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L’idéologie comme moteur de l’action ?

CHAPITRE 1: Le « grand partage » : la séparation institutionnelle des politiques de la

2) L’idéologie comme moteur de l’action ?

Pour compléter l’interprétation précédente, en lui accordant une dimension moins stratégique, on peut procéder à une lecture plus « idéologique » de la distinction entre les deux activités constitutives de notre définition intuitive de ce que constitue une politique du logement. Cette approche privilégiant une analyse des régimes communistes en termes

d’idéocratie a en effet connu un renouveau certain au cours ce ces dernières années malgré l’ouverture des archives et les nouvelles possibilités de recherche empirique1.

Ce renouveau s’est manifesté d’abord dans les tentatives de rendre le phénomène communiste intelligible dans son ensemble sur tout un siècle, à l’Ouest, comme à l’Est, en postulant que les idées (utopies, illusions ou idéologies) ont une force déterminante, rendant comparables, sinon identiques dans leur essence, des organisations qui paraissent aussi différentes que le PCF de Thorez et le PC afghan des années 19702. Le retour aux textes

constitutifs d’un socle idéologique commun à l’ensemble des mouvements et individus se réclamant d’inspiration marxiste-léniniste fonctionne ainsi comme « des instructions d’un état-major » qui doivent être analysées comme un « producteur social plutôt que dans son enracinement sociologique »3. Les mouvements communistes ont toujours accordé une

importance centrale à l’inculcation et à l’appropriation des textes canoniques4, ce qui se

confirme dans le contexte de la RDA où le marxisme-léninisme était inscrit en première place dans tous les cursus scolaires, universitaires, dans les écoles du Parti et dans les formations par correspondance, forme d’apprentissage très répandue dans la formation du personnel de l’Etat et du Parti. Plus encore, la structure organisationnelle du SED, et les rappels inlassables des principes de fonctionnement du régime (le centralisme démocratique, la dictature du parti unique et la conception de l’Etat et des organisations de masse comme des instruments ou des courroies de transmission) et la volonté affichée d’imposer l’idéologie utopique à la réalité semble valider la pertinence de cette approche pour fournir une grille de lecture qui rendent intelligible les interactions plus localisées dans le temps et dans l’espace.

Dans le contexte géographique et temporel qui nous intéresse plus particulièrement ici, cette démarche a été utilisée par un certain nombre d’historiens et de politistes pour analyser l’histoire politique et sociale de la RDA. Partant du constat de la monopolisation du pouvoir politique et du contrôle total de l’espace public, l’histoire politique de la RDA se confond et se réduit souvent à l’histoire du SED ; une histoire qui est en elle-même surdéterminée, selon

1 D’après Martin Malia, « dans le monde créé par la Révolution d’Octobre, monde où l’idéologie et le politique constituaient l’infrastructure et non la superstructure […], nous n’avons jamais eu affaire à une société, mais toujours à un régime, et à un régime idéocratique. » MALIA (Martin), La tragédie soviétique, Paris, Seuil, 1995, p.19. Cette lecture pousse à sa logique ultime la perspective classique de Zbigniew Brzezinski, Ideology and

Power in the Soviet Union, New York, Harvard University Press, 1967. Voir aussi FURET (François), Le Passé

d’une illusion. Essai sur l’idée communiste au XXe siècle, Paris, Robert Laffont/Calmann-Lévy, 1995.

2 L’exemple, quelque peu provoquant, est utilisé par Dominique Colas pour justifier la centralité de l’idéologie léniniste dans la compréhension de l’ensemble des organisations et régimes communistes. COLAS (Dominique),

Le léninisme, Paris, PUF, 1998 (première édition 1982), p.13. 3 Ibid, p.14-15.

l’interprétation de Hermann Weber, par l’idéologie stalinienne ayant marqué le parcours individuel des futurs dirigeants de la RDA pendant leur exil moscovite entre 1933 et 1945, et inscrite durablement dans les pratiques du Parti lors de sa transformation en « parti de type nouveau » en 1948 au moment de l’apogée de l’autorité de Staline en plein milieu du blocus de Berlin1. Sigrid Meuschel, pour sa part, a étudié un corpus de « textes de légitimation »

produits par le SED pour mettre à jour un ensemble de contradictions entre la doctrine constitutive de la légitimité de la domination du parti unique et les exigences fonctionnelles d’une économie moderne. L’histoire de la RDA se lirait ainsi comme une série de cycles de réformes destinées à rendre l’économie plus performante (décentralisation de la décision économique, différenciation des salaires) suivis d’un durcissement inévitable lorsque les réformes sont entrées en conflit avec le noyau égalitaire de la doctrine dont dépendait la légitimité du SED2.

2.1) La ligne et la doctrine

Les travaux qui partent de l’idéologie comme grille de compréhension ont pour objectif une explication globale et totalisante du phénomène communiste en postulant que les phénomènes politiques et sociaux concrets peuvent être expliqués à partir d’un corpus de textes servant de matrice cognitive à un Parti-Etat idéocratique. Notre objectif ici, n’est pas de nous livrer à une critique interne ou épistémologique de ce cadre analytique, mais de nous interroger sur la possibilité d’inverser le schéma explicatif, en partant d’un problème empirique limité et en évaluant l’utilité de ce schéma pour le comprendre.

C’est grâce notamment à la distinction opérée entre la ligne du Parti, qui se caractériserait par sa nature « opportuniste » et changeante et une doctrine pratiquement figée sur un siècle que l’on peut tenter d’analyser un domaine politique ou un événement particulier avec cette grille de lecture. Dans le secteur qui nous intéresse, les politiques du logement, cette analyse a connu un certain succès, notamment dans l’exégèse des formes architecturales qui constituent, selon les auteurs, une matérialisation dans le béton et dans l’espace d’une idéologie et de la forme spécifique de domination qu’elle reflète. Ce travail exégétique des réalisations architecturales et urbanistiques est largement facilité par le discours produit par les bâtisseurs de la nouvelle république pour qui la construction doit être une réflexion des

1 WEBER (Hermann), DDR: Grundriße der Geschichte 1945-1990, Hannover, Fackelträger, 1991. 2 MEUSCHEL, Legitimation…, op.cit.

nouveaux rapports de force en même temps qu’elle anticipe l’avènement de « l’homme nouveau »1.

La reconstruction de Berlin-Est, considérée par Staline comme un enjeu central de la guerre froide, devait servir de « vitrine » du bloc soviétique en voie de constitution, s’intégrant ainsi à la fois à la politique étrangère de Staline et aux intérêts de ses « vassaux » est-allemands, soucieux de trouver une légitimation nationale dans le contexte de la concurrence entre les deux nouveaux Etats allemands. Le recours à la thématique nationale dans l’architecture semble ainsi devenir parfaitement compréhensible à la fois dans le sillage du nationalisme instrumentalisé par Staline pendant la « grande guerre patriotique », et dans la création d’une légitimation nationale du nouvel Etat est-allemand. Alors qu’à Berlin-Ouest, la ville se reconstruit dans un style résolument « international », tournant ainsi le dos au passé national, à Berlin-Est, les architectes, n’ayant d’autre choix que de suivre la ligne dictée par Staline relayée par le SED, avaient la tâche de « trier » dans les traditions nationales et régionales pour dégager les formes architecturales les plus « représentatives » et les plus « progressistes ». La reconversion forcée au « style national » d’architectes et urbanistes formés ou inspirés par le Bauhaus est ainsi lue comme une preuve supplémentaire de la disparition de toute autonomie des champs sociaux, qui serait caractéristique du système totalitaire soviétique2. Plus encore, les formes architecturales sont perçues comme des méta-

récits, condensant et matérialisant l’essence même du régime et de son idéologie : « Les politiques du logement d’un Etat reflètent bien plus que la construction et la manière d’habiter dans le sens étroit du terme. Elles ne peuvent être comprises que si on les relie étroitement aux principes d’ordre qui structurent la société : la place qu’occupe l’individu dans cette société, la mémoire collective, les visions du futur, les relations de pouvoir, de légitimation et l’influence de tous ces principes dans leur rapport avec la culture et les symboles. »3

L’architecture « totalitaire », dans ses différentes manifestations et dans sa matérialité se prête en effet facilement à un travail d’exégèse qui s’appuie sur une lecture des formes qui incarnent une idéologie, et des déclarations d’intention des bâtisseurs, qui peuvent laisser coexister un nombre important d’interprétations : pour Michel Ragon, la forme architecturale

1 On peut remarquer d’emblée que le lien entre le cadre bâti et l’émergence d’un homme nouveau est une croyance produite par les architectes/urbanistes tout au long du XXe siècle dans tous les systèmes politiques modernes, qui s’est imposée dans l’ensemble de la société. Paradoxalement, la réception de Foucault parmi les historiens allemands cherchant à démasquer la normalisation des comportements à travers la disposition spatiale du cadre bâti a sans doute contribué à renforcer l’emprise du déterminisme social par le cadre bâti.

2 MEUSCHEL, Legitimation…, op.cit.

3 SIEGRIST (Hannes), STRATH (Bo), « Wohnungsbau als Problem gesellschaftlicher Steuerung. BRD, DDR und Schweden in vergleichender Perspektive », Comparativ, vol. 6, n°3, 1996, p.8.

imposée par Staline serait une « étrange aberration, […] en adoptant le répertoire complet de l’architecture bourgeoise et aristocratique1 » alors que d’autres spécialistes de l’architecture y

voient « le reflet du ‘culte prolétarien’ de l’époque stalinienne, allant des arts plastiques à l’architecture, des modes vestimentaires à la manière de parler, exprimant la pression idéologique et le nivellement dans son expression la plus brutale et dans sa forme la plus primitive2. » Cette interprétation se prolonge également dans d’autres travaux ayant pour

objet l’architecture et les techniques de construction des logements standardisés construits à partir de la fin des années 1950. Selon cette interprétation, le tournant de 1955 ne constitue qu’un changement de la ligne du parti unique en gardant la doctrine centrale de la dédifférenciation sociale qui se situe non seulement dans la standardisation extrême des logements3, mais aussi dans le contrôle administratif de l’attribution :

« La politique du logement était adaptée à l’idéologie. En principe, la composition sociale des quartiers peut être manipulée lorsque le gouvernement et ses représentants locaux disposent non seulement la capacité de jure, mais aussi des droits de facto de contrôler l’allocation des logements.»4

Logiquement, on doit être capable de retrouver cette surdétermination idéologique au niveau de la décision sur la structure des compétences du Ministère de la reconstruction. La définition et la répartition des compétences au sein de l’appareil administratif devraient ainsi refléter, selon ce cadre interprétatif, les schèmes de pensée cristallisés dans un corpus doctrinal qui définit les frontières entre le possible et l’impossible, l’impensable et le probable, le rôle de l’Etat dans la transformation de la société, les relations entre le Parti et l’administration étatique.

On peut effectivement opérer une relecture des transactions conservées dans les archives sur la création du Ministère de la reconstruction comme l’expression d’une compréhension tacite et intériorisée d’une doctrine marxiste-léniniste partagée par l’ensemble des acteurs. Ainsi, selon les sources écrites dont nous disposons, le principe du centralisme

1 RAGON (Michel), Histoire de l'architecture et de l'urbanisme moderne, T.II, Paris, Casterman, 1986, p.103. Simone Hain explique la bonne réception de cette forme architecturale par Walter Ulbricht en RDA par les valeurs du premier secrétaire : « Ulbricht, ébéniste de formation, voyait dans la solidité du salon bourgeois, dans le sérieux du fumoir et dans le travail de décoration minutieux l’incarnation d’une tradition de luxe qu’il fallait à tout prix conserver et léguer en héritage à la classe ouvrière. » HAIN (Simone), « Zwischen sowjetischer Europapolitik und linken Nationalismus: Ein Versuch, sich der Stalinallee zu nähern », p.33-51, dans WILCZEK (Berndt), (dir.), Berlin-Hauptstadt der DDR 1949-1989: Utopie und Realität, Baden-Baden, Elster Verlag, 1995, p.39.

2 HÜTTEN (Susanne), STERBLING (Anton), « Expressiver Konsum », p.122-134, dans DANGSCHAT (Jens), BLASIUS (Jörg), (dirs.), Lebensstile in den Städten, Opladen, Leske und Budrich, 1994, p.127

3 HANNEMANN, Die Platte…, op.cit..

4 MARCUSE (Peter), « Ein Versuch zu verstehen » p.266-282, dans MARCUSE (Peter), STAUFENBIEL (Fred), (dirs.), Wohnen und Stadtpolitik im Umbruch, Berlin, Akademie Verlag, 1991, p.271.

démocratique et de la nature impérative des directives d’Ulbricht vont tellement de soi, que l’ensemble des spécialistes de la commission dirigée par Willi Stoph suit les changements d’avis d’Ulbricht et du petit secrétariat « sans broncher ». Les membres de la commission comprennent leur rôle comme un travail d’élaboration technique avec un contrôle a priori et a posteriori des plus hautes instances du Parti. Le centralisme ne s’exprime pas simplement dans la soumission des fonctionnaires de l’Etat à la direction du SED, mais fait partie intégrante d’un projet de ministère qui doit « diriger l’ensemble du secteur du bâtiment », « contrôler et surveiller les projets des villes et des Länder afin de garantir l’application uniforme des directives sur tout le territoire »1.

S’il existe effectivement un accord tacite sur la nécessité d’une administration étatique centrale forte étroitement liée et contrôlée par le SED, l’extrême variabilité des différents projets, les volte-face et les retournements semblent difficiles à interpréter dans le cadre strict de la détermination par l’idéologie. On peut certes invoquer l’opportunisme de la direction du Parti dans le contexte national et international instable de la fin des années 1940, mais on peut également voir dans la conception des différents projets du ministère l’expression de trois interprétations différentes d’un même noyau doctrinal.

Le premier problème d’interprétation est de savoir si l’industrie du bâtiment et des travaux publics constitue un secteur industriel comme les autres. Il s’agit d’un secteur économique encore dominé par les petites entreprises et l’artisanat, peu concentré malgré les nationalisations, où les sites de production (chantiers) sont par définition mouvants et faiblement concentrés. Seule l’industrie de production des matériaux de construction (ciment, briques, verre, acier…) nécessitant une immobilisation importante de capitaux et produisant en série fut fortement intégrée dans le processus de planification du plan biennal de 1948. Or, très vite le problème de coordination et de contrôle fut identifié, suscitant une réflexion sur la meilleure manière de réorganiser la surveillance administrative pour aligner l’industrie du bâtiment sur le modèle dominant des administrations industrielles. Les bâtiments publics et les logements seraient dans cette vision un bien industriel au même titre que l’acier ou les machines-outils dont la production doit être soustraite à l’anarchie du marché et contrôlée par une bureaucratie spécialisée et centralisée pour assurer une croissance harmonieuse et planifiée.

1 Les citations sont tirées des préambules des rapports adressés au bureau « Bauwesen » du comité central. (fin 1948 et le 30 novembre 1949). SAPMO SED DY 30/IV 2/6.06/31.

Encadré : les projets d’organisation du Ministère de la reconstruction 1948-1949

Projet de septembre/octobre 1948

1) Direction

2) Personnel et formation 3) Administration

4) Planification du matériel et des machines 5) Finances

6) Construction industrielle 7) Construction de logements

8) Construction de centres de prêts de machines agricoles 9) Edifices culturels et sociaux

10) Recherche architecturale

Projet du 1.3.1949

1) Direction de l’ensemble du secteur public de construction (planification, contrôle, production et répartition des matériaux de construction, organisation de l’industrie du bâtiment, techniques de construction et recherche)

2) Planification urbaine et territoriale 3) Planification foncière

4) Inspection de la construction

5) Direction de la construction de logements urbains 6) Construction rurale

7) Construction industrielle 8) Construction étatique

9) Infrastructure (ponts, routes, canalisation, barrages…)

Projet du 15.8.1949 : Résolution du Bureau politique

1) Planification économique 2) Finances et contrôle

3) Planification des matériaux et des machines 4) Planification des constructions industrielles 5) Planification de la réparation et de l’entretien 6) Recherche, normes et architecture

Proposition d’Ulbricht du 15.10.1949 1) Urbanisme et architecture

2) Lotissements pour les nouveaux paysans

3) Construction de centres de prêts de machines agricoles 4) Edifices culturels et polycliniques

Proposition de Hans Mucke du 30.11.1949

1) Politique de construction ( politique de peuplement, politique foncière, politique du transport, industrie du bâtiment, politique d’attribution)

2) Urbanisme et architecture rurale

On peut retrouver dans cette conception un ensemble d’images et de modèles, identifiés par Dominique Colas dans l’œuvre de Lénine (« taylorisme », « société-usine », « fordisme »1),

qui surdéterminent la vision du monde partagée par le cercle restreint d’acteurs élaborant le projet ministériel. Ainsi, on peut interpréter les différentes répartitions des compétences de la planification comme l’expression de la mise en conformité la plus rationnelle des frontières entre l’industrie du bâtiment et d’autres secteurs industriels à une vision globale de la société comme une usine à l’échelle du pays.

Un deuxième élément doctrinal qui traverse d’une manière plus ou moins explicite l’ensemble des projets est constitué par le contrôle normatif sur les principes d’architecture et d’urbanisme qui renvoient à la dimension esthétique, c’est-à-dire à l’imposition d’une forme et d’un langage architectural à l’ensemble des constructions entreprises par les acteurs étatiques (écoles, hôpitaux, théâtres, logements…) ou économiques (usines, bureaux, maisons de la culture, polycliniques…). Secteur industriel difficilement réductible à la logique du chiffre du fait de la complexité de la production « d’unités » où la logique des « millions de tonnes » au cœur de la planification de l’industrie lourde et dans l’agriculture ne peut s’imposer, le ministère agit comme un « chef d’orchestre » pour assurer une harmonie entre des milliers d’entreprises participant à la production de l’infrastructure industrielle et de l’habitat, en assurant la répartition territoriale et sectorielle des capacités productives. Cette analogie de « l’orchestre » avec un chef qui coordonne l’activité d’un ensemble d’acteurs est a priori plus souple que l’organisation plus mécanique de l’analogie de la machine qui suppose que l’administration fonctionne comme des roues, rouages et courroies de transmission entre le Parti et les masses, ou ici, entre le Parti et les entreprises et ouvriers du bâtiment. Cette opposition se traduit dans chacun des cinq projets de la manière suivante.

Dans les deux projets où la planification centrale de l’ensemble du secteur du bâtiment prédomine, c’est-à-dire la proposition du Bureau politique du 1er mars 1949 et celle de la résolution (Beschluss) 267/49 du SED du 15 août 1949, le découpage des unités administratives du ministère s’effectue essentiellement selon un principe de production où le contrôle s’effectue en amont par secteur de l’industrie et en aval, dans le premier projet selon la distinction entre l’industriel, l’urbain et le rural. Dans les trois autres esquisse de projet que nous avons retrouvés, où la planification de l’industrie du bâtiment reste éclatée entre les différents ministères, les départements sont découpés essentiellement selon la fonction des bâtiments (bâtiments pour l’industrie, logements, stations d’engins agricoles, bâtiments

1 COLAS, Le léninisme, op.cit., p.102-116. Une grande partie du lexique employé par les partis d’inspiration léniniste est constituée de métaphores industrielles : courroie de transmission et appareil par exemple.

sociaux et culturels). Dans ce deuxième modèle, qui l’emportera en fin du compte, le ministère agit en chef d’orchestre, distribuant les partitions aux « musiciens » (les normes esthétiques et techniques de la construction) et assure un contrôle ex post de la réalisation.

Le dernier problème d’interprétation de la doctrine concerne plus spécifiquement la question de la dissociation entre le contrôle administratif de la construction et les usages des logements. Les politiques d’attribution se trouvaient en effet dans une sorte de « no man’s land » conceptuel, écartelées entre plusieurs objectifs politiques et catégories d’action. Le contrôle administratif de la répartition des logements, pratiqué depuis 1942 constitue-t-il une politique « sociale » destinée aux réfugiés, mal-logés, familles nombreuses et personnes ayant perdu leur logement suite aux bombardements ? Doit-elle servir d’instrument économique pour canaliser la main d’œuvre et récompenser les travailleurs les plus productifs ? Ou encore, l’accès différencié aux logements doit-il constituer un levier pour punir ceux qui s’étaient compromis entre 1933 et 1945 et rétribuer un engagement en faveur du nouvel ordre politique ? Si le débat n’est pas tranché en 1949, et il ne le sera jamais totalement, comme on le verra dans la deuxième partie, on perçoit d’emblée la tension entre une politique « sociale » fonctionnant sur une norme égalitaire et une politique d’attribution « méritocratique » ciblant en priorité des catégories de la population jugées indispensables au