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1.4 Les mécanismes moléculaires du cancer

1.4.5 Les modifications épigénétiques

L’épigénétique est définie comme l’étude des changements qui modifient l’expression des gènes, transmissibles lors de la mitose et/ou de la méiose, mais qui n’affectent pas la séquence d’ADN [137]. Il existe plusieurs mécanismes épigénétiques qui régulent l’expression génique: la méthylation de l’ADN, les modifications post-traductionnelles sur les histones et les ARN non codants (Figure 1.16) [138]. Ces processus épigénétiques jouent un rôle déterminant dans la progression du cancer [139-142]. Cependant, seule la méthylation/déméthylation de l’ADN sera abordée dans les prochaines sections.

Figure 1.16: Mécanismes épigénétiques. Adaptée de http://www.pulmonarycirculation.org. Il existe plusieurs mécanismes épigénétiques : les modifications post-traductionnelles des histones, l’interférence ARN et la méthylation de l’ADN.

1.4.5.1 La méthylation/déméthylation de l’ADN

La méthylation de l’ADN correspond à l’ajout d’un groupement méthyl-CH3 sur le

carbone 5 des cytosines de l’ADN. Chez les mammifères, la méthylation a lieu généralement au niveau des dinucléotides CpG (cytosine-phosphate-guanine). Dans le génome humain, 60 à 90% des sites CpG sont méthylés et sont localisés dans des endroits inaccessibles à la machinerie transcriptionnelle [143]. Lorsqu’elle a lieu au niveau des promoteurs, la méthylation de l’ADN est associée à une répression génique en affectant directement la liaison des facteurs de transcription sur les séquences cibles de l’ADN [144]. En absence de méthylation, un membre de la famille des HATs (histone acetyltransferases) acétyle les histones pour permettre la liaison des facteurs de transcription et une activation

transcriptionnelle [145]. La méthylation de l’ADN est assurée par les enzymes DNMTs (DNA methyltransferases) qui transfèrent le groupement méthyle du S-adénosyl-méthionine (SAM) à la cytosine pour former la 5-méthylcytosine (5-mC). La famille des DNMTs comporte cinq membres: DNMT1, DNMT2, DNMT3A, DNMT3B et DNMT3L [146, 147]. Plus tard, la DNMT2 a été associée à la méthylation de l’ARNt [147, 148]. Les DNMTs sont composées de deux domaines principaux: i) une région N-terminale qui guide la localisation nucléaire des enzymes et permet les interactions avec l’ADN, les protéines et la chromatine et ii) une région C-terminale impliquée dans le mécanisme catalytique [149]. Contrairement à la méthylation, la déméthylation de l’ADN est moins connue [150]. Elle conduit généralement à une activation génique [150]. Ainsi, la 5-mC peut être oxydée par l’intermédiaire des TETs (ten methylcytosine dioxygenases) pour former les trois intermédiaires du cycle de déméthylation: la 5-hydroxyméthylcytosine (5-hmC), la 5- formylcytosine (5-fC) et la 5-carboxycytosine (5-caC) [139]. Ainsi, la déméthylation de la cytosine peut être i) passive, via un mécanisme dépendant de la réplication, ou ii) active, via les TETs, la TDG (thymine DNA glycosylase), le système de réparation BER (base

excision repair) ou la voie AID/APOBEC (Figure 1.17) [144, 150]. Identifiée initialement

comme une enzyme qui va réparer une excision de base T vers G dans l’ADN lors de l’initiation du système de réparation BER, la TDG est également capable d’exciser les 5-fC et 5-caC [144, 150, 151].

La famille des TETs renferme trois membres: TET1, TET2 et TET3. Les TETs utilisent deux cofacteurs, le fer et le 2-oxoglutarate pour catalyser leur réaction d’oxydation, ainsi que de l’oxygène et de l’ATP [152]. Le 2-oxoglutarate est un intermédiaire du cycle de Krebs, qui est transformé en succinate et en CO2 par l’activité des TETs [152]. Le 2-

oxoglutarate est produit par l’oxydation de l’isocitrate par l’intermédiaire des IDHs (isocitrate dehydrogenases). La famille des IDHs renferme 3 isoformes : IDH1, IDH2 et IDH3. IDH1 est localisée dans le cytoplasme, alors qu’IDH2 et IDH3 sont retrouvées dans les mitochondries [153].

Figure 1.17: Cycle de déméthylation de la cytosine. Adaptée de [144].

1.4.5.2 La méthylation de l’ADN dans le cancer

En 1983, Feinberg et Vogelstein rapportent pour la première fois une hypométhylation globale du génome dans les cancers humains [154]. Par la suite, d’autres études ont confirmé une perte de 20 à 60% des cytosines méthylées dans les tissus tumoraux [155]. Dans la majorité des cas, ce sont des régions pauvres en gènes qui sont touchées, telles que les LINEs et SINEs (long or short interspersed nuclear elements) et les LTRs (long

terminal repeat sequences), mais l’ADN hypométhylé peut également se retrouver au

niveau des sites d’initiation de la transcription [141, 142, 155]. Il a de plus été démontré que l’hypométhylation de l’ADN contribue à l’instabilité chromosomique associée au cancer [156]. Par ailleurs, une hyperméthylation aberrante des ilôts CpG situés dans les promoteurs a été observée dans de nombreux cancers, tels que ceux du cerveau, de l’estomac, du foie, du colon, des ovaires et de l’utérus [155, 157]. La présence de profils de méthylation aberrants dans le cancer peut s’expliquer par une dérégulation des enzymes intervenant dans ce processus. Par exemple, les enzymes DNMTs et TETs sont

fréquemment mutées dans le cancer [140, 155]. En résumé, l’hyperméthylation de l’ADN va promouvoir la tumorigenèse en réprimant les gènes suppresseurs de tumeurs, alors que l’hypométhylation de l’ADN va la favoriser en réactivant les oncogènes [141, 142, 154, 158].

1.4.5.3 La méthylation de l’ADN dans le mélanome

Une méthylation aberrante des gènes suppresseurs de tumeurs a été décrite dans le mélanome cutané et cette dernière est corrélée à la progression tumorale [159]. Par ailleurs, une hyperméthylation du gène RASSF1 (RAS association domain family member 1), un gène suppresseur de tumeurs adjacent aux loci des gènes BAP1 et MGMT (O6-

methylguanine DNA methyltransferase), a été observée fréquemment dans les lignées du

mélanome uvéal, suggérant un rôle de RASSF1 dans les phases précoces du développement de ce cancer [160-163]. Enfin, une hyperméthylation du promoteur des gènes TERT (telomerase reverse transcriptase), RUNX3 (runt related transcription factor 3) et ceux des récepteurs TRAIL (tumor necrosis factor-related apoptosis inducing ligand-like) a été rapportée dans le mélanome uvéal [161, 163, 164].

Il a été démontré qu’une dérégulation des enzymes IDH2 et TET2 conduit à une perte de 5- hmC, considérée comme une caractéristique épigénétique du mélanome cutané [165]. Des mutations dans les enzymes IDHs ont été identifiées et sont surtout retrouvées dans les leucémies et les gliomes mais seulement 6 à 10% des mélanomes cutanés possèdent des mutations dans IDH1/IDH2 [166-168]. Des mutations ont été rapportées pour le gène TET2 dans 5% des mélanomes cutanés [169, 170].