelles avecson associé,lemot«théorie»,serontnécessaires.

Lebinômethéorie/pratiquesuggèreuneformederelation entrelesavoiretl'action i 1T5 dans laquelle la théorie précéderaitetdéterminerait la pratique. Cette forme serait I même dominante, quasi exclusive: entend-onjamais parlerà l'inverse de relation pratique/théorie? On peut donc se demandersi cette formule, « la relation théo¬

rie/pratique », n'est pas l'indice d'un mythe moderne protéiforme touchant à la place et austatutdu savoir.

Théorie et pratique, de l'incompatibilité à la dépendance

Pour comprendre l'usage contemporain du mot « pratique » et son association ambiguë aumot«théorie », il importe de rappeler quecette dichotomieestl'héri¬

tière d'un dualisme radical. Dans la philosophie platonicienne théoros désigne la contemplation, c'est-à-dire l'observation, dans un repos parfait, du cosmos qui se meutéternellement, de lui-même, sans assistance. Cettecontemplation immobileet désintéressée d'un monde parfaitconstituait la forme de vie (a plus haute et sa

Pages115-122 RECHERCHEet FORMATION 27 - 1998

Autourdu mot«Pratique»

conquêteétaitl'objetd'exercices spirituels(1).Cependantcettesupériorités'accom¬

pagnait d'une coupure radicale : toute activité ne pouvait que troubler et, finale¬

ment, interrompre lacontemplation. Cet isolementhautain dela théorie conduisait à penser la pratique dans un tout autre cadre, sans aucun rapport avec la vie contemplative, celuidelavieactive(2).

L'association desdeux mots, théorie/pratique, remonteau Moyen Âge. Alain Rey indique :

« Pratique:application desrègles etprincipess'oppose

-

dès leXIVesiècle

-

à

théorie,aussidansleslocutions mettreenpratique (1588) quiéquivaut à appli¬

quer,danslaprafique(1656)efenprafique. »(3)

Ainsi lathéorie conservesasuprématie,mais sonoppositionà la pratiqueperdsa dimensiond'altérité inaccessible. Elledevientcequi pilote la pratique. De fa diffé¬

renceabsolueon passeà une relation dedomination/dépendance. La relation de la théorie à la pratique, édifiée sur une distinction d'abord indépassable, a conservédesesoriginesuneasymétrie fondamentale. Lathéorie peut être construite de façon autonome, tandis que la prafique semble n'exister que sous la dépen¬

danced'une théorie dontelle constituerait en quelque sorte la conséquence ou l'effet.

La prafique découlerait nécessairementd'un savoir dont elle serait la mise en et l'articulation théorie/pratique ne pourraitalors être pensée que comme application, laquelleprendraitsoitunaspectderéalisation, soitunaspect d'exécu¬

tion.Dans lepremiercas,lapratiqueestpenséecommecequifaitexister uneidée dansJajéalitéparxontrasteweccellequi^i'auraitd'existencequ'abstraite.4)ans4e

1 16 | second cas, la pratique est pensée plutôten terme de mise en oeuvre avec une connotationdeconformité àdesprescriptions.

La «

pratique

»

comme réalisation

De ce pointde vue la pratique constitueraitla réalisation de la théorie. Ilyaurait entreelles unlienchronologique et causal:lesavoirdétermineraitunenchaînement d'actions, un processus de production. L'accent porteraittantôt sur la réalisation commeprocessus,tantôtsurla réalisationcommeobjet; maisquoiqu'ilen soit,seul unsavoir préalablepermettrait la constructiond'un projet,l'élaboration d'une pla¬

nificationetsaconcrétisation.

1 - P.Hadot,Exercicesspirituelsetphilosophie antique,Paris, Étudesaugustiniennes, 1987.

2 - H.Arendt, Condition del'homme moderne,Paris,Calmann-Lévy, 1983.

3 - A.Rey(dir.),Dictionnaire historique de la langue française,Paris,DictionnaireLeRobert, 1992, pp. 1607-1608.

RECHERCHEclFORMATION 27 - 1998 Autourdu mot«Pratique»

conquêteétaitl'objetd'exercices spirituels(1).Cependantcettesupériorités'accom¬

pagnait d'une coupure radicale : toute activité ne pouvait que troubler et, finale¬

ment, interrompre lacontemplation. Cet isolementhautain dela théorie conduisait à penser la pratique dans un tout autre cadre, sans aucun rapport avec la vie contemplative, celuidelavieactive(2).

L'association desdeux mots, théorie/pratique, remonteau Moyen Âge. Alain Rey indique :

« Pratique:application desrègles etprincipess'oppose

-

dès leXIVesiècle

-

à

théorie,aussidansleslocutions mettreenpratique (1588) quiéquivaut à appli¬

quer,danslaprafique(1656)efenprafique. »(3)

Ainsi lathéorie conservesasuprématie,mais sonoppositionà la pratiqueperdsa dimensiond'altérité inaccessible. Elledevientcequi pilote la pratique. De fa diffé¬

renceabsolueon passeà une relation dedomination/dépendance. La relation de la théorie à la pratique, édifiée sur une distinction d'abord indépassable, a conservédesesoriginesuneasymétrie fondamentale. Lathéorie peut être construite de façon autonome, tandis que la prafique semble n'exister que sous la dépen¬

danced'une théorie dontelle constituerait en quelque sorte la conséquence ou l'effet.

La prafique découlerait nécessairementd'un savoir dont elle serait la mise en et l'articulation théorie/pratique ne pourraitalors être pensée que comme application, laquelleprendraitsoitunaspectderéalisation, soitunaspect d'exécu¬

tion.Dans lepremiercas,lapratiqueestpenséecommecequifaitexister uneidée dansJajéalitéparxontrasteweccellequi^i'auraitd'existencequ'abstraite.4)ans4e

1 16 | second cas, la pratique est pensée plutôten terme de mise en oeuvre avec une connotationdeconformité àdesprescriptions.

La «

pratique

»

comme réalisation

De ce pointde vue la pratique constitueraitla réalisation de la théorie. Ilyaurait entreelles unlienchronologique et causal:lesavoirdétermineraitunenchaînement d'actions, un processus de production. L'accent porteraittantôt sur la réalisation commeprocessus,tantôtsurla réalisationcommeobjet; maisquoiqu'ilen soit,seul unsavoir préalablepermettrait la constructiond'un projet,l'élaboration d'une pla¬

nificationetsaconcrétisation.

1 - P.Hadot,Exercicesspirituelsetphilosophie antique,Paris, Étudesaugustiniennes, 1987.

2 - H.Arendt, Condition del'homme moderne,Paris,Calmann-Lévy, 1983.

3 - A.Rey(dir.),Dictionnaire historique de la langue française,Paris,DictionnaireLeRobert, 1992, pp. 1607-1608.

RECHERCHEclFORMATION 27 - 1998

Autourdumot « Pratique»

La pratiquepeut alors être assimilée à cequeBachelard, dans sa présentation du rationalismeappliqué,dénomme«réalisation »ou«phénomène réalisé» :

« Pour cerationalisme prospecteur (...) l'application n'est pas une mutilation;

l'actionscientifiqueguidéeparlerationalismemathématique n'est pasune tran¬

saction surles principes. Laréalisationd'unprogramme rationnel d'expériences détermine une réalité expérimentale sans irrationalité. Nous aurons l'occasion deprouverquelephénomèneordonnéest plusrichequelephénomène naturel (...). Le phénomène réalisédoitêtre protégé contre touteperturbation irration¬

nelle (...). Pour le rationalisme scientifique l'application n'est pas une défaite, un compromis. Ilveuts'appliquer. S'il s'appliquemal, il semodifie. Il ne renie paspourcelasesprincipes,illesdialectise.»(4)

Lesexpressionsde Bachelard montrentlestatutdélicatdu phénomène réalisé, c'est-à-direde lapratique:il estquestionde« mutilation»,de«défaite»,de«compro¬

mis »,de« perturbation». Malgrésesdénégations,cesmotssuggèrentlerisquede décalage ef dedéperdition qu'ilyadans lepassageduprojet rationnel, théorique (ici mathématique), àsaréalisation. D'ailleurs écrire:«Ilveuts'appliquer. S'ils'ap¬

pliquemal, il semodifie », misesurune ambiguïtéouplutôt unesurdétermination allusive:ce « il »joue surunusage impersonnel,grammaticalementusuel, etsurla connotation métaphysique qui traverse lesréférencesàlavolontéetà laraison. Ce quiestenquestion c'est lapossibilité deplierleréel auxloisde laraison, c'estson imperfection, sonpotentiel d'irrationalitéqu'ils'agit deréduire. Ce texte met face à face une entité, la raison, et la réalité dans sa richesse trompeuse. Et même s'il engage à penser la relation théorie/pratiquesur le modedialectique, la primauté duprogrammerationnel demeure incontestable.

La «

pratique », exécution et procédure

Revenonssurl'expression « phénomène ordonné»,qui désigne à la fois le phéno¬

mène mis enordre, planifié,maisaussi lephénomènedirigé,commandéparla rai¬

son. Cette double signification est essentielle dans la relation théorie/pratique. Le

savoir pensé en terme mathématique se présente sous une forme abstraite. Est-il possiblecependant de maintenir dissocié cet aspect logique et intellectuel de son aspectprescriptifet normatif? La théorie parait renvoyer de façon privilégiée à la connaissance spéculative et, par là, à la connaissance scientifique. Cet usage recouvrepourtantune tonalité prescriptive, même si elle n'est pas explicite, même si, bien plus, elle tend à être occultée. Lapratique, c'est alors l'accomplissement d'actions selon des modalités décidées etdéfinies, souvent, par d'autres. Ainsi se trouveréintroduitunsujetouunacteur,celuiqui assumelapratique.

4 - G.Bachelard,Laphilosophie dunon, Paris,PUF,1966, pp. 6-7.

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RECHERCHEetFORMATION N° 27 - 1998 Autourdumot « Pratique»

La pratiquepeut alors être assimilée à cequeBachelard, dans sa présentation du rationalismeappliqué,dénomme«réalisation »ou«phénomène réalisé» :

« Pour cerationalisme prospecteur (...) l'application n'est pas une mutilation;

l'actionscientifiqueguidéeparlerationalismemathématique n'est pasune tran¬

saction surles principes. Laréalisationd'unprogramme rationnel d'expériences détermine une réalité expérimentale sans irrationalité. Nous aurons l'occasion deprouverquelephénomèneordonnéest plusrichequelephénomène naturel (...). Le phénomène réalisédoitêtre protégé contre touteperturbation irration¬

nelle (...). Pour le rationalisme scientifique l'application n'est pas une défaite, un compromis. Ilveuts'appliquer. S'il s'appliquemal, il semodifie. Il ne renie paspourcelasesprincipes,illesdialectise.»(4)

Lesexpressionsde Bachelard montrentlestatutdélicatdu phénomène réalisé, c'est-à-direde lapratique:il estquestionde« mutilation»,de«défaite»,de«compro¬

mis »,de« perturbation». Malgrésesdénégations,cesmotssuggèrentlerisquede décalage ef dedéperdition qu'ilyadans lepassageduprojet rationnel, théorique (ici mathématique), àsaréalisation. D'ailleurs écrire:«Ilveuts'appliquer. S'ils'ap¬

pliquemal, il semodifie », misesurune ambiguïtéouplutôt unesurdétermination allusive:ce « il »joue surunusage impersonnel,grammaticalementusuel, etsurla connotation métaphysique qui traverse lesréférencesàlavolontéetà laraison. Ce quiestenquestion c'est lapossibilité deplierleréel auxloisde laraison, c'estson imperfection, sonpotentiel d'irrationalitéqu'ils'agit deréduire. Ce texte met face à face une entité, la raison, et la réalité dans sa richesse trompeuse. Et même s'il engage à penser la relation théorie/pratiquesur le modedialectique, la primauté duprogrammerationnel demeure incontestable.

La «

pratique », exécution et procédure

Revenonssurl'expression « phénomène ordonné»,qui désigne à la fois le phéno¬

mène mis enordre, planifié,maisaussi lephénomènedirigé,commandéparla rai¬

son. Cette double signification est essentielle dans la relation théorie/pratique. Le

savoir pensé en terme mathématique se présente sous une forme abstraite. Est-il possiblecependant de maintenir dissocié cet aspect logique et intellectuel de son aspectprescriptifet normatif? La théorie parait renvoyer de façon privilégiée à la connaissance spéculative et, par là, à la connaissance scientifique. Cet usage recouvrepourtantune tonalité prescriptive, même si elle n'est pas explicite, même si, bien plus, elle tend à être occultée. Lapratique, c'est alors l'accomplissement d'actions selon des modalités décidées etdéfinies, souvent, par d'autres. Ainsi se trouveréintroduitunsujetouunacteur,celuiqui assumelapratique.

4 - G.Bachelard,Laphilosophie dunon, Paris,PUF,1966, pp. 6-7.

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Autourdu mot«Pratique»

Ilest intéressantde noter ici que le mot pratique appartientau langage juridique danslechampduquelildésigne la procédure,dès le XIVesiècle.

«Ledénominatif Pratiquer(1370)correspondà "mettreen pratique","mettre à exécution (uneprescription, unerèglemorale, religieuse)", "exécuter (uneopé¬

ration) selon les règles prescrites", surtout en médecine (1588). Il signifie cou¬

ramment"exercer(uneactivité,unmétier)" (1534). »(5)

Les risques de décalage ne sontdonc pas, dans ce cas, limités à l'écartentre le rationnel et leréel. S'y ajoute l'attitude du sujet lui-même : manifeste-t-il suffisam¬

mentd'adhésion, de soumission,aux principes formulés?

Lemot« théorie »entrelaceparconséquentdeux champs de références : celui du savoir scientifique surcequiest, notammentles loisdela nature, et celui des prin¬

cipes,c'est-à-direcequidoitêtre et quel'ondoit faireadvenir comme acteur social responsable et respectueux. Cet entrelacement a un double effet. Il confère au savoir scientifiqueunstatutde fondement légitime,c'est-à-direfinalement unefonc¬

tion normative. Etinversement il confèreunetonalité rationnelle efscientifiqueaux décisions etauxprescriptions, commesi on nepouvaitycontrevenirsans contreve¬

nirà laraisonelle-même. Cette interpénétrationconsolideuneapproche technique, onpourraitdireaussitechnocratique.

Lemot« prafique» estpris dans cetenchevêtrement. Du praticien aupratiquant,il couvretoute unegamme de nuancesquiassocient, dansdes proportionssubtiles et opaques,desaspectsderéalisation créativeetd'exécution conformiste.

Ainsi le binôme Jiéorie/pratique-entretient-une-confusion-entre-deux-domaines-tout-à faithétérogènes queles stoïciensprenaientsoindedistinguer: « cequi dépend

^e

moi »et«cequinedépend pasdemoi ». Eneffet,d'unepart, ilyacequi est

ef le savoirsurcequi est, c'est-à-direles loisde la nature. Ces lois étant indépen¬

dantes de ma volonté, elles mettentà jourdes déterminismes sur lesquels je n'ai aucun pouvoir, si ce n'est par une stratégie détournée, en m'attachant à les connaîtreafin delesutiliser. C'estledomaine de lapratiqueentant que réalisation au sensoù l'entend Bachelard. D'autre part, ily a lesloishumaines portant sur ce qui peutfairel'objetdedécisions, sur ce quidépend demavolonté etqui définis¬

sent cequidoitêtre.C'estlechamp delapratiqueentantqu'exécutiond'unvouloir orientépardesprincipes(6).

5 - A.Rey,op. cit.

6 - Déterminés, selon lescas,individuellementoucollectivement.

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Autourdu mot«Pratique»

Ilest intéressantde noter ici que le mot pratique appartientau langage juridique danslechampduquelildésigne la procédure,dès le XIVesiècle.

«Ledénominatif Pratiquer(1370)correspondà "mettreen pratique","mettre à exécution (uneprescription, unerèglemorale, religieuse)", "exécuter (uneopé¬

ration) selon les règles prescrites", surtout en médecine (1588). Il signifie cou¬

ramment"exercer(uneactivité,unmétier)" (1534). »(5)

Les risques de décalage ne sontdonc pas, dans ce cas, limités à l'écartentre le rationnel et leréel. S'y ajoute l'attitude du sujet lui-même : manifeste-t-il suffisam¬

mentd'adhésion, de soumission,aux principes formulés?

Lemot« théorie »entrelaceparconséquentdeux champs de références : celui du savoir scientifique surcequiest, notammentles loisdela nature, et celui des prin¬

cipes,c'est-à-direcequidoitêtre et quel'ondoit faireadvenir comme acteur social responsable et respectueux. Cet entrelacement a un double effet. Il confère au savoir scientifiqueunstatutde fondement légitime,c'est-à-direfinalement unefonc¬

tion normative. Etinversement il confèreunetonalité rationnelle efscientifiqueaux décisions etauxprescriptions, commesi on nepouvaitycontrevenirsans contreve¬

nirà laraisonelle-même. Cette interpénétrationconsolideuneapproche technique, onpourraitdireaussitechnocratique.

Lemot« prafique» estpris dans cetenchevêtrement. Du praticien aupratiquant,il couvretoute unegamme de nuancesquiassocient, dansdes proportionssubtiles et opaques,desaspectsderéalisation créativeetd'exécution conformiste.

Ainsi le binôme Jiéorie/pratique-entretient-une-confusion-entre-deux-domaines-tout-à faithétérogènes queles stoïciensprenaientsoindedistinguer: « cequi dépend

^e

moi »et«cequinedépend pasdemoi ». Eneffet,d'unepart, ilyacequi est

ef le savoirsurcequi est, c'est-à-direles loisde la nature. Ces lois étant indépen¬

dantes de ma volonté, elles mettentà jourdes déterminismes sur lesquels je n'ai aucun pouvoir, si ce n'est par une stratégie détournée, en m'attachant à les connaîtreafin delesutiliser. C'estledomaine de lapratiqueentant que réalisation au sensoù l'entend Bachelard. D'autre part, ily a lesloishumaines portant sur ce qui peutfairel'objetdedécisions, sur ce quidépend demavolonté etqui définis¬

sent cequidoitêtre.C'estlechamp delapratiqueentantqu'exécutiond'unvouloir orientépardesprincipes(6).

5 - A.Rey,op. cit.

6 - Déterminés, selon lescas,individuellementoucollectivement.

RECHERCHEetFORMATION N" 27 - 1998

Autourdu mot«Pratique:

Pratique et action

Si l'on sépare la pratiquedela théorie, ellenegagne pas pour autantsonautono¬

mie, car serévèle alors son lien à l'habitude, à la répétition. Elle s'enracine dans l'expérience et elle la développe, stimulantdescapacitésmaisaussidesroutines.

« Le sens neutre de "manière habituelle à unepersonne à ungroupedefaire Quelquechose" (v. 1465) restevivant, entraînant celui d'"expérience, habitude

eschoses"(1530).»(7)

Ainsi, bien plus, lapratique n'est passeulementsousla dépendance de savoirs ou deprincipes. Elleestaussi sousladépendancedel'action.

« Pourbienvoircequiesten jeuon peutserappeler que legrec etlelatin(...) ontdeux mots distincts,encore qu'apparentés,pour leverbe "agir". Auxdeux verbes grecsarchein ("commencer", "guider",etenfin"commander") et prattein ("traverser", "aller jusqu'au bout", "achever"), correspondent en latin agere ("mettreen mouvement", "mener") et gerere (dontlepremiersens est"porter").

Ondiraitque chaque actionétait diviséeendeuxparties, lecommencementfait par une personne seule etl'achèvement auquel plusieurspeuventparticiperen

"portant",en"terminant" l'entrepriseenallantjusqu'au bout. »(8)

On peut considérer que l'on retrouve une dissociation du même ordre avec les termesd'action etdepratique. Ainsi la pratiquesuppose uneimpulsion initialequi setrouveà l'extérieurd'elle, dont elleassure lacontinuité. La pratique s'inscrit, de ce fait, dans uncontexte socialcomplexe de partagedestâches etdecoopération entreleshommesdans lequel elle occupeuneposition subalterne; ils'agitdepour¬

suivrecequi aétécommencé.

119

Une troisième voie pour définir la pratique?

Les manières de penser la pratique et ses relations avec la théorie ont subi des transformations radicales entre la période grecque,leMoyenAge et leXIXesiècle.

L'enjeu de l'efficacité devient particulièrement manifeste dans certaines définitions contemporaines:

« Notre expérience de formation comme de recherche nous a convaincu de l'intérêt heuristique de définir dans un premier temps une pratique comme un processusdetransformation d'uneréalitéenuneautre réalité, requérantl'inter¬

vention d'un opérateur humain. Cette définition présente la vertu en effet de conduire à une réflexion obligée, pourspécifier uneprafique, deparvenirà une

7 - A.Rey,op. cit.

8 - H.Arendt, op.cit., p.213.

RECHERCHEetFORMATION 27 - 1998 Autourdu mot«Pratique:

Pratique et action

Si l'on sépare la pratiquedela théorie, ellenegagne pas pour autantsonautono¬

mie, car serévèle alors son lien à l'habitude, à la répétition. Elle s'enracine dans l'expérience et elle la développe, stimulantdescapacitésmaisaussidesroutines.

« Le sens neutre de "manière habituelle à unepersonne à ungroupedefaire Quelquechose" (v. 1465) restevivant, entraînant celui d'"expérience, habitude

eschoses"(1530).»(7)

Ainsi, bien plus, lapratique n'est passeulementsousla dépendance de savoirs ou deprincipes. Elleestaussi sousladépendancedel'action.

« Pourbienvoircequiesten jeuon peutserappeler que legrec etlelatin(...) ontdeux mots distincts,encore qu'apparentés,pour leverbe "agir". Auxdeux verbes grecsarchein ("commencer", "guider",etenfin"commander") et prattein ("traverser", "aller jusqu'au bout", "achever"), correspondent en latin agere ("mettreen mouvement", "mener") et gerere (dontlepremiersens est"porter").

Ondiraitque chaque actionétait diviséeendeuxparties, lecommencementfait par une personne seule etl'achèvement auquel plusieurspeuventparticiperen

"portant",en"terminant" l'entrepriseenallantjusqu'au bout. »(8)

On peut considérer que l'on retrouve une dissociation du même ordre avec les termesd'action etdepratique. Ainsi la pratiquesuppose uneimpulsion initialequi setrouveà l'extérieurd'elle, dont elleassure lacontinuité. La pratique s'inscrit, de ce fait, dans uncontexte socialcomplexe de partagedestâches etdecoopération entreleshommesdans lequel elle occupeuneposition subalterne; ils'agitdepour¬

suivrecequi aétécommencé.

119

Une troisième voie pour définir la pratique?

Les manières de penser la pratique et ses relations avec la théorie ont subi des transformations radicales entre la période grecque,leMoyenAge et leXIXesiècle.

L'enjeu de l'efficacité devient particulièrement manifeste dans certaines définitions contemporaines:

« Notre expérience de formation comme de recherche nous a convaincu de l'intérêt heuristique de définir dans un premier temps une pratique comme un processusdetransformation d'uneréalitéenuneautre réalité, requérantl'inter¬

vention d'un opérateur humain. Cette définition présente la vertu en effet de conduire à une réflexion obligée, pourspécifier uneprafique, deparvenirà une

7 - A.Rey,op. cit.

8 - H.Arendt, op.cit., p.213.

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Dans le document Les savoirs de la pratique (Page 115-123)