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La montée des « jeunes architectes progressistes » et la définition du référentiel

CHAPITRE 2 : « Des palais pour les ouvriers » ou l'esthétisation des politiques du

2) La montée des « jeunes architectes progressistes » et la définition du référentiel

Le blocus de Berlin et les prémices d’une administration centrale de la reconstruction transforment les termes du débat. D’une part, la création d’une administration centrale chargée de la création et de la diffusion de normes de construction à l’échelle nationale fit perdre à l’espace municipal l’importance qu’il revêtait dans les premières années de l’après- guerre. Si certains responsables municipaux croyaient toujours en 1948 que la construction de logements allait incomber aux municipalités3, le plan biennal de 1948, qui visait avant tout la

relance de l’industrie, enlevait aux municipalités tout contrôle direct sur l’allocation de ressources et tout espoir de commencer à courte ou à moyenne échéance les plans de reconstruction qu’elles avaient si péniblement établis. Des équipes d’urbanistes municipaux continuaient à travailler fiévreusement et les débats se poursuivaient, mais à partir du moment où la planification économique se centralisa, le centre de gravité se déplaça à Berlin. C’est là, que les « hommes nouveaux », relativement détachés des luttes se déroulant dans les grandes

1 Ces questions seront traitées avec plus de détails dans la troisième partie.

2 HOSCISLAWSKI (Thomas), Bauen zwischen Macht und Ohnmacht. Berlin, Verlag für Bauwesen, 1991. 3 BEYER, « Messestadt Leipzig… », op.cit.

et moyennes villes revendiquèrent avec un certain succès le monopole de la production de savoirs urbains en se faisant reconnaître comme les plus aptes à produire une politique uniforme sur l’ensemble du territoire de la zone soviétique. Les différentes scènes locales perdirent ainsi de leur pertinence dans la mesure où le noyau dur d’experts appelés à diriger le ministère central et la DBA était en voie de constitution à Berlin. Ils puisèrent certes dans les équipes de planification municipale pour constituer le personnel nécessaire au fonctionnement des deux institutions centrales, mais la concentration des talents à Berlin signifia finalement un affaiblissement de la capacité des communes à accéder à la scène politique nationale en voie de constitution.

Cette nationalisation de l’espace où se déroule le débat sur la reconstruction des villes fut facilitée par l’éloignement de la perspective d’une réunification suite au durcissement de la guerre froide. L’espace pertinent de référence ne pouvait plus se limiter à la conservation du caractère ou à la restructuration d’une ville, mais devait revêtir une dimension générale susceptible de trouver une résonance au sein d’un SED en passe d’abandonner l’espoir de s’imposer au delà des frontières de la zone soviétique. Par ailleurs, depuis la réforme monétaire dans les trois zones occidentales pendant l’été 1948, il était clair que la reconstruction à l’Ouest allait s’orienter vers la conservation de la propriété privée comme principe fondamental de la reconstruction. Les architectes détachés du travail quotidien de reconstruction dans les villes substituèrent alors à la problématique passé/présent/futur une problématique inscrite dans la compétition entre deux systèmes antagonistes. Cette « nationalisation » de la zone soviétique peut s’observer à travers l’histoire mouvementée de l’Institut für Bauwesen, précurseur de la DBA entre 1947 et 1950.

Sur l’invitation de Willi Stoph, Kurt Liebknecht, qui travaillait encore à l’Académie d’architecture à Moscou, prononça un discours le 29 janvier 1947 sur « le rôle de l’architecte dans la reconstruction de l’Union soviétique » devant un public constitué du Kulturbund (union de la culture) et de la Chambre des techniques, organisme regroupant les ingénieurs dans la zone soviétique1. L’objectif était de préparer le terrain pour la création d’un Institut

d’architecture sur le modèle de l’Académie d’architecture de l’Union soviétique, chargé de « résoudre, pour la première fois dans l’histoire, les problèmes d’architecture et de la reconstruction sur une base entièrement scientifique.[…] L’institut doit ouvrir des

1 L’analyse est essentiellement basé sur la description de la création de l’Institut für Bauwesen dans DURTH et

perspectives scientifiques pour contribuer à la reconstruction de l’ensemble du pays1. » Ce

discours fut préalablement préparé en petit comité avec Wilhelm Pieck, Walter Ulbricht et Willi Stoph, ainsi que les architectes Hermann Henselmann et Hans Scharoun2. Les nominations à l’institut conjuguèrent les listes établies par Henselmann et Scharoun. Le premier favorisa essentiellement les candidats de Weimar travaillant sous sa direction à l’Ecole d’architecture de Weimar, alors que le second souhaita inclure davantage les anciens du Bauhaus de sa génération, tels que Walter Gropius, Max Taut, Oscar Niemeyer et Ludwig Mies van der Rohe. Les deux vont d’emblée exclure des « personnes ayant un passé politique compromis », et Joseph Naas, chargé du suivi du dossier au sein du SED émettra un avis négatif sur trois candidatures pour leur engagement politique « flottant », qui ne fut toutefois pas suivi dans le cas de Max Taut3. Toutefois, le comité de direction nommé en septembre

1947 affirmait encore la vocation interzone, voire internationale de l’institut : avec la présence de Walter Gropius (professeur à Harvard), Hans Hopp (Halle), Heinrich Tessenow (Siemitz), Otto Haesler (Rathenow) et trois représentants des zones occidentales : Richard Döcker (Stuttgart), Otto Schweizer et Egon Eiermann (Karlsruhe).

L’ouverture vers l’extérieur fut de courte durée. Alors que l’institut avait à peine commencé à travailler, la perspective de la constitution d’une administration de la construction au sein de la DWK et l’intégration de l’Institut dans le plan biennal se traduisit par sa reprise en main par les architectes membres du SED. Ainsi, dans une réunion de la cellule SED de l’institut dirigé par Liebknecht et Henselmann, il fut non seulement question de réorganiser les différentes sections de l’institut afin de recentrer l’activité sur « notre travail dans la zone », mais surtout de réduire « l’influence de l’ancienne génération en développant systématiquement les jeunes talents » dans la perspective de la future coopération entre l’institut et la future administration de la construction au sein de la DWK4. Dans cette

perspective, Henselmann et Liebknecht suggèrent, dans un rapport adressé au membre du Bureau politique Anton Ackermann, le remplacement de Taut et d’Effenberger, « membres de l’ancienne génération qui n’ont rien fait » et leur remplacement par la « jeune génération progressiste », dont Edmund Collein, Franz Ehrlich, Kurt Junghanns, et Hans Mucke. Hans Scharoun put, selon le rapport, rester à la direction de l’Institut, à condition d’accepter les

1 Compte rendu du discours de Liebknecht, « Der Architekt beim Wiederaufbau in der Sowjetunion », Der

Bauhelfer, n°4, 1947, p.28.

2 DURTH et alii, Architektur…, op.cit., p.112 3 Ibid., p.114.

changements suggérés par Liebknecht et Henselmann1. Cette missive se termine par la

mention, « W. Ulbricht doit se prononcer », suggérant que cette réorganisation en faveur des « jeunes architectes progressistes » était de leur propre initiative, c’est-à-dire qu’ils sollicitaient l’intervention d’Ulbricht pour mettre à l’écart les architectes « bourgeois »2. En

même temps, en ressentant la nécessité de soumettre ces questions à Ulbricht, ils témoignent de l’importance vitale de leurs liens avec les membres du Bureau politique dans la conquête des positions de responsabilité. Au cours de l’été 1950, les salariés de l’institut se trouvèrent dans l’obligation de vivre dans le secteur soviétique de Berlin, ce qui exclura d’office un nombre de professeurs habitant à Berlin-Ouest ou en RFA. Lors de la création de la DBA, qui remplaça l’Institut für Bauwesen fin 1950, Scharoun, le dernier représentant de sa génération, fut remercié.

Nous allons maintenant tenter de comprendre comment cette génération d’architectes- urbanistes, bien moins reconnue dans le champ architectural que leurs maîtres et éminents représentants du neues Bauen, a réussi à conquérir les postes stratégiques pour devenir les experts attitrés du nouveau régime en matière d’urbanisme et d’architecture. Comme nous allons essayer de le montrer, ce groupe, composé de beaucoup d’anciens élèves de la neues Bauen, réussit à s’imposer aux dirigeants du SED comme étant les plus compétents pour définir une forme « socialiste » d’architecture et d’urbanisme.

2.1) Le métier d’architecte après la guerre

La position centrale des architectes-urbanistes dans la production de savoirs urbains ne va pas de soi. C’est une position qui a été construite et conquise par l’action individuelle et concertée d’un petit noyau d’architectes qui ont investi les positions dominantes lors de la constitution des nouvelles administrations publiques, se sont constitué des moyens de diffusion d’un discours, et surtout, se sont imposés aux dirigeants du SED comme des hommes dotés d’une compétence à la fois technique et idéologique susceptibles de donner aux slogans et résolutions du Parti une forme matérielle, voire même d’inspirer le contenu même du discours du Parti sur les politiques du logement.

Le simple fait de nommer un groupe social ou professionnel (les architectes-urbanistes) mobilise un ensemble de représentations sociales qui sont le produit d’un long travail de

1 Ibid., Rapport daté du 2/2/1949 rédigé par Hermann Henselmann.

2 Le soin de justifier ces modifications par une absence de travail de la part des architectes « bourgeois » montre la volonté de la part des dirigeants du SED de gagner la loyauté de spécialistes renommés et d’éviter la fuite des cerveaux qui risquait de remettre en cause la reconstruction de l’économie est-allemande. Liebknecht et Henselmann furent ainsi contraints par le SED de maintenir à leur poste un nombre de professeurs d’architecture qu’ils estimaient s’être compromis sous le nazisme.

définition, de désignation, d’officialisation et de durcissement des frontières entre le groupe et le reste de la société1. En ce qui concerne les architectes en Allemagne après la Deuxième

Guerre mondiale, l’existence et l’identité du groupe sont officialisées par la détention d’un diplôme délivré par des écoles spécialisées, qui sanctionnent l’apprentissage d’un corpus de savoirs constitués, l’appartenance à la Chambre des architectes (Architektenkammer) et par un ensemble de techniques et pratiques spécifiques au métier à un moment donné de son histoire. Une fois dépassée cette définition minimale constituée par les marqueurs des frontières du groupe professionnel, on peut multiplier à volonté les distinctions et différences plus ou moins cristallisées à l’intérieur du groupe : le statut de salarié ou d’indépendant ; la spécialisation (urbanisme, infrastructures techniques, architecture industrielle ou logements…) ; l’existence d’un certain nombre « d’écoles » ; l’engagement politique…

Si l’on reprend les critères communément retenus pour définir l’autonomie d’un groupement professionnel, l’histoire sociale des architectes en RDA peut s’écrire comme un processus continu de dépossession de leur autonomie professionnelle. Ainsi, comme dans d’autres professions, les critères d’accès au diplôme n’étaient plus uniquement établis par la profession, mais inclurent les critères de l’origine sociale et de la participation active aux organisations de masse (Jeunes Pionniers, FDJ, Société pour l’amitié germano-soviétique…). Les programmes d’enseignement comportaient un grand nombre d’heures de théorie marxiste-léniniste et les enseignements dispensés étaient soumis à la surveillance du Parti2.

De même, si les Chambres d’architecture ont pu garder pendant un certain temps leurs prérogatives à condition d’épurer les adhérents du NSDAP3, à partir de 1949, le SED contrôla

l’accès aux chambres, avant leur suppression pure et simple et leur remplacement par « l’Union des architectes allemands » (Bund Deutscher Architekten) et la « Chambre de la technique » (Kammer der Technik). Surtout, avec la constitution d’entreprises nationales d’architecture (VEB Projektierung) que toute entreprise ou administration publique devait impérativement solliciter pour ses projets de construction à partir de 1950, le statut d’architecte libéral cessa pratiquement d’exister.

Paradoxalement, cette perte d’autonomie de la profession sur sa reproduction et son fonctionnement, correspond à une période où la renommée de la profession, à travers la forte visibilité d’une poignée d’hommes, n’avait jamais été aussi grande. Ils multipliaient en effet

1 BOLTANSKI (Luc), Les cadres, Paris, Minuit, 1982. ; COURTY (Guillaume), Les routiers: Contribution à

une sociologie politique des groupes d'intérêt, Thèse de science politique, Paris X- Nanterre, 1993.

2 VOIGT (Dieter), MERTENS (Lothar), (dirs.), DDR-Wissenschaft im Zwiespalt zwischen Forschung und

Staatssicherheit, Berlin, Duncker & Humblot, 1995. 3 AM Leipzig, STVuR (1) 1759

les interventions dans la presse, présidaient des expositions sur la reconstruction des villes, signaient souvent des contrats individuels leur assurant un salaire parfois bien supérieur à leurs homologues ouest-allemands et étaient titulaires des médailles de mérite les plus distinctives (Prix national première classe1). De même, si l’on observe l’occupation des postes

dans les différentes organisations chargées de définir la politique de la reconstruction, on constate une forte prédominance d’architectes encore en activité, ou de fonctionnaires ayant une formation en architecture. L’investissement réussit si bien que les architectes sont les seuls à l’échelle nationale (à l’exception notable des membres du Bureau politique) à produire un discours public sur la ville, sur le logement et sur la reconstruction, signifiant ipso facto, l’éviction, la retraite ou la disparition d’autres catégories professionnelles productrices de connaissances sur la ville durant le premier tiers du siècle: les médecins, les réformateurs bourgeois ou conservateurs, les universitaires, les journalistes, les fonctionnaires, les philanthropistes, et les statisticiens2.

Si les architectes, qui vont occuper une place centrale dans la production et la diffusion du référentiel esthétique, s’opposent entre 1945 et 1950, parfois avec violence, sur beaucoup de points dans la manière de reconstruire les villes, ils partagent un ensemble de références communes sur les techniques et les échelles d’objectivation de l’espace physique et social, produisant ainsi un consensus sur ce qui vaut la peine d’être discuté, et excluant d’autres problèmes potentiels de leur champ de vision ; par exemple l’organisation de l’industrie et de l’économie du bâtiment, le lien entre la morphologie sociale et spatiale, l’entretien et la rénovation des logements anciens.

Comprendre les conditions sociales de la possibilité de production d’un consensus sur les termes du débat au sein de la communauté des architectes et penser la manière dont ce discours sur la ville s’imposa à l’ensemble des acteurs qui intervinrent dans la formulation de la politique de reconstruction suppose comme préalable l’identification des acteurs efficients, c’est-à-dire ceux qui ont, selon Pierre Bourdieu, « assez de poids pour orienter effectivement la politique du logement parce qu’ils détiennent les propriétés agissantes […] »3.

Il existe plusieurs manières d’envisager la délimitation d’une population d’acteurs que l’on considère être « efficients », c’est-à-dire ceux qui s’avèrent capables de peser sur la

1 Il s’agit de Paulick, Henselmann et Hopp récompensés en 1952 pour la planification de la Stalinallee.

2 SCHUBERT (Dirk), Stadterneuerung in London und Hamburg, Braunschweig, Vieweg Verlag, 1997, p.20-48. A cette liste on pourrait rajouter les sociologues tels qu’Adolf Wagner et des représentants des institutions de crédit, telles que le Deutscher Bau- und Bodenbank, dont l’ancien directeur devint ministre du logement en RFA en 1949. Le terme « nébuleuse réformatrice » est reprise de : TOPALOV, Laboratoires…, op.cit.

3 BOURDIEU (Pierre), CHRISTIN (Rosine), « La construction du marché: le champ administratif et la production de la ‘politique du logement’ », Actes de la recherche en sciences sociales, n°81-82, 1990, p.70.

définition des règles et des pratiques dans un domaine politique donné. Une première manière de délimiter la population serait ainsi de recenser un certain nombre de postes de décision dans l’appareil du Parti, dans les ministères et dans des centres de recherche spécialisés afin d’identifier les caractéristiques sociologiques des titulaires de ces postes. Or, empiriquement, cette première forme d’objectivation s’est avérée extrêmement difficile à mettre en œuvre. Les redécoupages des organisations sont extrêmement fréquents, les titulaires des postes changent à une telle cadence et les cumuls de positions sont tels, qu’une description de type « radiographique » des titulaires des postes élevés dans les organigrammes où les propriétés agissantes seraient déduites par identification des caractéristiques sociales à un moment donné risque de faire abstraction du contexte mouvementé de la RDA au début des années 1950 et de négliger des transactions effectives entre les acteurs.

Pour ces raisons, nous avons procédé par une construction raisonnée d’un réseau d’acteurs non pas à partir de la position que l’individu occupe à un moment donné dans l’organigramme, mais à partir de ce que l’on peut appeler le degré d’implication dans les processus de décision et dans la diffusion de normes et de discours d’accompagnement du référentiel esthétique. A partir des archives, nous avons ainsi relevé les occurrences des noms de rédacteurs et de destinataires de rapports et courriers administratifs ; la composition de réunions, commissions, voyages d’études, jurys de projets urbanistiques ; l’ordre et la durée de la prise de parole à partir des comptes-rendus dans les archives ; la visibilité sociale des acteurs mesurée par les discours publics, les publications dans la presse généraliste et spécialisée, l’écriture de livres et brochures, et enfin l’obtention de prix et médailles. Ce qui frappe en effet, c’est que dans un contexte d’instabilité institutionnelle et de fluctuation extrêmement rapide, les fonctionnaires et architectes-urbanistes maintiennent une présence décisive en occupant simultanément un grand nombre de positions, en constante recomposition sur la période 1949-1955 et au-delà, comme nous le verrons dans le troisième chapitre1.

1 Dans un essai publié en 1980, Peter Ludz insiste sur la multiplication des positions et des rôles des élites scientifiques qui conduisent à une « contamination » des normes scientifiques par celles en vigueur dans d’autres espaces dans lesquels ils interviennent. Comme chez beaucoup d’autres auteurs, la possibilité d’une transposition de normes de l’espace de production de savoirs vers d’autres espaces dans lesquelles l’élite scientifique intervient régulièrement n’est pas prise en compte. LUDZ (Peter), Mechanismen der Herrschaftssicherung, Munich, Carl Hanser Verlag, 1980, p.103.

Encadré sur les sources biographiques

Lors de l’élaboration du protocole de recherche au début de l’enquête, nous avons sous- estimé les difficultés liées à l’identification sociologique des personnes qui interviennent activement et d’une manière récurrente dans la définition de la politique du logement. Conscient de l’absence en RDA d’instruments de recherche fréquemment utilisés en France ou ailleurs pour l’objectivation sociologique des élites (le trombinoscope, les différents types de « Who’s who » ou les associations d’élèves de « grandes écoles »…), nous pensions, sans doute quelque peu naïvement retrouver un ensemble de données exploitables ; un espoir qui était sans doute basé sur l’ensemble des « révélations » sur les activités de la Stasi et les moyens importants mis au service de la surveillance de la population. Si les techniques d’auto-objectivation vont en effet se développer, notamment à partir des réformes de l’administration étatique en 1957-58, et l’extension et la codification du système de la nomenklatura, nous n’avons pu trouver aucun tableau ou liste permettant de reconstituer d’une manière économique les noms et propriétés sociales des agents dans les organisations que nous avons étudiées pour la période qui nous intéresse dans ce chapitre. La seule tentative de totalisation « sociologique » pendant cette première période a eu lieu pendant le printemps et l’été 1951 lors de l’épuration des cellules du SED dans les ministères1. Ces rapports,

précieux pour l’analyse des critères de jugement de l’individu et de l’organisation permet de reconstruire d’une manière relativement économique un portrait sociologique des ministères et instituts de recherche (au moins pour ceux parmi eux qui adhéraient au SED). Malheureusement, pour des raisons qui nous restent inconnues, les rapports manquent pour plusieurs ministères et instituts, dont le Ministère de la reconstruction et l’Académie de la reconstruction.

Nous avons donc décidé de procéder en retrouvant les dossiers individuels tenus par le service du personnel de chaque administration ou par le Bureau de la politique des cadres du SED. Or, le mode d’archivage des dossiers personnels du ministère de la reconstruction, de la SPK, du Comité central du SED a rendu la recherche extrêmement coûteuse en temps. D’une part, les dossiers personnels n’étaient versés aux archives qu’au moment du départ définitif des administrations centrales. Il a été ainsi impossible de retrouver des données sur les fonctionnaires qui n’avaient pas fait l’ensemble de leur carrière dans le même ministère, ou inversement, ceux qui ont connu une mobilité entre l’appareil du Parti, les ministères et la DBA, puisque le dossier « suivait » les déplacements des agents. D’autre part, les dossiers versés aux archives à une périodicité régulière ne faisaient aucune distinction hiérarchique :