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A la recherche d’un modèle socialiste de reconstruction

CHAPITRE 2 : « Des palais pour les ouvriers » ou l'esthétisation des politiques du

1) A la recherche d’un modèle socialiste de reconstruction

Arrivés à Berlin en mai 1945 dans le sillage de l'Armée rouge, Walter Ulbricht et les autres membres du KPD exilés depuis les années 1930 en URSS, furent chargés de remettre rapidement sur pied une organisation partisane efficace. Suite à la disparition complète des administrations centrales et des Gau, les administrations communales, seules administrations publiques ayant fonctionné d’une manière continue, ont dû répartir les logements existants, organiser le déblai des ruines et réparer les logements endommagés mais encore habitables. Dans les quatre zones, les armées d’occupation nommeront aux administrations communales essentiellement des hommes ayant une expérience administrative remontant à la République de Weimar. A l’Est, l’armée soviétique ne fut pas moins pragmatique dans ses nominations que dans les trois autres zones, nommant pour l’essentiel des maires et des adjoints à la construction du SPD ayant eu une expérience dans la gestion des communes pendant la République de Weimar2. L’administration soviétique espérait mettre cette expérience

1 On s’inscrit en faux contre la lecture de la volonté supposée du grand Léviathan dénoncée par Jacques Revel qui s’applique tout particulièrement à ce type de régime qui rationalise toute politique comme émanant d’une volonté unique incarnée par le Premier secrétaire. Ainsi, par exemple les numéros spéciaux des revues d’architecture fêtant l’anniversaire de Staline ou d’Ulbricht en soulignant leur compétence et clairvoyance en matière d’architecture témoignent de la place revendiquée par le parti unique, mais ne nous renseignent nullement sur son rôle effectif dans le processus d’élaboration des politiques publiques. REVEL (Jacques), « Micro-analyse et construction du social ,» p.15-36, dans REVEL (Jacques), (dir.), Jeux d'Echelles, Paris, Seuil/Gallimard, 1996, p.28.

2 Les postes clefs du service du personnel et de la police municipale incombèrent toutefois dans la majorité des cas aux membres du KPD tandis que les postes les plus exposés : ravitaillement, attribution des logements, accueil des réfugiés incombèrent souvent aux Chrétiens-démocrates (CDU) ou aux Libéraux (LDPD) avant la perte complète de leur autonomie dans les années 1948-1949.

administrative au service de la maîtrise des conséquences de la guerre perdue : déblai des ruines ; accueil de milliers de réfugiés ; acheminement, stockage et distribution de vivres, biens de consommation et matériaux de construction ; remise en route de l’industrie ou au contraire organisation des démantèlements d’usines et des chemins de fer imposés par l’armée d’occupation.

En même temps que les administrations et la population commençaient à s’attaquer aux millions de mètres cubes de gravats, que les maisons et appartements endommagés étaient réparés tant bien que mal avec les moyens du bord, se multipliaient, tant dans les bureaux d’urbanisme des grandes villes que dans les instituts et écoles d’architecture, des projets pour reconstruire les villes allemandes. Les effets conjugués des bombardements et la possibilité de la maîtrise publique de la propriété foncière semblaient rendre enfin possible le remodelage radical des villes. Les divers projets qui circulaient à l’époque témoignent d’un sentiment de libération des contraintes imposées par les héritages multiples du passé : libération d’abord de la matérialité de l’infrastructure urbaine puisque la guerre avait fait table rase d’une grande partie de la structure urbaine dont l’agencement était déterminé par la spéculation immobilière et non pas par le travail rationnel des urbanistes ; libération espérée des contraintes imposées par la propriété privée (propriété foncière, problème du crédit et des loyers) ; et libération physique, pourrait-on dire, par le retour d’exil, la démobilisation de l’armée ou la libération d’un camp de prisonnier de guerre, la fin de l’interdiction d’exercer son métier ou le travail dans des positions subalternes, voire même la sortie des camps de concentration.

La confrontation des projets et discours concurrents va donc se jouer en grande partie sans l’arbitrage ou l’intervention directe du SED jusqu’en 1949. Cette année marque avec la mise sur l’agenda politique de la reconstruction de Berlin lors de la visite d’Ulbricht à Moscou pour le 70ième anniversaire de Staline et la création du Ministère de la reconstruction (Ministerium für Aufbau). Entre 1945 et 1949, on peut identifier deux logiques distinctes de production des plans de reconstruction des centres urbains. La première se déploie à l’échelle de chaque ville et suscite l’intervention d’un ensemble d’agents et d’institutions en concurrence pour définir les fonctions légitimes du centre-ville, décider s’il faut reconstruire la ville à l’identique, s’inspirer du style architectural existant ou construire une ville radicalement nouvelle. Plus encore, un débat s’engage sur le rôle des propriétaires privés dans la reconstruction, sur le mode de financement, sur la répartition des logements construits et sur la manière d’optimiser l’usage de l’espace en fonction de l’arbitrage construction neuf/réparation et la taille des logements à construire.

Ces arbitrages varièrent de ville en ville, mais l’ensemble du répertoire s’inspira des positions des années 1920, ce qui fut à la fois une raison de la mise en route rapide d’une politique pragmatique dès l’été 1945, et explique également la clôture rapide du débat, dès la codification de la politique du logement « socialiste », comme on tentera de le démontrer dans ce chapitre. Le second espace discursif se déploie à partir des instituts et écoles d’architecture et d’urbanisme, et de l’équipe chargée de la planification de Berlin. Il pénètre les administrations centrales en train de se structurer. Coupé des contraintes d’une gestion quotidienne d’une ville, sans grande expérience dans la réalisation des projets urbanistiques dont ses membres rêvaient à cause de leur âge et de l’interruption créée par douze années de dictature national-socialiste, un petit groupe d’architectes-urbanistes avec un passé militant souvent- mais pas toujours- irréprochable s’imposera aux dirigeants du SED comme les spécialistes incontournables dans la définition et la mise en œuvre de la politique urbanistique.

La capacité à s’imposer de ce groupe d’architectes-urbanistes ayant terminé leur formation à la fin des années 1920 réside en partie dans le fait qu’ils avaient peu pratiqué leur métier, c’est-à-dire qu’on pouvait difficilement leur attribuer une appartenance à une école, ce qui fut une ressource importante mais inattendue dans le contexte d’incertitude de l’après- guerre. S’investissant autant dans les problèmes d’organisation et d’entretien des liens anciens ou nouveaux avec des membres influents du Bureau politique que dans la production architecturale et urbanistique, ces architectes ont su convertir un crédit politique en autorité professionnelle dans la mesure où ils occupèrent les postes déterminants dans l’élaboration et la mise en œuvre du nouveau paradigme esthétique.

1.1) L’espace local

Dans les cinq années qui ont suivi la guerre, les villes et Länder ont été dotés d’une large autonomie pour élaborer des projets de reconstruction, soumis à l’accord préalable, il est vrai, de l’administration de l’armée d’occupation. Dans la distribution des postes à responsabilité dans les services municipaux, les membres du KPD ont gardé les attributions stratégiques de l’intérieur, du personnel et de l’éducation ; les deux partis « bourgeois » (LDPD, CDU) les services afférents aux finances, au commerce et à l’alimentation, et les représentants du SPD ont fourni la majorité des nouveaux maires1. Ainsi, alors que les membres du KPD dominaient

le SED après la fusion du SPD et du KPD en avril 1946, la pénurie de cadres du KPD, et leur

1 SCHNEIDER (Dieter), « Kommunalverwaltung und Kommunalverfassung », p.297-319, dans BROSZAT (Martin), WEBER (Hermann), (dirs.), SBZ Handbuch, Munich, 1993.

inexpérience dans la gestion administrative, laissait la gestion locale des affaires « techniques » au soin des membres du SPD ayant eu une expérience administrative avant 19331. Pendant l’année 1945, les villes, aux prises avec la réparation des immeubles

endommagés et le déblaie des ruines, ont adopté des stratégies variées pour accélérer le travail. Certaines, à l’instar de la ville de Leipzig, s’étaient dotées de puissantes régies municipales de construction suite à l’expropriation des entreprises appartenant aux « criminels de guerre » ou « nazis actifs », poursuivant ainsi l’expérience des régies municipales de construction des années 1920. D’autres villes comme Chemnitz, Dresde et Dessau ont fondé des sociétés d’économie mixte, dont l’exemple le plus abouti fut, à Dessau, l’Aufbau GMbH qui fournissait en 1946 l’ensemble de la Saxe en verre2. Cette diversité, qui devait être de courte durée, fut

rendue possible par l’absence d’une politique uniforme de la part du SMAD (Sowjetische Militär Administration Deutschlands). Plusieurs municipalités, comme celle de Leipzig, escomptaient ainsi utiliser les régies municipales ou sociétés d’économie mixte comme instrument pour prolonger les expériences de la construction de logements municipaux mise en œuvre pendant les années 1920 dans les villes dominées par le SPD, une fois que la situation économique le permettrait.

Si la reconstruction à grande échelle ne fut pas envisageable avant la levée des pénuries en matériaux, main d’œuvre, et transports, le débat sur la manière de construire allait bon train. Il s’agissait en effet de redonner de l’espoir aux populations encore sous le choc de la défaite et souffrant de la pénurie alimentaire. Les grandes villes comme Berlin, Dresde, Leipzig et Magdebourg organisaient ainsi des expositions sur la reconstruction des villes dès 1946 à grands renforts de publicité. Une comparaison des projets présentés dans les différentes villes montre la diversité des points de vue, entre une reconstruction presque à l’identique des bâtiments marquants (églises, galeries marchandes, et bâtiments publics) en conservant la structure de la ville (Wiederaufbau) jusqu’à une restructuration totale (Neuaufbau) en séparant les différentes fonctions de la ville. Walther Beyer, adjoint à la construction à Leipzig, exprime cette première position dans un texte publié en 1948, critiquant :

« l’illusion trompeuse de bien des urbanistes qui rêvent de devenir les plus grands bâtisseurs de tous les temps. […] On peut aisément constater que les forces qui

1 Contrairement à ce que l’on pense généralement, l’administration soviétique ne favorisa pas systématiquement le KPD. Dans les négociations sur l’occupation des postes de responsabilité que nous avons pu observer à Leipzig, l’occupant préféra souvent un membre du SPD expérimenté au candidat du KPD. Cette observation est confirmée par SCHNEIDER, ibid., et par HÜBNER (Peter), « Arbeiter und sozialer Wandel im Niederlausitzer Braunkohlenrevier », p.23-60, dans HÜBNER (Peter), (dir.), Niederlausitzer Industriearbeiter 1935 bis 1970, Berlin, Akademie Verlag, 1995, p.43.

agissent au sein de l’organisme urbain possèdent une dynamique propre, difficile à discipliner, à modeler et à contrôler même avec le plan d’urbanisme le mieux conçu. […] En quarante années, Leipzig a connu six plans d’occupation des sols, mais aucun n’a laissé de traces significatives sur l’organisme de la ville. »1

Ce rappel de la complexité de la ville et des forces qui la modèlent est énoncé par un homme dont la majorité des trois premières années en poste après 1945 fut consacrée à négocier âprement avec l’administration soviétique et la DWK pour assurer la livraison d’un minimum de matériaux de construction et d’en assurer la répartition entre les propriétaires privés et les organismes et entreprises publiques. Réaliste et quelque peu désabusé, Walther Beyer campe sur une position défensive par rapport aux urbanistes qui enseignaient (ou dirigeaient) dans les écoles d’architecture et qui n’étaient donc pas impliqués dans les arbitrages complexes d’une économie de pénurie2.

L’enjeu de fond était de présenter les propositions sur la politique du logement et de reconstruction comme étant « démocratiques », « progressistes » et à partir de la fondation de la République en 1949, « socialistes ». Ce travail procède autant par la désignation, ou plus exactement la stigmatisation de ce que fut une politique du logement « fasciste » ou « capitaliste » dans un double registre de distanciation par rapport au passé national-socialiste et par rapport au présent marqué par l’émergence de la guerre froide et la nécessité impérieuse de se démarquer de la RFA.

1.2) La finalité politique des formes urbaines ou la difficulté d’identifier une architecture socialiste

L’attribution d’une idéologie à des formes architecturales ou à l’organisation spatiale d’une ville est un exercice plus que périlleux. De nombreux chercheurs sont en effet fascinés par la possibilité que cette perspective semble ouvrir pour saisir l’idéologie d’un Etat, par l’expression matérielle de sa manière de marquer son territoire de « symboles », d’organiser l’espace et de peser sur les rapports entre les individus et entre l’individu et l’Etat3. Or, force

1 BEYER (Walther), « Messestadt Leipzig im Jahre 1948 », Der Bauhelfer, mars 1948, p.120-126.

2 Bien qu’architecte de formation, le travail quotidien de Beyer consistait essentiellement à négocier constamment l’approvisionnement de la ville en matériaux de construction auprès des différents interlocuteurs de l’armée d’occupation et de l’administration du Land de Saxe et de veiller à la distribution des quantités insuffisantes si difficilement acquises. Les urbanistes soumettant les projets grandioses de reconstruction de la ville étaient de plus confrontés à la pénurie de papier et n’avaient par conséquent pas la même conscience des difficultés qu’une reconstruction radicale aurait posée en pratique.

3 Cette perspective a été développée en Allemagne dans le sillage de l’école de Francfort dans une perspective visant à retracer les continuités idéologiques de l’urbanisme sous la dictature national-socialiste et en RFA. BERNDT (Heide), Das Gesellschaftsbild bei Stadtplanern, Stuttgart, Karl Krämm Verlag, 1968. La perspective s’est renouvelée à partir de la fin des années 1970 avec la réception des travaux de Michel Foucault, pour étudier les dimensions idéologiques implicites de l’histoire de l’urbanisme du XXième siècle. L’exercice devient

est de constater que la matérialité du bâti ne constitue pas un signifié auquel peut s’attacher un signifiant univoque. Ce travail d’interprétation des formes est d’autant plus hasardeux que les modèles architecturaux et techniques de construction dépassent largement les frontières étatiques. S’attacher aux seules formes peut ainsi conduire à des interprétations de la signification du « style national » de l’architecture est-allemande du début des années 1950, comme l’expression du « culte stalinien du prolétaire », et de l’autre, comme une continuation, avec dix ans d’écart, du projet urbanistique d’Albert Speer, bâtisseur préféré de Hitler1, ou

encore comme la réappropriation des formes bourgeoises dans une perspective de revanche sociale. De même, on voit mal comment on peut déduire de la construction de logements standardisés aux périphéries des villes une politique volontaire de déshumanisation et d’atomisation, alors que l’on n’attache pas une telle intention idéologique aux mêmes formes architecturales et urbanistiques de l’autre côté du rideau de fer. Devant ce manque de lisibilité des formes, les chercheurs se rabattent sur les « discours d’accompagnement » produits par les exégètes autorisés pour déceler les intentions idéologiques, au risque bien sûr de refaire leur un discours visant à imposer, dans un contexte déterminé, la lecture produite par un groupe de locuteurs déterminé. On peut à ce titre rappeler avec Jean-Louis Briquet le fait que « chaque profession construit pour l’extérieur un ethos et un système de rationalisation de ses comportements, qui vaut comme légitimation de sa finalité sociale, tout en fonctionnant de l’intérieur sur des principes qui en sont parfois très éloignés2. »

Entre 1945 et 1950, les architectes-urbanistes sont en effet à la recherche de « principes de légitimation de leur finalité » qui passent essentiellement par une volonté de s’imposer comme les détenteurs d’un savoir urbain indispensable et, contexte politique oblige, nécessairement antifasciste et progressiste. Il faut préciser que le nazisme, la guerre et l’armée d’occupation avaient contribué à balayer des groupes et institutions produisant un discours concurrent. Ainsi, par exemple, les associations de propriétaires (Haus- und Grundbesitz) ont été dissoutes sur ordre du SMAD à cause de leur collaboration réelle ou supposée avec le régime national-socialiste ; l’hygiénisme et l’intervention des médecins dans les mouvements de réforme, déjà en perte de vitesse après la Première Guerre mondiale, sentaient trop le compliqué, comme nous le verrons, lorsqu’il s’agit d’étudier les dimensions idéologiques d’une pratique architecturale et urbaniste qui se revendique ouvertement en tant que telles. SCHUBERT (Dirk), Stadtplanung

als Ideologie, Berlin, Freie Universität, Diss A, 1981. ; HIPP (Hermann), SEIDL (Ernst), (dirs.), Architektur als

politische Kultur, Berlin, Reimer Verlag, 1996 ; HANNEMANN (Christine), Die Platte, Industrialisierter

Wohnungsbau in der DDR, Braunschweig, Vieweg Verlag, 1996.

1 HOSCISLAWSKI (Thomas), Bauen zwischen Macht und Ohnmacht. Berlin, Verlag für Bauwesen, 1991. 2 BRIQUET (Jean-Louis), La tradition en mouvement: Clientélisme et politique en Corse, Paris, Belin, 1997, p.72-73.

souffre ; les institutions de crédit et grandes entreprises de construction étaient en grande partie nationalisées et les domaines privilégiés de leurs interventions (le coût du crédit, les seuils de rentabilité et les coûts de construction) devinrent sans objet dans un contexte où la construction de nouveaux logements s’était complètement arrêtée depuis plusieurs années et où les loyers étaient fixés à leur niveau de 1936 ; enfin, la « nébuleuse réformatrice », plutôt libérale et conservatrice dans ses orientations, n’a jamais pu reprendre pied dans la zone d’occupation soviétique.

Le positionnement des architectes-urbanistes comme producteurs dominants de discours sur la ville après la Seconde Guerre mondiale ne peut être réduit à la disparition de groupes de producteurs concurrents ou à l’effacement du SED dans ce domaine avant 1950. C’est également le produit d’une reconfiguration à l’intérieur de la profession au milieu des années 1920 sous un triple effet : a) un changement générationnel, avec notamment l’arrivée d’une génération formée par le contexte politisé de la République de Weimar finissante; b) la spécialisation accrue de la formation accompagnée d’une séparation croissante entre la formation de l’architecte en tant que créateur d’un objet isolé, et l’urbaniste qui travaille davantage sur l’agencement spatial selon le schéma fonctionnaliste en voie de formalisation ; c) enfin, cette génération sort de son rôle « d’ingénieur, de géomètre et de technicien »1 en se

saisissant du modèle fordiste en voie de diffusion dans la société allemande au cours des années 19202. Le Bauhaus constitue un point de cristallisation de ce changement du rôle social

des architectes-urbanistes et devient un centre de diffusion du nouvel ethos professionnel qui visera à réconcilier la figure de « l’artiste » et l’utilisation des techniques de fabrication les plus modernes. Selon Michel Ragon, « La conviction était absolue, parmi les architectes allemands de l’entre-deux-guerres [Walter Gropius, Mies van der Rohe, Bruno et Max Taut, Hans Scharoun], que l’artiste, introduit dans la cité, devait devenir un guide et un rénovateur non seulement de l’habitat, non seulement de l’urbanisme, mais de la société toute entière3 ».

La revendication d’un tel rôle pour cette génération d’architectes en majorité engagée ou

1 Il est important de noter que le diplôme d’architecture en Allemagne est un diplôme d’ingénieur, une autre filière issue d’une spécialisation d’écoles de beaux-arts n’y a jamais existé.

2 Nous résumons ici les trois critères identifiés par Dirk Schubert pour expliquer ce qu’il qualifie de changement paradigmatique dans l’urbanisme qu’il situe entre 1925 et 1926. On peut à ce titre ajouter un quatrième facteur de mutation qui sort les architectes-urbanistes de l’ombre : le début d’ambitieux projets de construction de logements par les municipalités à partir du milieu des années 1920 qui prêtera à des jeunes architectes encore peu connus une notoriété internationale, à l’image de Bruno Taut à Berlin ou Ernst May à Francfort-sur-le-Main. SCHUBERT (Dirk), Stadterneuerung in London und Hamburg, Braunschweig, Vieweg Verlag, 1997, p.329- 332.

sympathisante de la gauche1 nécessitait un travail important sur l’image du groupe en tant

qu’« avant-gardiste », « progressiste », « artiste », « moderniste » (…) et sa finalité sociale, susceptible d’imposer sa compétence aux pouvoirs publics, notamment aux municipalités socialistes, qui étaient devenues les principaux bailleurs de fonds des architectes et un débouché naturel pour les urbanistes.

Ce qui sera appelé la neues Bauen ne constitue pas un paradigme durci, mais peut être résumée par les principes suivants identifiés par Häussermann et Siebel2: en matière