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Morphologie des secteurs de psychiatrie générale 166

3.1   La désinstitutionalisation à la française : du lieu au milieu 153 

3.1.4   Morphologie des secteurs de psychiatrie générale 166

Le découpage des secteurs s’inscrivant initialement dans celui des départements, nous avons cherché à voir de quelle façon il recoupait le maillage communal qui constitue la trame

territoriale de niveau inférieur. Nous avons constitué23 les contours des secteurs à partir de

leur description en termes de listes de cantons, de communes, de quartiers, de rues voire de fractions de rue qui figure dans les schémas régionaux d’organisation des soins psychiatriques, puis établi la correspondance entre ces secteurs et les IRIS (Ilots Regroupés pour des Indicateurs Statistiques) du découpage de l’INSEE. Les IRIS constituent la maille

23 Ce travail a été accompli à mon initiative dans le cadre de mes fonctions de chargée d’études à la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du Ministère de la Santé (Coldefy, 2003).

élémentaire en matière de diffusion de données infra-communales, la taille visée par ces zones est de 2 000 habitants).

L'analyse statistique et visuelle du découpage des secteurs de psychiatrie générale tel qu'il est arrêté administrativement en 2003 fait apparaître quatre grands types de morphologie spatiale des secteurs de psychiatrie:

-

les secteurs urbains mono-communaux ou composés d'une fraction de commune,

-

les secteurs composés d'un regroupement de communes entières,

-

les secteurs radiaux centrés sur la ville, chaque secteur ayant une petite partie urbaine et

une partie rurale plus ou moins importante.

-

les secteurs composés de plusieurs « polygones » au sens spatial du terme, constitués de

zones discontinues, avec généralement un ancrage urbain et une enclave rurale.

Les secteurs urbains mono­communaux 

Sur les 814 secteurs de psychiatrie métropolitains pour lesquels le découpage précis a pu être reconstitué, 69 sont composés d'une seule unité territoriale : commune ou fraction de commune (Figure 23).

35 secteurs sont composés d'une commune entière, dont 16 arrondissements parisiens, lyonnais ou marseillais. Exceptées les communes de Pessac en Gironde, Bron, Vaulx-en- Velin et Villeurbanne dans le Rhône, les communes restantes constituant un secteur entier

sont toutes situées en région parisienne : Asnières-sur-Seine, Clichy, Colombes,

Courbevoie, Levallois-Perret, Neuilly-sur-Seine, Rueil-Malmaison, Aubervilliers, Aulnay- sous-Bois, Champigny-sur-Marne, Créteil, Ivry-sur-Seine, Maisons-Alfort, Villejuif, Vitry- sur-Seine. Ces communes ou arrondissements comptent de 39 000 à 124 000 habitants au recensement de 1999. Les deux extrêmes sont les communes de Vaulx-en-Velin et Villeurbanne dont la forte croissance urbaine depuis les années 1960 a dû amener à un redécoupage, elles comptaient respectivement 20 000 et 120 000 habitants en 1968.

34 secteurs de psychiatrie générale sont composés exclusivement d'une fraction communale. Nous trouvons ici les fractions d'arrondissements parisiens très peuplés, et des fractions de communes telles que Nice, Dijon, Bordeaux, Béziers, Montpellier, Nantes, Nevers, Lille, Roubaix, Strasbourg, Toulon, Boulogne-Billancourt, Nanterre, Montreuil et Saint-Denis. Il est étonnant de trouver ici les communes de Nevers et Béziers qui comptent respectivement 41 000 et 69 000 habitants, leur fractionnement ne paraissant pas justifié par leur taille démographique.

Sur la Figure 23, qui représente le découpage en secteurs du département des Hauts-de- Seine, nous pouvons ainsi visualiser comment les communes de Nanterre et de Boulogne- Billancourt sont respectivement divisées entre les secteurs 92G10 et 92G22 pour la première, entre les secteurs 92G12 et 92G14 pour la seconde. Les secteurs représentés en gras sur la figure, tels que les 92G02, 92G03, 92G04 et 92G06 sont quant à eux, composés d’une commune unique et entière et correspondent respectivement aux communes d’Asnières-sur-Seine, Clichy, Levallois-Perret et Colombes.

Dans le numéro de Recherches consacré à l'histoire de la psychiatrie de secteur, les psychiatres de l'époque s'interrogeaient sur la validité du secteur en milieu urbain car il est en effet plus difficile d'approcher une réalité sociale dans une métropole. Tosquelles s'exprimait ainsi « Je me suis demandé, dans un procès autocritique, si cette notion de secteur

n'était pas une conception qui était valable seulement disons dans la Catalogne de 1934 ou même dans la France d'avant guerre, c'est à dire lorsque le milieu paysan pesait d'un poids réel dans la structure des rapports de production. Les villes et la concentration industrielle font que l'espace humain présente des modulations rendant plus difficile ce qui, pour nous, était essentiel dans le secteur, c'est à dire la continuité des soins. Nous avions coutume de dire qu'il fallait imiter la pratique du médecin du village omnipraticien. Il se préoccupe essentiellement des relations humaines dans le village » ; et d'illustrer par sa pratique : « Autant dans les dispensaires qui ont été créés en Lozère en 1941, je savais à peu près ce que je faisais, autant par exemple quand je me suis occupé d'un dispensaire à Melun, alors là j'ai jamais su ce que j'y foutais, en dehors du fait que je prescrivais du Largactyl et que j'y héritais d'un certain nombre de scotomisations. Jamais je n'ai pu soigner quelqu'un dans un dispensaire classique à Melun. […] Dans les villages paysans, la famille n'était jamais fermée sur elle-même ; disons que toutes les maisons avaient des fenêtres. Une des choses qui nous a amusées avec Chaurand du temps de Saint-Alban, entre blague et sérieux, c'était de faire des promenades à la campagne pour découvrir les maisons qui avaient toujours les fenêtres fermées. On faisait comme ça une sorte de cartographie et il nous suffisait d'attendre, on savait que c'était là qu'on fabriquait des schizophrènes et on les attendait […]. » (Fourquet & Murard, 1980, p.266-267).

Daumézon s'interroge de la même façon : « qu'on dise : le secteur du Gâtinais, ou le secteur de

il y a le commissariat et peut-être les paroisses, mais en dehors de ça, ça ne correspond à rien. Le Giennois c'est un ensemble. […] Bien sûr, il vaut mieux avoir son dispensaire au centre de sa zone, pour que les gens s'y rendent facilement, mais pour s'accrocher sur une réalité sociale, il faut qu'elle existe, ce qui n'est pas le cas [dans les mégapoles] ». (Fourquet & Murard, 1980,

p.266).

Cependant, certains vont quand même trouver cette réalité sociale à laquelle accrocher leur pratique dans des quartiers urbains. Tosquelles raconte ainsi son expérience marseillaise dont il tire un bilan positif dans deux quartiers particuliers : dans le quartier d'Endoume, « un quartier qui touche au port, un quartier de pêcheurs, l'équivalent d'une forme de vie

collective assez semblable à celle des paysans », et dans un quartier arménien « où la collectivité arménienne avait une sorte de cohésion interne, inter-familiale ». (Fourquet & Murard, 1980,

p.267).

Les secteurs pluri­communaux 

417 secteurs sont composés d'un groupement de communes « entières » (Figure 24). Le nombre de communes par secteur varie de 2 à 255 communes. La moitié des secteurs sont constitués de moins de 40 communes. Les deux tiers de ces secteurs sont constitués à plus de 80 % de communes à dominante urbaine et moins de 10 % des secteurs sont constitués à 70 % de communes à dominante rurale. Le dernier quart est constitué d'un mélange de communes rurales et urbaines. Les cinq secteurs de psychiatrie générale de l’Ardèche, rattachés au centre hospitalier Sainte-Marie de Privas et représentés sur la Figure 25, constituent un exemple typique de cette configuration spatiale.

Figure 24 Les secteurs pluri-communaux en France métropolitaine (2006)

Figure 25 Le découpage en secteurs du département de l’Ardèche en 2006

Les secteurs radiaux continus 

193 secteurs sont composés d'un ensemble continu de communes et fractions de communes (Figure 26). Dans tous les cas, le découpage est alors centré sur la ville, ce qui correspond le plus souvent à la localisation de l’hôpital et témoigne donc d’un effet de « path dependency » entre la localisation initiale des asiles et le découpage en secteurs. Le départ de la Haute- Vienne, avec ses secteurs centrés autour de l’établissement hospitalier Esquirol, et découpant la ville de Limoges, est un parfait exemple de ce modèle spatial (Figure 27).

Figure 26 Les secteurs radiaux centrés sur la ville en France métropolitaine (2006)

Figure 27 Le découpage en secteurs radiaux du département de la Haute-Vienne en 2006

Les secteurs discontinus 

Enfin, 128 secteurs (Figure 28) peuvent être qualifiés de discontinus dans le sens où ils sont composés de plusieurs « morceaux » ou « polygones », soit de zones non contiguës (zones insulaires exclues). La plupart se rapprochent de la forme radiale précédemment évoquée, ils sont composés d’une fraction de la commune principale et d’une zone plus excentrée distante de la commune centre, comme nous pouvons le voir dans l’exemple de la Haute- Garonne représenté sur la Figure 29.

Figure 28 Les secteurs discontinus en France métropolitaine (2006)

Figure 29 Le découpage en secteurs discontinus dans le département de la Haute-Garonne

Les zones agrandies sur les Figure 27 et Figure 29 montrent que le découpage s’adapte parfois aux contraintes géographiques (fleuves ou axes routiers) notamment dans les formes radiales et discontinues.

Considérant ces quatre configurations spatiales, on peut se demander si certaines répondent mieux aux objectifs et ambitions de la politique de sectorisation pensée par la profession médicale, à l'idée d'une communauté thérapeutique. Est-ce que ces découpages soutiennent l'argument d'une conception territoriale des soins appropriée aux besoins de la population couverte ?

Les trois premières configurations correspondent à une conception plus classique du territoire, le territoire étant perçu dans sa continuité. La dernière configuration peut être vue comme l’émergence d’autres conceptions territoriales, non plus en continuité mais en connexité, les localisations étant réunies par des éléments de réseau.

Les deux premières configurations, agrégation de communes entières et contigües, combinent ainsi un critère de taille de population, de proximité et un critère administratif (ajustement des limites des secteurs sur les limites communales), et peuvent apparaître plus homogènes en termes de population couverte du fait de leur appartenance à des zones soit essentiellement urbaines, soit essentiellement rurales. Ainsi, par exemple, l'exercice de la psychiatrie en milieu rural s'avère particulier en termes d'offre et de demande de soins (Pidolle, 1995) du point de vue des pratiques (difficulté d'accès à une population dispersée, nécessité de multiplier les centres médico-psychologiques, besoin de véhicules de secteur, psychiatrie de liaison dans des hôpitaux locaux ou dans des hôpitaux généraux, éloignement des services d'hospitalisation à temps plein, surcoûts importants liés à la distance et à la taille des équipes, ou difficultés culturelles…). Les secteurs psychiatriques ruraux se caractérisent aussi par la présence importante sur leur territoire d'institutions médicales ou médico-sociales (hôpitaux locaux, petits hôpitaux généraux, unités de long séjour, maisons de retraite, instituts médico-éducatifs, centres d'aide par le travail…) géographiquement dispersées. L'étude réalisée par le Dr Pidolle à partir d’exemples pris dans quelques régions fait apparaître certaines spécificités de la demande de soins en milieu rural, notamment les besoins de soins particuliers pour les personnes âgées, les troubles liés à la consommation

d'alcool. D'autre part, la psychiatrie libérale étant peu implantée en milieu rural, les secteurs de psychiatrie ruraux vont recevoir des demandes de soins importantes pour des problèmes dépressifs non psychotiques, des troubles névrotiques. « Certains psychiatres […]

lient l'émergence de certains troubles à des composantes culturelles, sociales, particulières : […] familles « autochtones » avec un réseau de soutien important, familles « importées » (mythe du retour à la terre) plus marginales, souvent recomposées et « à problèmes » ». En outre, est posée

l’hypothèse de l’existence de réseaux sociaux spécifiques au milieu rural. « La demande de

soins psychiatriques en milieu rural traduit à la fois des problèmes spécifiques dus à la dispersion de la population (isolement, nécessaire solidarité de proximité, réseaux sociaux particuliers) et à l'agriculture devenue obsolète comme système référentiel de valeurs et à un système culturel dans lequel l'urbain est valorisé ».

Dans les deux types de configurations radiales où plusieurs types d'espace géographique sont associés dans un même secteur, cette hétérogénéité ne signifie pas nécessairement qu'il y a moins de lien social. Les déplacements individuels des habitants du péri-urbain se font souvent dans une forme de secteur triangulaire ou trapézoïdal centré sur la ville et avec une ou deux pointes dans la banlieue. Et ce découpage radial de la ville peut se conformer à celui des axes de transport et aux pratiques spatiales des habitants de l'aire urbaine.

Lorsque le critère de continuité n'est pas respecté, on peut faire l'hypothèse que le travail des équipes psychiatriques est rendu plus difficile et que d'autres considérations que la logique de proximité interviennent pour expliquer la formation des secteurs.

Par ailleurs, le découpage radial aboutit parfois à des situations « absurdes » telles que selon que l'on habite un numéro pair ou impair de la rue on va dépendre d'un secteur psychiatrique différent et donc d'une équipe et d'une gamme de services différentes.

Nous pouvons donc questionner ces configurations spatiales. La contrainte administrative et gestionnaire semble avoir dépassé l'approche clinique. L'objectif du découpage semble davantage obéir à des règles mathématiques (découper une zone d'environ 70 000 habitants) et administratives qu'à une ambition clinique, oubliant ainsi l'ambition initiale du secteur de créer et maintenir du lien social entre les patients et l'environnement dans lequel ils vivent, partager une histoire humaine commune et s'appuyer sur cette communauté

humaine pour prendre en charge le patient. Or, comme le rappelle le Dr Baillon lors de notre entretien, « une politique de soins s'articule sur une hypothèse clinique et pas sur une

logique administrative ; la clinique ne peut pas être au service de la gestion ». De même, le

principe égalitariste visant à éviter la ségrégation de certains patients semble s'opposer au principe de cohérence populationnelle, de communauté territoriale. On peut également voir dans certaines stratégies de découpage la nécessité d'attirer des psychiatres dans la chefferie des secteurs, chacun voulant avoir un « morceau de la ville » ou un « pied à l'hôpital » et ne voulant pas être relégué à la campagne ou dans des zones éloignées de l'institution hospitalière. En effet, au début de la mise en place de la sectorisation, la psychiatrie de secteur ne fait pas encore l’unanimité parmi la profession et pour une part non négligeable des professionnels, hors de l’hôpital on est un peu moins médecin. Les découpages avec un ancrage urbain peuvent ainsi être interprétés comme une conséquence de la volonté médicale de conserver une position professionnelle à l’hôpital.

Les choix de découpage révèlent des visions et ambitions différentes données à la politique de sectorisation. Par exemple, le découpage de secteurs autour de la structure hospitalière initiale peut être interprété comme une vision du secteur où l'hôpital reste au centre de la prise en charge. La construction de territoires indépendante de la structure hospitalière initiale peut donner davantage d'élan au développement de structures implantées au plus près de la population, tout en posant des difficultés concernant l'hospitalisation qui va rester longtemps au sein des structures initiales, et donc loin des lieux de vie des patients. Nous pouvons ainsi faire l'hypothèse que les secteurs radiaux centrés sur la ville vont avoir tendance à concentrer leur offre de soins dans la ville-centre plutôt que de la disperser sur le territoire, permettant ainsi une mutualisation des moyens à l'intérieur de la ville. Au contraire, les secteurs qui ne découpent pas une ville mais qui englobent plusieurs communes pourraient permettre de disperser les services et de couvrir plus équitablement le territoire desservi.

Nous pouvons ajouter une autre hypothèse. En effet, la destination spécialisée ou non de l'établissement de rattachement peut également jouer sur le découpage et l'organisation des soins. L'analyse des découpages semble montrer que les territoires incluant des communes

entières sont souvent rattachés à un centre hospitalier général (CHG ou EPS, établissement public de santé). Plusieurs motifs peuvent être évoqués : Les CHG ont souvent moins de secteurs rattachés qu'un centre hospitalier spécialisé dans la prise en charge de la maladie mentale (CHS ou EPSM, établissement public de santé mentale), voire un seul, ils sont davantage implantés dans des villes moyennes autour desquelles on construit plus facilement un territoire de 70 000 habitants.

Nous avons pu observer aussi le rôle important de la catégorie d'établissement sur le développement de structures dans la communauté : la connaissance et l’expérience de la psychiatrie pour les CHS et des enjeux du mouvement de désinstitutionalisation, les établissements généraux habitués à traiter les pathologies somatiques (médecine, chirurgie, obstétrique, MCO) peuvent ne pas comprendre l'intérêt et l'importance de développer des structures dans la communauté. Nous avons ainsi montré dans une étude réalisée à l'IRDES sur les disparités quantitatives et qualitatives des secteurs de psychiatrie générale et le degré d'achèvement de la politique de sectorisation cinquante ans après la mise en place de la circulaire de 1960, comment à moyens équivalents, le rattachement des secteurs à un centre hospitalier général ou à un centre hospitalier spécialisé dans la prise en charge de la santé mentale, va modifier les stratégies cliniques et le choix des outils thérapeutiques (Coldefy, Le Fur, Lucas-Gabrielli & Mousquès, 2009a; Coldefy, Le Fur, Lucas-Gabrielli & Mousquès, 2009b). Ainsi, lorsque les CHS développent des centres d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) et ateliers thérapeutiques, les CHG ou centres hospitaliers régionaux (CHR) préfèrent les hôpitaux de jour, structures plus hospitalières, souvent implantées dans l'enceinte de l'établissement. Nous pouvons voir ici des effets en retour de la forme prise par l’institution sur le type de culture clinique prévalant dans les structures hospitalières.

En France, le découpage en secteurs psychiatriques a précédé le développement des structures psychiatriques « extrahospitalières », c'était un préalable à leur développement. Nous pouvons donc interroger les effets de ce découpage sur les modèles spatiaux de localisation des services et sur le développement d'éventuels ghettos de services de dépendance. Une des hypothèses que l'on peut faire est que la configuration spatiale des

secteurs influe sur la couverture populationnelle du territoire de desserte en termes d'implantation de structures.