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Chapitre I. Evolution d’un versant rocheux depuis la dernière phase glaciaire quaternaire

I.5 Méthodes d’investigation

I.5.2 Modélisation numérique des mouvements de versant

Pour représenter et comprendre les modalités de la rupture d’un massif et de son évolution, ou de l’évolution du pergélisol dans un versant, deux approches de modélisation peuvent être employées:

- la modélisation physique qui repose sur la représentation matérielle simplifiée et généralement à une échelle réduite du phénomène étudié

Dans le cadre de ce travail de thèse ne sera employée que la modélisation numérique qui présente l’avantage de permettre de faire varier simplement les propriétés mécaniques ou thermiques du versant étudié. Elle permet également de s’affranchir des difficultés liées au respect de critère de similarité [Chemenda et al., 2005]que l’on retrouve dans la modélisation physique. Les codes de calcul utilisés pour la modélisation mécaniques numérique de versants rocheux peuvent être classés en trois types [Bois, 2010] :

- les codes de calcul en éléments finis, considérant le milieu représenté comme un milieu continu

- les codes de calcul en éléments distincts qui considèrent le milieu représenté comme discontinu

- les codes de calcul dit mixtes. Ils combinent les deux premières méthodes en couplant milieu continu et discontinu.

I.5.2.1 Application de la modélisation numérique pour l’étude du mécanisme des mouvements de versants

Dans le cas de l’étude de mouvements de versant, les travaux de modélisation peuvent se répartir en deux catégories, une première qui s’intéresse à l’initiation de la déstabilisation et une seconde qui se focalise sur la propagation du mouvement. Ainsi, pour l’étude d’un même glissement comme celui de Randa (paragraphe I.4.4 ), plusieurs modélisations présentant des objectifs différents ont été réalisées [Ferrero et al., 1996; Sartori et al., 2003; Eberhardt et al., 2004]. Parmi ces travaux, on s’intéressera au travail de modélisation numérique réalisé par Eberhardt et al, en 2004 qui ont étudié l'initiation de la rupture, en utilisant des codes à éléments finis ou distincts pour reproduire les séquences d'effondrements de l'avalanche de Randa ainsi que le rôle du glacier dans l’affaiblissement du massif.

Pour l’approche continue (EF), Eberhardt et al, [2004] ont pris en compte dans leurs modèles l’adoucissement du massif (endommagement progressif de la matrice rocheuse) en considérant une diminution de la cohésion et une augmentation de la friction en fonction de la déformation plastique cumulée [Hajiabdolmajid and Kaiser, 2002]. Les résultats obtenus présentés sur la Figure I-30, sont cohérents avec les observations et les données de terrain.

Figure I-30 Modélisation en éléments finis. Evolution de la déformation cisaillante (

ε

xy) et des déplacements horizontaux (dx) pour trois étapes de dégradation progressive de la résistance du matériau, conduisant à l'écroulement de la falaise de Randa [Eberhardt et al., 2004]. En pointillées sont représentées les surfaces de ruptures des éboulements de 1991. D’après Eberhardt et al., 2004.

Dans la seconde approche (ED), le versant est découpé par un certain nombre d’éléments correspondant à des blocs. Les interfaces entre les blocs correspondent à des fractures et sont traités comme des conditions limites plutôt que comme des éléments spéciaux du modèle. Au niveau de ces fractures sont appliquées la friction et la cohésion représentant la résistance existante au sein du massif. Au cours de cette simulation, seul la cohésion a été réduite, la friction étant considérée comme constante.

Figure I-31 Modélisation en éléments distincts de l'écroulement de la falaise de Randa, montrant les déplacements horizontaux des blocs pour une diminution progressive de la résistance au niveau des discontinuités. Dans ces modèles quelques hétérogénéités (fractures) sont introduites. D’après Eberhardt et

Les résultats obtenus pour chacun de ces modèles révèlent leurs capacités à représenter certains aspects du développement progressif de la surface de rupture mais reste cependant limités en termes de modélisation des processus clés, lié à l’initiation et à la propagation de la rupture fragile. Pour dépasser ces limitations, une modélisation mixte couplant éléments finis et éléments distincts a été proposée par Eberhardt et al. [2004]. Les résultats [Figure I-32] montre par un endommagement du versant en plusieurs étapes le développement progressif d’une surface de glissement qui correspond à celle utilisée par l’éboulement de 1991.

Figure I-32. Modèle hybride élément distincts/éléments finies montrant la modélisation du développement progressif de la surface de rupture des éboulements de 1991. D’après Eberhardt et al., 2004.

I.5.2.2 Application de la modélisation numérique à l’étude de l’évolution du pergélisol

En raison de son invisibilité en surface, de la complexité de sa distribution et des coûts importants pour son suivi dans des versants fortement inclinés, le pergélisol a nécessité le développement d’outils de modélisation, dont le choix est conditionné par l’échelle d’étude : continentale, régionale ou locale [Riseborough et al., 2008]. L’objet qui sera étudié dans cette thèse est le mouvement de Séchilienne, qui se développe à l’échelle locale d’un versant, celui du Mont Sec (Chapitre II). Lors de son étude sur l’évolution et la dynamique du permafrost dans le versant rocheux du « Konkordiaplatz » situé dans les Alpes Sud Suisses (Figure I-33). Matthias Wegmann [1998] a mis en évidence la progression du pergélisol comme une conséquence directe du retrait du glacier d 'Aletsch. Pour cela, il a utilisé des modèles de transfert de chaleur (Figure I-33a) prenant en compte la surface changeante du glacier (Figure I-33b, trait plein) et les températures de la roche en surface (Figure I-33, trait pointillé).

Figure I-33 a) Profil transversal simplifié à travers la face Nord de la crête de Konkordia avec le maillage et les conditions limites pour l’analyse de transfert thermique. Les conditions limites sont de 0°C (Tice) à la base du glacier et passe à (Trock) à la surface du glacier. Pour la roche exposée elle est égale à Trock. D’après

Wegmann, 1998 b) Présentation de l’histoire thermique T2 (trait en pointillé) avec la localisation des

températures modélisées aux temps (a), (b), (c) et (d) et tracées à la Figure I-34. Présentation de l’évolution de l’altitude du glaicer en trait plein.

Les résultats obtenu pour l’histoire thermique T2 au temps a b c et d sont présenté à la Figure I-34. Outre la progression du pergélisol comme une conséquence directe du retrait du glacier

Wegmann [1998] met également en évidence l’influence de la quantité d’eau sur le développement

du pergélisol (Figure I-34, porosité 3 ou 6%). Les résultats de l’étude menée par Wegmann [1998] montrent de plus pour la base du pergélisol un délai de réponse de l'ordre d'un millénaire aux fluctuations de température. Ce modèle permet donc de prédire l’apparition de zone de pergélisol dans les décamètres proches de la surface et à la base du pergélisol. Ainsi le gel et le dégel de l’eau comprise dans ces roches va pouvoir y entrainer des dégâts (paragraphe I.3.2.2 ).

Figure I-34 Résultats de l’analyse de transfert thermique pour l’histoire thermique T2 (Figure I-33).Sont présentées les distributions de températures pour les années (a)1200, (b) 1850, (c) 2000 et (d)2100 avec 3 et 6% de porosité. Les zones grisées correspondent aux températures en dessous de 0°C et représentent donc la distribution du pergélisol. D’après Wegmann, 1998

I.6 Conclusions

La morphologie et l’évolution d’une vallée glaciaire alpine est le résultat de différents agent morphogéniques qui vont au cours des périodes glaciaire et interglaciaire successives agir de façon plus ou moins importante. Parmi ces agents le glacier et le pergélisol vont avoir durant ces périodes un rôle particulièrement important. En effet en période glaciaire (glaciation) les conditions climatiques étant favorables les glacier vont s’avancer et vont fortement englacer les vallées induisant:

- Une érosion glaciaire qui va en surcreusant la vallée raidir les pentes et l’approfondir le pied des versants (« oversteepening ») augmentant ainsi les contraintes de cisaillement s’exerçant dans la masse rocheuse ce qui va favoriser la rupture des versants rocheux altérés et déconsolidés durant ou après le retrait du glacier.

- Une augmentation du poids exercé par le glacier. L’augmentation des contraintes en fond de vallée et sur les versants rocheux va alors induire selon le principe d’action-réaction, une réaction opposé de l’encaissant qui sera de même valeur. Lors du retrait du glacier, cette contrainte de compression va diminuer, générant un processus de décompression.

Le pergélisol va quant à lui progressivement se mettre en place et s’épaissir en modifiant les propriétés thermiques, hydrauliques et mécaniques des versants rocheux. En effet lors de sa mise en place l’eau interstitielle et présente dans les fractures va geler. La glace ainsi formée joue alors le rôle

de ciment, générant un effet de cohésion [Cruden, 2003], augmentant ainsi la résistance mécanique de la roche et donc la stabilité du versant.

Lors de la déglaciation les glaciers vont progressivement se retirer et le pergélisol va se dégrader induisant en réponse des réajustements morphologiques complexes et dépendants du temps, qui peuvent intervenir des centaines ou des milliers d’années après la déglaciation. Ces réajustements peuvent prendre la forme d’une déformation lente à grande échelle du versant, pouvant évoluer en mouvements catastrophiques, d’une rupture de versant catastrophique de grande ampleur ou encore d’un éboulement rocheux correspondant à des ajustements rapides et périodiques.

C’est à ces mouvements de versants de grande ampleur : (1) déformation lente à grande échelle (Deep Seated Gravitational Slope Deformation, DSGSD) ou (2) glissement rocheux profonds (Deep Seated Landslides, DSL) pouvant évoluer en mouvements catastrophiques que nous nous intéressons. Afin de mieux comprendre et caractériser ce lien entre le retrait du glacier la dégradation du pergélisol et les mouvements de versants de grande ampleur nous avons fait le choix d’étudier le mouvement de Séchilienne. Pour sa caractérisation de nombreuses méthodes d’investigation dont celles présentées dans ce chapitre ont été mises en œuvre. Les informations obtenues sont présentées dans le chapitre suivant. C’est sur la base de ces informations et de celles que nous avons obtenues à partir de nouvelles études géologique, géomorphologique, de caractérisation temporelle (partie 2) que nous alimenteront la seconde approche qui consiste à réaliser des modèles numériques (partie 3). On pourra alors déterminer les principaux paramètres influençant l’initiation et l’évolution du mouvement de Séchilienne permettant ainsi d’établir le rôle du retrait du glacier et de la dégradation du permafrost.

Chapitre II. Présentation du mouvement de